• Après avoir vu le film "Agora", où Synesios, élève d'Hypathie avant de devenir évêque de Cyrène (ville qui se trouve en Lybie) , joue un rôle important, je me suis souvenu que je possède, depuis fort longtemps, ses "Hymnes", en deux éditions :

    -celle qui contient la traduction seule, par Mario Meunier (je n'ai pu pour l'instant la retrouver, elle doit être au fond d'un placard ou d'un carton)

    -celle aux éditions des "Belles lettres", contenant à la fois le texte grec et la traduction.

    J'avais lu ces textes, ou une partie d'entre eux, dans le temps, cela doit bien remonter à vingt ans en arrière : je ne me souvenais pas qu'ils étaient si beaux, et si profonds, indiquant une spiritualité qui est à la croisée de l'hellénisme néo-platonicien et plotinien, et du christianisme.

    Voici quelques extraits de ce que je lis, dans l'introduction générale à ce volume, concernant ses relations avec Hypathie, qui furent très profondes, puisqu'il fut bien plus qu'un élève, un disciple, et le resta toute sa vie, ce qui démontre bien d'ailleurs la "compatibilité" et je dirais même la proximité, voire l'identité (ou l'isomorphie) de la philosophie grecque et de la spiritualité chrétienne.

    De Théon, le père d'Hypathie, aucune trace dans les écrits de Synesios, qui par contre célèbre à l'envi celle qui, continuant l'enseignement paternel, nous est présentée comme l'autorité souveraine dans les choses de l'esprit. Devenu à son tour "philosophe", Synesios ne manquera jamais de soumettre au verdict d'Hypathie le fruit de ses méditations. Au soir de sa vie, cette admiration ne se démentira pas : devenu évêque de Ptolemaïs, il saluera des titres de "mère", "soeur", "maître" celle qui a guidé ses premiers pas sur le chemin de la philosophie...il la tient pour "son initiatrice véritable aux mystiques festinsde la philosophie"...

    Mais quelle est donc cette "philosophie" qui unit paîens et chrétiens cultivés ? toujours d'après l'introduction de mon livre :

    Lorsqu'on parle à cette époque là de se convertir à la "philosophie", qu'entend on par là ? cette profession de foi n'implique pas alors l'adhésion à un corps de doctrines déterminé, mais le seul engagement du néophyte à régénérer sa vie, à tendre vers une "réalité transcendante"..

    on voit qu'on est loin ici du fanatisme d'Ammonius dans le film, dont j'ai dit qu'il ne rend pas justice à synesios parce qu'il le présente comme un être certes très cultivé, mais refusant de remettre en doute ses dogmes chrétiens..

    Voici quelques liens sur lui :

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Syn%C3%A9sios_de_Cyr%C3%A8ne

    Ici la traduction du très bel hymne II : Louange à la Trinité :

    http://www.patristique.org/Synesius-de-Cyrene-Louange-a-la

    Ici les traductions de ses lettres et d'autres textes :

    http://www.livius.org/su-sz/synesius/synesius_cyrene.html#texts

    Et encore plus de traductions de textes sur ce site :

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/synesius/index.htm

    Synesios était semble t'il plutôt attiré par la méditation que par l'action politique ou sociale; mais son épiscopat de Ptolémaïs, de 410 à 413, lui coûta beaucoup car il n'eut plus aucun loisir pour la vie contemplative, complètement harassé par sa charge...il eut une fin de vie tragique, voyant mourir ses quatre enfants avant lui... les dernières lettres, datées de 413, il les a envoyées à Hypathie "la philosophe", j'en extraits ces passages bouleversants du site ci dessus (lettres 154, 156 et 157):

    Il y a eu un temps où je pouvais être utile à mes amis; vous m’appeliez même le bien d’autrui; j’usais, pour rendre service, de la faveur que m’accordaient les grands; ils étaient en quelque sorte mes bras. Mais aujourd’hui je n’ai plus aucune influence, aucune, excepté la vôtre; je vous compte comme l’unique bien qui me reste, avec la vertu.

    Je vous salue et je vous prie de saluer de ma part vos bienheureux compagnons, ô vénérable maîtresse ! Depuis longtemps je vous reprochais de ne pas m’écrire; mais aujourd’hui je vois que tous vous me délaissez. Ce n’est point que j’aie des torts envers vous; mais je suis malheureux, aussi malheureux qu’on peut l’être.

    C’est du lit où me retient la maladie que j’ai dicté pour vous cette lettre; et puisse-t-elle vous trouver en bonne santé, ô ma mère, ma sœur, ma maîtresse, vous à qui je dois tant de bienfaits et qui méritez de ma part tous les titres d’honneur! Pour moi les chagrins m’ont amené à leur suite la maladie. La pensée de mes enfants morts m’accable de douleur....


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  • Ce blog a connu depuis quelques temps une évolution qui peut sembler surprenante, voire brutale et incompréhensible à beaucoup..

    Alors que nous campions depuis longtemps sur la position intransigeante (en apparence) de Brunschvicg lors de la "querelle de l'athéisme", résumée dans l'introduction de son exposé de 1928 :

    http://www.blogg.org/blog-30140-page-la_querelle_de_l_atheisme-790.html

    "Le drame de la conscience religieuse depuis trois siècles est défini avec précision par les termes du Mémorial du 23 novembre 1654 (de Pascal): entre le Dieu qui est celui d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et le Dieu qui est celui des philosophes et des savants, les essais de synthèse, les espérances de compromis, demeurent illusoires."

    voici que nous entamons, semble t'il, un "exil", une errance au désert , dirigée non plus vers la terre promise strictement philosophique mais vers un continent (ou un ciel ?) plus vaste que nous appelons "philosophie chrétienne" et dont nous "croyons" (sans pouvoir évidemment le vérifier immédiatement) qu'elle est identique, ou qu'elle contient, ou englobe, la stricte philosophie "négative" et " strictement critique", qui consiste à s'en tenir aux résultats de la science positive, la physique mathématiques...

    or il a été démontré par les philosophes spiritualistes d'avant guerre (les Bréhier et autres) , la "philosophie chrétienne" est une impossibilité, un peu comme "cercle carré"... il existe un fameux article portant là dessus me semble t'il..

    encore plus scandaleux, nous avons annoncé que désormais nous ne nous interdirions plus de fouler des terres bien plus "incertaines" (peut être des mirages du désert ?) , dites "théosophiques" et "anthroposophiques"...pas seulement la "doctrine secrète" de Blavatsky ou de Steiner, mais des gens comme Jacob Boehme , Franz Von Baader, ou même Schelling, dont la dernière philosophie, ou "philosophie positive", est par certains côtés de nature théosophique, en tout cas sort totalement du strict idéalisme critique que Brunschvicg refuse de dépasser, et pour de bonnes raisons...la dernière philosophie de Schelling qui a été aussi attaquée par un ami et admirateur de Brunschvicg, quoique très éloigné de sa pensée : Vladimir Jankelevich...

    Il y a quelque chose qui doit être bien compris avant de condamner définitvement notre approche et notre changement de paradigme (??).

