• Articles sur La Leçon de choses en un jour

    Le Valais merveilleux d’Alain Bagnoud, PAR SERGE BIMPAGE ( La Vie protestante, Blogres, http://blogres.blog.tdg.ch)

     

    En cuisine, l’omelette est la plus difficile à réussir. Obtenir le velouté voulu, tout en respectant la singularité de l’œuf, c’est tout un art. Il en va pareillement du récit de vie. L’élever au rang de littérature, l’universaliser sans dénaturer le caractère personnel des ingrédients est une gageure.

    Eh bien, Alain Bagnoud est un bon cuisinier ! Dès la première ligne (« de l’extérieur de la maison venaient les grommellements, les bouillonnements brusques qui m’avaient tiré du sommeil. Des son inhabituels enchâssés dans le bruit du torrent…»), sa « Leçon de choses en un jour » se déguste.

    Un jeune garçon s’éveille le matin de son anniversaire. Il reçoit le plus beau cadeau qui soit, réalisant qu’il vient d’entrer dans l’âge de raison. Perspective exaltante, dont la matérialisation se révélera cependant plus ardue que prévu. Nous sommes dans les années soixante, en plein cœur d’un petit village vigneron du Valais. Le héros commence à comprendre les arcanes de cette société rurale ; sa hiérarchie, ses règles, ses désirs et ses angoisses de modernité.

    Alain Bagnoud emmène son lecteur par la main dans le quotidien rugueux et merveilleux de la vigne, de la maison, de l’école et de l’église. Tout un univers où le monde semble s’être arrêté devant le seuil du progrès ; tout un monde de petites gens au cœur gros comme les montagnes avoisinantes, qui parlent un patois dont l’auteur nous gratifie de la saveur. Avec un rare talent d’évocation et une justesse de ton qui soude ce récit de longue haleine, il brosse ici un portrait lumineux du Valais que Chappaz ne renierait pas.

    « Leçon de choses en un jour », par Alain Bagnoud. Editions de L’Aire, 292 pages

     

    Roman d'apprentissage, Par Jean-Michel Olivier, Scènes Magazine

    Avec La Leçon de choses en un jour***, Alain Bagnoud (né en 1959 à Chermignon) nous donne un beau roman d'apprentissage. Divisé en sept parties, son livre raconte une journée très particulière : le narrateur enfant fête son entrée dans l'âge de raison (qu'il attend avec impatience). Qu'est-ce que grandir ? Quand devient-on adulte ? À quels mystères permet d'accéder cet âge de raison ? Avec finesse et empathie, Bagnoud recrée l'atmosphère d'un village valaisan des années soixante, perdu au milieu des vignes, avec l'école, l'église, le français mâtiné de patois que parlent ses habitants. Il analyse aussi sa hiérarchie, ses règles inquiétantes, la foi mêlée de superstitions des fidèles, les secrets fascinants de certains.
    La leçon de choses est une ouverture au monde mystérieux des adultes. Qui n'est plus le monde enchanté de l'enfance. C'est donc à la fois une découverte et un deuil. Seule l'écriture permet à l'enfant de concevoir que " le monde n'est pas toujours ce qu'il semble être, qu'il est plus riche et complexe qu'il n'y paraît. " Grâce à ce beau récit, d'une grande densité poétique, Alain Bagnoud revisite son enfance et se réconcilie, sans doute, avec ses racines valaisannes.


    La Leçon de choses en un jour, par Joël Périno, Dernières nouvelles de l'homme (http://perinet.blogspirit.com)

    Sur les blogs je rencontre des écrivains. Il arrive même que je les rencontre « pour de vrai. » Et bien sûr je suis amené à les lire ce qui est la moindre des choses me direz-vous. C’est ce qui m’est arrivé avec Alain. C’est tout neuf. Cela date du dernier salon du livre de Genève. Pas totalement étonnant quand on sait qu’Alain est prof à Genève.

    Mais Alain est aussi Valaisan. Quand j’ai écrit « éclats et pulsations » je n’ai pas arrêté de répondre à la question : « Quelle est la part d’autobiographie ? » C’est la question que tout lecteur à envie de poser à Alain Bagnoud. Je réponds sans le consulter « une part énorme ! » Je ne sais pas trop pourquoi après tout car je le connais à peine. Et pourtant, il me semble ressembler comme deux gouttes d’eau à son jeune héros Aulagnard. Aulagne, Sinerre, des noms inventés mais dont il ne faut pas chercher bien loin l’équivalence.