    C'est que d'abord cette fameuse "philosophie chrétienne" est thématisée, posée par nous uniquement à titre d'hypothèse: pour l'instant je ne sais pas ce que c'est...

    Et d'autre part elle est, si elle existe, sous condition du Dieu des philosophes et des savants, c'est à dire la condition de possibilité de la science moderne, grecque puis européenne, ou plutôt de la Pensée qui rend celle ci possible.

    Si ce Dieu des savants, dont l'existence (qui est un fait) de la physique mathématique moderne depuis le 17 ème siècle est en quelque sorte la "preuve", si ce "Dieu" donc s'avérait être une illusion, alors adieu veaux, vaches, cochons, couvée : toute notre approche tombe à leau, et nous avec !

    Or il existe un livre, dont j'ai déjà parlé, écrit récemment par Paul Jorion : "Comment la vérité et la réalité futent inventées", qui affirme précisément démontrer rationnellement que les inventions grecques et celles des "jeunes turcs" de l'astronomie du 17 ème siècle sont certes fructueses mais n'ont aucun caractère "nécessaire" , qu'il existe des aalternatives, notamment la pensée chinoise ou les pensées dites "sauvages" étudiées par Lei-Strauss..

    et démontrant cela  par une démarche strictement philosophique s'appuyant sur Aristote et Kojève, et rentrant très en profondeur dans les détails de la science mathématisée pour la critiquer...il est d'ailleurs un représentant typique de l'intelligence moderne, en ce qu'il reconnaît la portée des "modèles" pathématiques (pour opérer sur les phénomènes réels et les prédire) mais absolument pas la validité des théories philosophiques dérivées des théories scientifiques, comme la Relativité ou la physique quantique...en gros, il refuse de dépasser le strict pragmatisme de l'école de Copenhague...

    selon Jorion nous serions arrivés au bout , dans l'époque des rendements de plus en plus décroissants, de cette invention moderne, purement humaine, dérivant du "miracle grec", et qui ne saurait être le "signe" d'une Pensée absolument universelle dont la "source" est précisément le Dieu des savants (tel qu'il est encore évoqué par Einstein qui en voit la "trace" dans le fait miraculeux que l'univers soit compréhensible mathématiquement).

    Jorion clame, bien au contraire, que les prétendues avancées théoriques de la physique et ses "entités" cachent le plus souvent des artifices algébriques, nés justement d'artifices précédents...et aussi que ces résultats jugés fascinants (comme les théorèmes d'incomplétude de Gödel) sont ceux d'une rationalité affaiblie par rapport à la rationalité sitrictement classique , celle d'Aristote dans sa théorie de la démonstration.

    Je ne suis pour l'instant pas en mesure de réfuter complètement Jorion, je le ferai peut être un jour, mais il est clair que cela réclame un travail et un temps considérable. Disons seulement que j'ai plusieurs indices, comme par exemple le fait qu'il n'est visiblement pas un "spécialiste" de la physique mathématique de pointe (mais moi non plus !) et que cela se voit à plusieurs endroits de son livre...

    en fait, s'il s'avérait que Jorion a raison, et que je le reconnaissais, ce blog s'arrêterait évidemment immédiatement, compte tenu de ce que j'ai dit plus haut...

    Mais il n'y a pas que Jorion comme pierre d'achoppement : j'ai déjà dit ici que le livre (extraordinaire) de Lee Smolin (qui lui est un physicien théoricien de pointe) : "Rien ne va plus en physique" brosse un tableau très sévère, apocalyptique même, des milieux scientifiques américains actuels (et si c'est vrai pour les américains, on ne voit pas pourquoi cela ne le serait pas pour les européens ou les asiatiques), motivés le plus souvent uniquement par le profoit, la gloire personnelle et l'avancement professionnel, et non pas par l'avancée philosophique de l'humanité..

     on est très loin des "savants" absolument désinteressés dont parle Brunschvicg, et d'ailleurs, moi même , ayant travaillé longtemps dans le milieu "scientifique", j'ai pu constater que Smolin a raison...

    doit on pour autant en conclure que les "savants" uniquement motivés par l'avancement spirituel de l'humanité sont une construction idéologique de Brunschvicg ?

    certainement pas, à mon sens, et il existe des exemples de réels "savants", dont le dernier universellement assignable est Einstein, parfait exemple d'un grand scientifique, auteur d'avancées majeures en physique, qui est en même temps un philosophe, soucieux de l'intelligibilité du Tout, à l'exemple dde son Maître philosophique Spinoza...il y en a d'autres, ceux du 17 ème siècle bien sûr, mais aussi des gens comme Penrose ou William Lawvere de nos jours....

    ces personnes là sont le sel de la terre...

    on doit donc reconnaître une différence radicale entre scientifiques, fidèles uniquement au Gestell, et savants, qui sont des scientifiques au ddessus de tout reproche mais qui sont fidèles par desus tout à l'exigence philosophique qui s'énonce :

    μελετα το Παν

    sois soucieux (avant tout) du Tout...

    Pourquoi est ce si important de reconnaître cette différence, qui prend la forme et l'importance d'un gouffre ? le film "AGORA" dont j'ai parlé dans les deux derniers articles, permet de le comprendre...

    Il y a au début du film un passage très beau : celui où Ammonius (le chrétien fanatique qui marche dans les flammes pour prouver la vérité , croit-il, de sa foi et la fausseté de celle des païens) entraîne dans une église l'esclave Davus qui lui demande comment cela se fait qu'il peut marcher dans le feu sans mourir, "comment ça marche ?"....

     pour expliquer comment ça marche, il "botte en touche" en disant qu'il suffit de prier avec conviction , mais ce n'est pas cela l'important... et d'ailleurs n'importe quel fakir hindou (non chrétien donc) fait bien mieux, et il me souvient d'avoir lu dans le temps un article expliquant qu'il existe une "technique", accessible à tout le monde (suffisamment entraîné, et ayant le coeur bien accroché) pour marcher pieds nus sur des braises incandescentes sans se faire (trop) de mal...alors que dans le film Ammonius porte des sandales... mais peu importe, ce n'est pas cela l'important...

    La beauté de cette scène, elle éclate quand Ammonius (qui n'a rien à voir avec le philosophe chrétien et néo-platonicien Ammonius Saccas, qui vivait à Alexandrie au 3 ème siècle) donne à l'esclave Davus des morceaux de pains à distribuer aux indigents affamés qui se jettent dessus en remerciant et en rendant grâces à Dieu ; il lui dit alors :

    "il est là, le miracle, et nulle part ailleurs"

    ce qui veut dire , implicitement, que marcher dans les flammes n'est qu'un tour de passe passe, difficile et dangereux certes mais qui devient possible avec un peu de technique et surtout d'audace, ou de confiance en soi, qualités que donne le fanatisme (mais pas seulement lui)...

    tandis que la charité, le partage, l'agapè, c'est un miracle de Dieu !

    plus précisément : le fait que quelqu'un qui a faim prélève sur sa nourriture déjà insuffisante pour donner à encore plus affamé que lui (car donner aux pauvres des fonds publics qui ne nous sont pas destinés, comme le fait un fonctionnaire, ce n'est aucunement un miracle, seulement une routine administrative, sinon l'Etat serait Dieu, ce qui est d'ailleurs la thèse de certains fanatiques politiques ceux là).

    Ammonius est donc réellement chrétien en ce sens qu'il éprouve réellement l'esprit de charité et d'amour désintéressé envers les miséreux (mais sans doute dans le but de les gagner à sa foi).

    comment se fait il alors que ce christianisme alexandrin du 4 ème siècle, "supérieur" certes au paganisme en ceci qu'il ne distingue pas entre maîtres et esclaves, et qu'il encourage à partager les biens, pour soulager la détresse des miséreux (alors que le paganisme les laisse mourir), aboutit au fanatisme le plus détestable, au mépris des femmes considérées comme devant être soumises aux hommes (comme dans l'Islam de toujours)?

    comment se fait il qu'Ammonius, doté d'une elle énergie pour donner à ceux qui ont faim , d'une telle force de prédication, devient un sombre fanatique qui tuera un prédicateur païen en le précipitant dans le feu alors que l'autre refusait de tenter lui aussi de marcher dans le brasier, et tentera de tuer d'un jet de pierrre le préfet Oreste, qui refuse de plier le genou devant l'Evangile falsifié de Cyrille (le film fait comprendre que c'est lui, Cyrille, qui a ajouté un passage sur l'infériorité des femmes) ?

     et Ammonius sera exécuté pour cette tentative de meurtre sur le préfet, et sera canonisé par cyrille comme Saint Taumasius, premier martyr du christianisme alexandrin !

    La raison de ce funeste échec du christianisme, nous l'avons indiquée ici à plusieurs reprises , et nous le ferons à nouveau ici :

    elle est que si la charité était réellement insufflée aux âmes des chrétiens de cette époque, l'intelligence, elle, n'était pas encore christianisée par la science moderne, il faudra attendre pour cela douze siècles encore, Copernic, Kepler et Galilée...

    Le film suggère qu'Hypathie avait déjà trouvé, après une intense ascèse intellectuelle de plusieurs années (s'ajoutant à une ascèse dans tous les domaines, sexuel notamment, mais c'est bien sûr l'ascèse intelelctuelle qui est cruciale, les autres n'en sont qu'un adjuvant), ce que trouvera Kepler 1200 plus tard; mais je ne sais pas dans quelle mesure cette affirmation correspond bien à la réalité, je ne suis pas assez savant en histoire de la philosophie pour cela...

    C'est en cela que le Dieu des savants, des philosophes et des savants, puisqu'Hypathie est l'un et l'autre, est "premier", par rapport aux autres aspects de Dieu.

    Ammonius devient un fanatique superstitieux parce qu'il est un ignorant en sciences et en logique. Davus, lui, l'esclave d'Hypathie qui avait assisté à ses cours d'astronomie, non pas comme élève mais comme aide et esclave, se passionne pour les questions relatives aux astres et aux planètes, jusqu'au moment où il devient chrétien par dépit amoureux, devant l'impossibilité d'avoir un commerce charnel avec sa maitresse.

    à partir de ce moment il se désintéresse complètement de ces questions, se réfugiant à la manière des islamistes modernes dans la croyance que seul Dieu connaît la réponse à ces questions, et que l'homme qui cherche à acquérir la science de Dieu (="ilm'u'llâh") est pécheur.

    Il est suggéré ici, c'est en tout cas l'interprétation que je fais du film, car cela correspond à ce que je répète ici depuis des années, que c'est la conversion de l'intelligence à l'absolu désintéressement de la physique mdoerne mathématisée qui est la condition première de toute conversion véritable, c'est à dire véritablement chrétienne.

    La conversion de Davus est fondée sur le dépit amoureux, celle d'Ammonius sur un mélange complexe de sentiments fort peu sympathiques, alliant sans doute ressentiment social, haine raciale-ethnique, peut être (sans doute) ressentiment sexuel, etc..etc..

    Le désastre dépeint par le film se trouve tout entier déjà en germe dans cette simple constatation...et quelle meilleure explication de cela que ces citations de Brunschvicg (dans "Raison et religion") que j'ai souvent données ici ?

    «si les religions sont nées de l'homme, c'est à chaque instant qu'il lui faut échanger le Dieu de l'homo faber, le Dieu forgé par l'intelligence utilitaire, instrument vital, mensonge vital, tout au moins illusion systématique, pour le Dieu de l'homo sapiens, Dieu des philosophes et des savants, aperçu par la raison désintéressée, et dont aucune ombre ne peut venir qui se projette sur la joie de comprendre et d'aimer, qui menace d'en restreindre l'espérance et d'en limiter l'horizon.

     Dieu difficile sans doute à gagner, encore plus difficile peut-être à conserver, mais qui du moins rendra tout facile. Comme chaque chose devient simple et transparente dès que nous avons triomphé de l'égoïsme inhérent à l'instinct naturel, que nous avons transporté dans tous les instants de notre existence cette attitude d'humilité sincère et scrupuleuse, de charité patiente et efficace, qui fait oublier au savant sa personnalité propre pour prendre part au travail de tous, pour ne songer qu'à enrichir le trésor commun !

    ...Les théologiens se sont attachés à distinguer entre la voie étroite : Qui n'est pas avec moi est contre moi, et la voie large : Qui n'est pas contre moi est avec moi. Mais pour accomplir l'Évangile, il faut aller jusqu'à la parole de charité, non plus qui pardonne, mais qui n'a rien à pardonner, rien même à oublier : Qui est contre moi est encore avec moi.

     Et celui-là seul est digne de la prononcer, qui aura su apercevoir, dans l'expansion infinie de l'intelligence et l'absolu désintéressement de l'amour, l'unique vérité dont Dieu ait à nous instruire

    L'ordre est ici (dans la dernière phrase) d'une importance cruciale : l'expansion infinie de l'intelligence passe AVANT l'absolu désintéressement de l'Amour!

    Ceci signifie que la première est la condition, nécessaire mais pas suffisante sans doute, du second.

    Et c'est à cause de ce fait qu'Ammonius ne peut pas réellement accéder à un amour absolument désintéressé, (ni Davus d'ailleurs); or, un amour qui n'est pas totalement universel n'est pas en soi mauvais, mais il est en tout cas incapable d'endiguer les vagues terrifiantes du fanatisme qui submerge Ammonius, et tous les chrétiens d'Alexandrie mis en scène par le film (à part ceux qui ne le sont que par convenance sociale ou politique, comme le préfet)


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  • Le Figaro rend compte d'un entretien entre André Comte Sponville et Jean Staune sur le thème : "la science va t'elle réfuter l'athéisme ?"

    http://www.lefigaro.fr/debats/20070602.FIG000001519_andre_comte_sponville_jean_staune_la_science_va_t_elle_refuter_l_atheisme.html

    Comte sponville, qui se présente comme mathérialiste, juge utile, à raison, de définir brièvement les termes employés :

    "Distinguons d'abord les deux sens de ce concept("matérialiste") . Le matérialiste, au sens trivial, c'est celui qui n'a pas d'idéaux, qui ne vit que pour les plaisirs corporels. Au sens philosophique, il en va tout autrement ! Le matérialisme est d'abord une position métaphysique : c'est penser que tout est matière ou produit de la matière. "

    jusqu'ici il a raison, et cette double signification, triviale et philosophique, se retrouve d'ailleurs  pour le terme "idéaliste", comme je l'ai signalé maintes fois...

    mais hélas les choses se gâtent très vite :

    "Attention, je ne parle pas du concept scientifique de matière, qui ne cesse d'évoluer, mais de la catégorie philosophique, qui appelle « matière » tout ce qui existe indépendamment de l'esprit. "

    peut être, mais la catégorie philosophique ne devrait elle pas, elle aussi, "évoluer", pour tenir compte des mutations scientifiques ?

    Car quand Comte Sponville poursuit :

    "La vraie question est de savoir ce qui est premier : est-ce l'esprit qui crée la matière, ou la matière (qu'elle soit énergie, ondes ou corpuscules) qui produit l'esprit ? L'idéalisme défend la première position ; le matérialisme, la seconde, ce qui revient à nier l'existence d'un dieu créateur et d'une âme immatérielle"

    son imposture saute aux yeux !

    car si la matière, c'est "tout ce qui existe indépendamment de l'esprit", l'idéalisme est immédiatement réfuté sans combat, par la définition elle même du terme "matière" !

    il est évident que l'esprit ne peut créer ce qui existe indépendamment de lui !

    trop cool, le matérialisme ! t'as même pas à te fatiguer, la victoire vient sans combattre, et en chantant !

    Seulement j'ai bien peur que la vraie question, ce soit de savoir si la définition par Comte Sponville de "la catégorie philosophique de matière" est la bonne, c'est à dire si elle recouvre autre chose que ses approximations de pensée arbitraire !

    d'ailleurs je ne vois pas en quoi la seconde position, matérialiste, même si elle était juste (ce qui n'est peut être pas le cas, selon Staune en tout cas) reviendrait à "nier l'existence d'un dieu créateur et d'une âme immatérielle" !!?

    car encore faudrait il assimiler l'âme immatérielle à l'esprit, à la conscience, et quant au dieu créateur, il se pourrait fort bien qu'il ait créé la matière qui crée (selon Comte sponville) l'esprit ... 

    Ensuite, Comte-Sponville est pris une deuxième fois "la main dans le sac" ! il dit un peu plus loin, à propos du livre de Staune "Notre existence a t'elle un sens ?" :

    " Vous avez écrit 500 pages pour enfoncer une porte ouverte : montrer que la croyance en Dieu est toujours possible. Mais qui le nie ? Vous ne verrez aucun philosophe sérieux affirmer qu'il est impossible de croire en Dieu ! "

    C'est d'une part  deux fois faux, et d'autre part, ajouterais je, assez ignoble vis à vis de Staune !

    Il est faux qu'il n'existe "aucun philosophe sérieux affirmant qu'il est impossible de croire en Dieu" : Des philosophes comme d'Holbach, au 18 ème siècle, Badiou ou Richard Dawkins de nos jours, sont athées et le clament haut et fort. Dire comme Badiou que "Dieu est mort", cela signifie bien qu'il est impossible de croire en Dieu...

    et d'autre part il est FAUX que Staune ait écrit son livre pour montrer "qu'il est encore possible de croire en Dieu" : si c'était le cas, le livre n'aurait aucun intérêt, alors que l'on doit remercier Monsieur staune pour l'énorme travail d'étude des sciences qu'il a entrepris.

    il s'en explique d'ailleurs lui même :

    "Je rappelle tout d'abord que l'on sait aujourd'hui avec une précision incroyable - et c'est une révolution épistémologique - pourquoi on ne saura jamais certaines choses. Par exemple, on sait parfaitement pourquoi on ne connaîtra jamais la position et la vitesse d'une particule au même moment. Je n'en déduis nullement l'existence d'un Dieu trônant au milieu de ses saints. Je me demande simplement si notre Univers existe par lui-même, s'il est sa propre cause ou non. Ce que je veux montrer, c'est que si l'on poursuit cette démarche, on se rend compte effectivement que dans tous les grands domaines scientifiques (la physique, les mathématiques, l'astrophysique, la biologie, la neurologie), il s'est produit, à des degrés divers, des révolutions comparables à celle induite par les découvertes de Copernic. "

    Au fond, quel est le véritable motif des fautes grossières de raisonnement de Comte-Sponville que nous avons ici mises en évidence avec une certitude absolue (et il en existe bien d'autres..)?

    chez un homme aussi intelligent et cultivé, je ne peux croire que cela soit dû à une insuffisance intellectuelle !

    Non, la véritable raison c'est la haine qu'il voue à quiconque ne se plie pas à la "pensée unique" qu'il représente à merveille !

    à savoir : ce que Badiou appelle "matérialisme démocratique", et que j'appelle , moi, athéisme post-moderne...à savoir un athéisme "cool", "soft", "branché", qui "respecte" toutes les croyances et se présente comme le stade ultime de la démocratie en philosophie.

    Mais cette dérive n'est possible qu'en s'appuyant sur des imprécisions dans le vocabulaire et l'armature conceptuelle. J'ai déjà expliqué pourquoi sa catégorie de "matière" est totalement inepte... mais je crains fort que ce qu'il appelle "esprit" ne soit entaché du même flou ou des mêmes grossières apporximations qui amènent très vite à l'erreur.

    il est par exemple FAUX de dire que "l'idéalisme est cette position qui affirme que l'esprit crée la matière".

    Cela, c'est l'idéalisme absolu , comme il existe par exemple dans certains courants du Vedanta, et encore..

    mais il existe bien d'autres formes d'idéalisme, comme l'idéalisme transcendantal de Kant; ou bien celui de Fichte, qui en diffère d'ailleurs sensiblement; ou bien encore celui de Hegel, celui de Schopenhauer (qui offr l'exemple d'un idéalisme absolu, ET d'un athéisme absolu).

    L'idéalisme dont parle Brunschvicg est encore différent : il distaingue la forme d'extériorité (le "choc") et la forme d'intériorité, et n'affirmerait jamais que la seconde "crée" la première !

    Ici la position de Staune, qui correspond aux premiers chapitres de son livre, abordant la révolution épistémologique de la mécanique quantique, est nettement victorieuse : il est impossible d'ignorer les mutations de la science, et notamment de la physique, pour se réfugier dans une prétendue "métaphysique pérenne" !

    Or la physique quantique, comme le montre Staune, déconstruit complètement le vieux concept de "matière", sur lequel s'appuyait, et s'appuie encore, le matérialisme philosophique, "métaphysique" ou "idéologique".

    La seule position philosophique compatible avec cette nouvelle physique est, comme le montrent les travaux de Michel Bitbol, l'idéalisme transcendantal, dans l'une ou l'autre de ses variantes.

    Car "parler" rationnellement des entités de la physique, qui prennent la place de la vieille "matière" , exige que l'on s'appuie sur des notions mathématiques, rien moins que "matérielels" et "indépendantes de l'esprit"comme les espaces de Hilbert : et un théorème précis l'a même démontré, comme l'a rappelé Michel Bitbol...

    Mais il n'est même pas besoin d'entrer dans ces considérations pour réfuter Comte-Sponville! car que voudrait dire, exactement, "être indépendant de l'esprit" ?

    cet arbre que je vois à 10 mètres: certes ce n'est pas moi quil 'ai créé, ni aucun "esprit"... mais peut on dire cependant qu'il existe absolument indépendamment de mon esprit, ou de tout esprit humain ?

    Non ! car cet arbre, il correspond à ma perception actuelle, ou à celle d'autre humains un jour ou l'autre ! il est ma "représentation", il indique mes possibilités d'actions vis à vis de lui...un insecte ne perçoit certainement pas un "arbre" là où je vois, moi, un "arbre" ! puisque les possiblités d'action d'un insecte sont différentes des miennes ...

    On aura alors l'idée de citer , par exemple ces astéroïdes situés trop loin dans l'espace-temps pour qu'une conscience humaine puisse jamais les observer, même avec un télescope infiniment perfectionné, ou bie même pas des astéroïdes, mais des ondes, ou des particules , ou des formes d'énergie "situées" très près de la Singularité appelée "Big Bang"..

    Eh oui, mais dans ce cas là, "percevoir" ne veut plus rien dire !

    est ce à dire que ces particules, ou formes d'énergie, sont "indépendantes" de l'esprit humain ?

    Non ! car il faut l'esprit humain, et la mathématique créée par lui, pour les conceptualiser, c'est à dire les "créer" dans un espace conceptuel...un espace mathématique !

    poussant juste un peu plus loin, on abordera à la "vision en Dieu" qui est la découverte philosophique de Malebranche !

    qui n'était certainement ni athée, ni matérialiste !

     

     


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  • le texte qui suit avait été écrit par moi en 2005 ou 2006 sur un ancien blog, qui n'existe plus....je le remets en ligne ici, rien que pour constater les invariants et les différences, soit le chemin parcouru depuis....

    *************************************************************

    J'éprouve une profonde admiration pour Baruch Spinoza, qui est à mon avis un des plus grand philosophes de tous les temps; lui, Descartes et Leibniz constituent la triade des penseurs qui ont accompagné et rendu possible la rupture épistémologique qui est à l'origine de la science moderne.

    Il est cependant aisé de constater que la notion de l' Absolu ou de Dieu qui a été ici mise en avant diffère profondément de la conception spinozienne du "Deus sive Natura", ou encore de la Substance définie dans l'Ethique (définition 6):

    "Par DIEU j'entends un être absolument infini c'est à dire une substance constituée par une infinité d'attributs, chacun d'eux exprimant une essence éternelle et infinie"

    Ici par contre nous considérons que c'est la Raison qui est l'absolu (DEUS sive RATIO), c'est à dire la condition de possibilité d'un accord universel sur la vérité. On pourrait donc dire que par rapport à Spinoza nous restreignons l'absolu à l'Attribut Pensée (on sait que parmi l'infinité des attributs de la sustance, Spinoza distingue l'Etendue, la Pensée et une infinité d'autres attributs qui sont d'après lui inconcevables à la raison humaine, et dont il ne dit donc rien). Et c'est en ce sens que nous nous réclamons de l'idéalisme de Brunschvicg, mais sans mettre ce dernier sur un piédestal à la façon dont certains "spinoziste" mystiques (influencés par Constantin Brunner) transforment l'homme Spinoza en un dieu vivant...soit une idole !

    Comme le Concept hégélien, la Raison doit être envisagée comme se développant dans le Temps : "le Temps est le concept existant empiriquement". Il n'y a là de difficulté que pour ceux qui se font de Dieu une conception dogmatique et statique, et pour qui la perfection interdit toute évolution par définition et entraine donc l'éternité conçue comme immuable. Une autre voie de pensée se trouve ouverte dès les origines de la tradition philosophique, la voie héraclitéenne valorisant le flux et le passage par rapport à l'imuabilité parménidienne de l'Etre. On pourrait dire que l'ontologie est parménidienne.

    Je refuse aussi d'introduire une scission et un dualisme dans la Pensée, et de distinguer un entendement qui serait seulement pratique et opératif d'un "Penser spirituel" ou "véritable mystique"  (qui serait celle de Jésus ou de Bouddha et qui aurait été pervertie par les religions). Ce que j'appelle Raison, et qui n'est autre que la source et la condition de toute pensée ayant valeur de vérité, et s'exerçant de manière intersubjective, regroupe aussi bien la "Vernunft" , soit la raison en rapport avec le système des Fins, que le "Verstand" ou entendement pratique. Mais bien sûr sans les confondre, et en mettant au sommet ce qui est le plus haut, soit la Mathesis, condition de possibilité de la pensée mathématique. Ceci réclame pour être compris une pensée organique et du "processus" plutôt que de la substance, et c'est ici bien sûr que nous rencontrons Whitehead.

    Que l'absolu, soit la Pensée à l'oeuvre dans la mathématique-physique et la (véritable) philosophie, doive être conçu comme un processus se développant dans le temps entraine que tout penseur, aussi grand qu'il soit, sera un jour ou l'autre dépassé, et nul n'échappe à cette règle, ni Spinoza, ni Whitehead ni Brunschvicg. Mais l'on doit ajouter que toute grande pensée est aussi éternelle d'une certaine façon, c'est à  dire contient des germes qui restent actifs pour tous les temps.

    Ce qui restera éternellement de Spinoza, c'est , entre autres, la doctrine du troisième genre de connaissance et l'introduction de la pensée mathématique ("more geometrico") comme schème régulateur de l'exposition et de la recherche philosophiques.  Par contre il y a indiscutablement chez lui un reliquat dogmatique et médiéval (comme chez Descartes d'ailleurs) , c'est d'ailleurs ce que disait Wolfson : si l'on prenait toutes la philosophie médiévale (juive, arabe et chrétienne) et qu'on la déchirait en petits morceaux de papiers que l'on lancerait en l'air, on pourrait recomposer l'Ethique avec eux.

    Mais ce que manquait Wolfson dans cette remarque, c'est justement l'aspect "éternel", dynamique, de la pensée de Spinoza, qui ne se laisse pas "décomposer et recomposer" en une série de "petites parcelles"; cet aspect dynamique, c'est justement celui qu'a retenu Brunschvicg, dont la pensée en a été comme irriguée depuis le début de sa carrière philosophique, vers les années 1890 (le premier "Spinoza" de Brunschvicg date si je ne me trompe de 1895). On voit ceci avec évidence dans le petit texte de Brunschvicg : "Sommes nous spinozistes ?" que j'ai souvent cité, et qui est ici :

     http://societas-spinozana.over-blog.fr/article-26376270.html

    et où, à la suite d'Hannequin, il situe son spinozisme par delà la construction métaphysique qui enveloppe l'Ethique:

     «A un de ses élèves qui lui demandait quels étaient les derniers bons livres sur Dieu, Hannequin répondait en souriant : Je crois que c'est encore Spinoza et Kant...Peut-être Spinoza (écrivait-il encore), a-t-il trouvé le vrai fond de ce qu'il y a de religieux dans notre âme, en y trouvant la présence de ce qu'il appelait la substance de Dieu. C'est peut-être le seul exemple d'une doctrine religieuse que n'ébranle en rien la ruine de toute la construction métaphysique qui l'enveloppe. Et il est saisissant d'apercevoir tout ce qui lui est commun avec Kant, qui certainement, sous le nom de Raison, reconnaît une présence semblable mais ne consent jamais à spéculer sur le même sujet.»

    On voit clairement dans ce passage que selon Hannequin, et Brunschvicg qui l'approuve, "Dieu" est conçu comme une immanence, une "présence" dans le "fond" de l'âme qui est ce que Kant appelle "Raison". La construction métaphysique qui enveloppe la doctrine est l'appareillage , résidu scolastique et aristotélicien (c'est ici que wolfson a raison) de la Substance et des Attributs.

    Citons encore Kojève, à  l'intention des idolâtres qui considèrent l'Ethique un peu comme les juifs orthodoxes la Torah ou les musulmans le Coran : un livre dont la Vérité absolue a déjà  été écrite (alors qu'elle ne le sera qu'asymptotiquement ,  puisque la Raison se fixe une tâche infinie, comme le note Husserl dans la Krisis) :

    "L'Ethique de Spinoza explique tout, sauf la possibilité pour un homme vivant dans le temps de l'écrire"

    (quel hommage en même temps à cet extraordinaire génie qu'est Spinoza !!).

    Le détour par Kojève me permettra aussi de revenir à  la conception de l'absolu que j'entends défendre contre les conceptions substantialistes: on sait qu'il  plaide pour un athéisme radical qu'il attribue d'ailleurs à  Hegel (selon lui le premier Sage, c'est à  dire le premier philosophe ayant réalisé la philosophie jusqu'au bout) contre les historiens des idées qui considèrent Hegel comme un chrétien (mais peut être n'y a t'il pas là  de contradiction, si l'on considère avec Marcel Gauchet que le chirstianisme est la religion de la sortie de la religion).

    Dans "Le concept, le temps et le discours" (un extraordinaire ouvrage hélas inachevé) il démontre cet athéisme par un argument philosophique tendant à  prouver le caractère contradictoire de la pseudo-notion : "Etre-éternel". Cet argument trés élaboré est valide : mais il ne tient pas contre une autre conception de l'Absolu , celle qui le voit comme le processus de la Raison se réalisant dans le Temps.

    On peut aussi le considérer comme isomorphe (donc pouvant être confondu, selon un geste mathématique bien connu) au concept hégélien, qui est selon Kojève "L'Unitotalité intégrée de toutes les notions non contradictoires" (à  l'exclusion des pseudo-notions comme "Dieu-Etre-Eternel" donc). Car encore une fois, "à  la Fin", la Raison vue comme entièrement réalisée se confond avec sa réalisation, le Concept  : c'est là  le sens de l'aphorisme mallarméen : "Le monde est fait pour aboutir à  un Livre", qui s'oppose point par point aux conceptions  musulmanes selon lesquelles ce Livre est écrit "au début", ou "avant le Temps" ou "au delà  du temporel-historique", ce Livre étant pour eux  le Coran dans son double aspect créé-incréé.

     Mais ce sont là  des bouffoneries ridicules, et l'on sait d'ailleurs (cf "L'Islam: ses véritables origines" par Joseph Bertuel) que le Coran, qui a été écrit tout au moins pour sa partie théorico-mystique par les rabbins ébionites de La Mecque qui sous la direction de Waraqa Bin Nawfal ont initié Mohammed au monothéisme et ont ainsi créé un monothéisme arabe,dénommé Islam, le Coran donc n'est qu'un copié-collé de certains morceaux de la Torah (il contient en plus ce que l'on pourrait appeler "Les actes de l'Islam", l'histoire de ses débuts sanglants donc, et notamment celle de la brouille entre juifs et musulmans à  Médine et l'expulsion des tribus juives de cette ville).

    Mais, bien sûr, la "Raison réalisée" est une notion inconcevable, comme "Infini actuel", puisque la Raison est justement l'Infini.

     L'interdit signalé par Badiou de la pensée mathématique contre la notion de Totalité ("ensemble de tous les ensembles") tient au même fil de pensée.

     La Raison est toujours en train de se réaliser, l'Esprit est ce qui toujours nie, toujours détruit pour reconstruire, "toujours dans le Travail de sa reconfiguration" : et s'il est vrai que l'absolu est Résultat et que le Vrai n'est qu'à  la fin ce qu'il est "pour de vrai", encore ne doit on pas plaquer cette Idée (fictive) hégélienne de la Totalité pour contredire l'interdit mathématique : il ne s'agit pas de la même chose.

     Et contre Hegel et sa constante tendance à  rabaisser les mathématiques, il faut dire que la Mathesis , un peu comme "Ulysse aux mille tours", ou comme l'Homme rusé de Gurdjeff, trouve le moyen de passer par dessus l'Interdit pour "parler quand même du Tout" (que l'on étudie la cosmologie moderne si l'on ne me croit pas). Il ne me faudra pas moins que l'Eternité pour m'expliquer là  dessus! en tout cas il fallait que la boucle soit bouclée, afin qu'un malencontreux wittgensteinien (y en a t'il un dans la salle ?) ne la "ramène pas" avec son silence mystique , "taire ce dont on ne peut parler"  : non Monsieur Wittgenstein, ce sont les religieux (comme vous) qui sont forcés au silence (de leur cloître ou de leur ashram) par la discussion rationnelle. la Raison par contre n'est jamais mise au silence, elle juge de Tout et n'est jugée par Rien.

    Alors bien sûr, comme promis dans le titre, nous en arrivons, au terme (provisoire) de ce parcours qui n'est ici que balisé dans ses grandes lignes, à Whitehead, ce penseur-mathématicien  fascinant et extraordinairement créateur  qui a écrit avec Russell les Principa Mathematica (premier essai de logique symbolique philosophique) en 1910, puis s'est ensuite tourné des mathématiques vers la philosophie (ce qui n'est pas pour nous surprendre, nous autres !) et a donné vers 1927 (même période que "Sein und Zeit" donc !) l'un des ouvrages les plus difficiles de la philosophie de tous les temps : "Process and Reality".

    Dans cet ouvrage Whitehead se situe lui-même  explicitement dans la ligne de Spinoza :

    "La philosophie de l'organisme est étroitement apparentée au schème de pensée de Spinoza. Mais elle en diffère en ce qu'elle abandonne les formes de pensée sujet-prédicat; elle n'admet pas  le présupposé selon lequel une telle forme pourrait atteindre la caractérisation la plus ultime des faits. Il en résulte d'abord qu'on évite tout recours au concept de substance-qualité; ensuite qu'on remplace la description morphologique par celle de processus dynamique"

    Whitehead a ceci en commun avec Bergson (et Frege, et bien d'autres) qu'il se méfie des "rets du langage" dans lesquels est selon Nietzsche toujours déjà pris. Le langage, n'importe quel langage, tout comme d'ailleurs la mathématique au début (née des besoins de l'arpenteur ou du commerçant) n'a pas été conçu pour la haute spéculation sur la nature ultime du réel, il est né sur la place publique, pour satisfaire les besoins grossiers de l'homme ordinaire. Mais tout grand philosophe , conscient de cette situation déplorable, a à coeur de construire un nouveau langage (spéculatif donc) à partir de la tourbe vile des "mots de la tribu". C'est là tâche d'alchimiste transformant le plomb en or. Que l'on tente donc de lire la Phénoménologie de l'Esprit en donnant aux mots leur sens ordinaire ! Et Whitehead lui aussi s'attelle à cette tâche, il crée des néologismes quand il en est besoin dans son magnum opus "Process and reality". Mais alors que Bergson se fie uniquement au langage poétique pour retrouver l'intuition de la réalité et de la durée vivante, Whitehead réclame que cette utilisation de la métaphore poétique soit "contrôlée" par la logique mathématique (des Principia à son époque, des topoï aujourd'hui) et l'algèbre.

    C'est là  à mon avis que Whitehead reste fidèle à  l'intuition fondatrice de Spinoza et Descartes, qui n'est autre que l'Envoi de la Mathesis universalis : il place le mathème au dessus des logoi (contre Hegel donc) dans le travail d'élaboration du systême total du Savoir.

     Comment ne pas voir, nous qui avons la chance de vivre après 1945 et de connaitre donc la théorie des catégories, qu'il faut aller "encore un pont plus loin" et abandonner le poême (aux mystiques et aux amoureux) pour se confier uniquement, dans la tâche d'explicitation rationnelle du monde et de Dieu, à  la garde du mathême et à sa suturation symbolique? comment ne pas voir (comme j'y ai touché précédemment dans l'article sur "La mutation de la Mathesis en Europe au 17 ème siècle) que la constitution progressive de l'objet que permet le schème de pensée catégorique, entièrement inimaginable pour un Aristote ou même un Spinoza, encore plongé complètement dans les limites propres à  la structuration sujet-prédicat des langages indo-européens, et sémitiques d'ailleurs, donne à  ce nouvel outil entièrement adéquat de la Mathesis qu'est la théorie des catégories la Toute Puissance divine-rationnelle dans l'élaboration de la connaissance "unitotale"? puisque n'importe quel niveau déjà  constitué (quelle qu'en soit sa texture, y compris les morphismes, qui sont la traduction catégorique du schème héraclitéen) peut à  son tour devenir objet d'une nouvelle catégorie plus intégrante et plus aboutie et qui permettra ensuite de définir les bons morphismes qui le mettront en corrélation avec d'autres objets?

     comment ne pas voir qu'il s'agit là  de la spiritualisation en acte du monde dont parlait Brunschvicg, du travail de constitution de Dieu donc, et du monde entièrement spiritualisé contenu dans le "Livre final" : le Réseau Total d'objets et de morphismes constitué , et contenu en Lui même à  titre "d'objet interne"?

    Mais comme nous ne sommes pas nous mêmes adéquat à  cette Pensée (et pour cause!) nous aurons ici la modestie, pauvre ombre,  de céder (encore une fois!)  la parole au poême de Schiller corrigé par Hegel : cette  citation  termine la Phénoménologie de l'Esprit, venant après le prodigieux passage sur le Savoir Absolu comme "but" de l'Histoire, ce n'est rien d'autre que la thèse que nous endossons ici sur l'identité de Dieu et de la Pensée Infinie qui est Raison, même s'il faudrait bien d'autres développements pour nous en assurer ;disons juste ici , même si cela va contre l'hégélianisme, que ce que Hegel appelle l'étendue ou abolition de la profondeur est  le réseau achevé (à  l'infini du Temps) de la spiritualisation du monde par la mathématisation en catégories et foncteurs, soit par la physique achevée, qui n'est rien d'autre non plus que ce qu'il appelle science du Savoir, soit une "structure absolue" de type mathématique-catégorique qui "comprend" totalement la contingence du devenir; les esprits ne sont autres que les individus qui réalisent leur seule "éternité" et "divinité" possible en s'insérant dans la tâche infinie du développement de la Connaissance, c'est à dire en assumant leur rationalité et leur savoir d'eux mêmes comme esprits universels et non comme entités seulement biologiques ou ethniques:

    "le royaume des esprits qui s'est formé de la sorte dans l'existence constitue une succession dans laquelle un esprit a pris le relais de l'autre et où chacun a pris en charge du précédent le royaume du monde. Son but est la révélation de la profondeur, et celle ci est le Concept Absolu; cette révélation, partant, est l'abolition de sa profondeur, ou encore elle est son étendue, la négativité de ce Je qui est en soi, laquelle est son aliénation ou sa substance-et son temps est le temps que cette aliénation s'aliène chez elle même......le chemin qui mène à ce but, au savoir absolu, ou encore à l'esprit qui se sait comme esprit, est le souvenir des esprits tels qu'ils sont chez eux mêmes et accomplissent l'organisation de leur royaume. Leur conservation selon le côté de leur libre existence dans son apparition phénoménale sous la forme de la contingence, est l'Histoire, tandis que du côté de leur organisation comprise de manière conceptuelle, c'est la science du Savoir dans son apparition phénoménale; l'une et l'autre réunies ensemble, l'Histoire comprise conceptuellement, constituent le souvenir et le GOLGOTHA de l'Esprit Absolu, l'effectivité, la vérité et la certitude de son trône sans lequel il serait solitude sans vie":

    "Et c'est seulement du calice de ce Royaume   d'esprits

     que monte vers Lui l'écume de Son Infinité"


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  • Voici des extraits de notes personnelles d'Edmund Husserl , datant des années 1906-1908, période où il était en pleine évolution spirituelle et même révolution de pensée par rapport aux années précédentes, celles des Recherches logiques (1900-1901) et avant les années de la maturité (1913, avec les Ideen ).

    Ces notes sont en appendice de l'ouvrage (Vrin) : "Introduction à la logique et à la théorie de la connaissance  1906-1907".

    Le moins qu'on puisse dire est qu'elles révèlent un Husserl "un peu décalé" par rapport à l'image d'Epinal !

     un Husserl qui  est le véritable héros de la pensée qui ne craint pas de voisiner les gouffres, comme l'acrobate du "Zarathoustra", un Lucifer ou un Prométhée qui va chercher le feu salvateur sur les cimes glacées inaccessibles au commun des mortels, pour le ramener et en faire cadeau à l'humanité...

    ce feu qui n'est autre que le "feu intérieur", "dans le coeur", que transmet le père du film "La route" à son fils, ce qui permettra à sans doute à ce dernier d'échapper aux horreurs cannibales de la "fin d'un monde", ou au moins de na pas y participer lui même :

    http://www.blogg.org/blog-30140-billet-la_route__film_de_john_hillcoat-1119023.html

    Notes du 25/09/1906:

    «sans parvenir à la clarté ...sur le sens, l'essence, les méthodes, les principales perspectives d'une critique de la raison, sans en avoir pensé, établi et fondé une ébauche générale, je ne peux pas vivre vraiment ni véritablement. Les tourments de l'obscurité et du doute vacillant de part et d'autre, j'en ai suffisamment profité. Je dois parvenir à une stabilité intime. Je sais qu'il s'agit là de grandes et de très grandes choses, je sais que de grands génies y ont échoué. Et si je voulais me comparer à eux, je devrais d'emblée désespérer. Je ne veux pas me comparer à eux, mais sans clarté je ne peux tout simplement pas vivre. Je veux et je dois, dans un travail désintéressé, dans un approfondissement purement objectif, m'approcher des buts supérieurs. Je combats pour ma vie et pour cela je crois en l'espoir de pouvoir progresser. La nécesité vitale la plus forte, la légitime défense contre les dangers de la mort donnent des forces insoupçonnées, démesurées. Je n'aspire pas ici aux honneurs ni à la gloire, je ne veux pas être admiré, je ne pense pas aux autres ni à un appui extérieur pour moi.Une seule chose me remplit : je dois obtenir la clarté, sans cela je ne peux pas vivre, je ne peux pas supporter la vie si je ne peux pas croire que je conquiers cela, que je peux effectivement, et moi même, et avec un regard clair, entrer intuitivement au sein de la Terre promise.....

    ...avant tout j'ai besoin de l'assistance du Ciel. De bonnes conditions de travail et une concentration intime, l'union intime avec les problèmes. Sans cesse lire, améliorer, réécrire les anciens manuscrits. Et se sentir prêt et être prêt pour le grand but cf Amiel...

    Comme je suis faible : j'ai besoin de l'assistance des grandes âmes. par l'abondance de leur force et de leur volonté pure ils doivent me fortifier. Je m'imprègne totalement d'eux et j'apprends à détourner le regardde l'occupation quotidienne qui me tire vers le bas.

    O mon Dieu , cette dernière année ! comme j'ai dû me laisser paralyser par le mépris collégial, par le rejet de la faculté, par la déception de l'espoir d'une place extérieure. Ai je jamais travaillé pour cela ?...

    des dispositions d'esprit pures, une vie intérieure pure, s'imprégner des problèmes et purement d'eux et être tourné seulement vers eux, tel est mon espoir pour l'avenir. si cela ne réussit pas, je ne peux alors vivre qu'une vie qui est bien plutôt une mort... l'heure a sonné à laquelle je dois prendre la décision. Ce n'est pas la simple "volonté", , comme une résolution prise une fois, qui suffit. Il est besoin du renouvellement intime, ou de la purification et de la stabilité intimes.

    Contre toutes les choses extérieures, contre toutes les tentatives du vieil homme, je dois m'armer, me cuirasser neuf fois d'airain.

    Je dois aller mon chemin d'une façon aussi assurée, aussi fermement résolue et aussi sérieuse que le chevalier de Dürer, malgré la mort et le diable. Hélas, la vie a été pour moi suffisamment grave. La sérénité de la jouissance sensible de la vie m'est devenue étrangère et doit me rester étrangère.

    Je ne dois pas être passif (et la jouissance est passivité).

    Je dois vivre dans le travail, dans le combat, dans la lutte douloureuse et grave pour la couronne de la vérité.

     La sérénité ne manquera pas: le ciel serein au dessus de moi si j'avance bravement et sûrement, comme au dessus du chevalier de Dürer ! et que Dieu soit avec moi comme avec lui, bien que nous soyions tous pécheurs.»

    notes du 6/03/1908 :

    «les vacances de Pâques ont commencé. Je suis ici seul. J'espère me rassembler. J'espère surmonter la dissociation intime. Je veux me reconstruire et donner à ma vie spirituelle la référence unitaire à ses grands buts. J'étais et je suis "en grand danger pour ma vie".

    eh bien comme il plaît à Dieu !mais je veux vaincre ou mourir. Mourir spirituellement, succomber au combat pour la clarté intime, pour l'unité philosophique, et vivre encore physiquement : cela, je l'espère, ne me sera pas dévolu et ne sera pas possible pour moi.»

    Ces notes doivent nous soutenir et nous aider à garder notre équilibre et notre stature dans l'épreuve, qui n'est rien d'autre que l'épreuve du (non)-monde, de la déréliction, de l'absence de sens, de , non pas même l'hostilité, ce serait encore trop beau, mais de la dérision douloureuse et de la cruauté médiocre.

    Husserl prend ici la stature du Chevalier lancé sur les routes de la seule Croisade qui importe : la croisade intérieure.

    Quoi ? lui aussi a affronté le mal , la dissociation, la distraction, le vide de la vie banale et commune ?

     oui, lui aussi ! et il a vaincu !

    Et , bien sûr, une autre pensée qui doit nous fortifier est celle du Christ, qui a vaincu le monde.

    Nous n'avons pas le droit de renoncer, de laisser tomber, de revenir à la vie des larves.

    il nous faut avancer joyeusement et résolument vers l'obscurité, vers les "ténèbres visibles", tels le chevalier partant en Croisade.

    il nous faut vivre dans l'Imitation de Jésus-Christ, et descendre nous aussi en enfer, "ad inferiora", dans l'enfer qui est la connaissance de soi-même.

    Comment ne pas finir par la parole d' un autre Chevalier de l'Esprit, un autre grand philosophe "chrétien", du christianisme des philosophes à défaut de celui des nourrices : Léon Brunschvicg (1869-1944), qui vivait à la même époque que Husserl (1859-1938). Ces deux citations sont extraites du début de "Raison et religion" (la première, qui est une citation de Lachelier par Brunschvicg, dans l'introduction, la seconde, qui est une citation de Hamann, dans le prmeier chapitre):

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/raison_et_religion/raison_et_religion.html

    «la vraie religion est bien incapable de naître d’aucun rapprochement social ; car il y a en elle une négation fondamentale de tout donné extérieur et par là un arrachement au groupe, autant qu’à la nature. L’âme religieuse se cherche et se trouve hors du groupe social, loin de lui et souvent contre lui... . L’état de conscience qui seul peut, selon moi, être proprement appelé religieux, c’est l’état d’un esprit qui se veut et se sent supérieur à toute réalité sensible, qui s’efforce librement vers un idéal de pureté et de spiritualité absolues, radicalement hétérogène à tout ce qui, en lui, vient de la nature et constitue sa nature...(Lachelier cité par Brunschvicg)......

    un effort méthodique est requis afin d’arracher à la nuit de l’inconscience le résidu de l’élémentaire et du primitif, afin d’en faire décidément justice. Or, en travaillant pour découvrir le visage de cet ennemi invisible à travers les artifices séculaires par lesquels l’homme s’est déguisé à lui-même son égoïsme radical, on s’aperçoit que ces artifices portent en quelque sorte malgré eux témoignage d’une vocation de désintéressement. Ils préparent le mouvement de conversion par lequel, de Dieu à l’homme, la communication intime entre esprit et esprit prendra la place de la relation externe entre personne et personne. C’est le moment de rappeler la rude et salutaire parole de Hamann, que Kant aimait à citer : la connaissance de soi, c’est la descente aux enfers, qui ouvre la voie de l’apothéose »


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