    Raconter son enfance serait, pour un écrivain, presque un exercice de style si, en fait, ce n’était aussi le fond de commerce de toute littérature. Les précédents sont innombrables, des autofictions plus ou moins transposées, l’Aulagne d’Alain est le Combray de Proust, le Macondo de Marquez…  Donc Alain fait dans le classique. Il fait aussi dans l’unité de temps et de lieu comme dans les pièces du Grand Siècle. 290 pages qui couvrent une seule journée, l’anniversaire de notre héros qu’il transforme en une seule leçon de chose.

    Je ne me souviens pas où j’ai lu qu’il suffirait d’avoir vécu une seule journée pour pouvoir écrire de nombreux volumes. J’avoue que cette perspective m’avait laissé songeur. Je ne me sens pas trop capable de réussir cet exercice et j’avoue que, quand j’ai commencé le livre d’Alain et compris que tout se déroulerait réellement comme le dit son titre « en un jour », j’étais un peu inquiet. Et bien figurez-vous qu’il fait mieux que tenir la route. Avec ses personnages, Dogane le jeune étranger, pas de chez nous "les propres en ordre", donc à éviter, Milon un peu sorcier, le régent* et surtout Augustine la régente, sévère et bornée, le petit curé et surtout Monsieur Richard Mitte de Lucien, entrepreneur friqué et tout puissant que tous les gens du village semblent révérer, Alain Bagnoud nous captive. Je vous dirai un peu plus demain à quel point j’ai aimé ce roman. 

    * Régent - Instituteur en Suisse et aussi dans la Savoie de mon enfance. Il faut reconnaître que cela donne une autre dimension qu’instit même renommé « professeur des écoles »

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    Le héros principal et narrateur est ce petit garçon de sept ans qui arrive, ce jour là, dans le monde des grands mais qui sent bien qu’on ne va pas lui faire toute la palce et tout lui expliquer… pas tout de suite en tout cas. C’est un garçon rêveur, qui confond souvent ses songes et la réalité, qui se prend pour un grand footballeur, un preux chevalier… C’est le propre de l’enfance me direz-vous. Oui mais c’est encore plus l’enfance d’un écrivain.

    A part ces rêves éveillés commun à tous les imaginatifs, l’écrivain se construit de plusieurs manières. La mienne est clairement dans la révolte contre un monde trop injuste, révolte sourde et inefficace mais néanmoins viscérale. La manière d’Alain, pardon de son héros, est bien plus modeste, presque effacé. Confronté à l’injustice, à la force, aux puissants, il se dit qu’ils doivent avoir raison, que c’est lui qui ne comprend pas. C’est le cas face au tout puissant Monsieur Richard Mitte de Lucien, l’homme qui a réussi, qui gagne de l’argent, conduit de belles voitures…

    Et quand Augustine, la régente, féministe rétrograde (ça existe ?) frustrée de ne plus avoir sa classe de filles (ç’est bien plus sage les filles) essaye de l’humilier pour une faute qu’il n’a pas commise, il se dit que c’est peut-être de sa faute, qu’il doit faire preuve d’humilité devant un adulte. Encore que, plus tard dans la soirée, il aura le courage de rester quand la régente lui demande d’aller jouer pour parler seule à seule à sa mère.

    Bien sûr, il y a la part de « littérature », la volonté de se mettre à la place de l’enfant fragile face aux puissances. Volonté de partager les croyances communes et les traditions, fussent-elles rétrogrades, xénophobes. N’empêche que c’est bien réussi puisque j’ai adhéré au respect de l’enfant pour ces fausses valeurs et que j’ai eu envie de lui dire « n’écoute pas, ce sont des balivernes, »

    Alain nous décrit un monde disparu, la fin d’une époque de bondieuserie, de superstition mais aussi de solides valeurs morales. Quand je songe qu’il a neuf ans de moins que moi, c’est étonnant qu’il ait pu vivre ces choses. Je crois qu’il faut que j’y revienne... demain peut-être. Encore une fois, j'ai pris bien du plaisir à découvrir ce petit monde.

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    Est-ce que j’aurais pu écrire le livre d’Alain Bagnoud ?

    Sans doute pas dans la forme. Son écriture est évidemment très personnelle. Son style est agréable, très lisible, pas de mots savants, un vocabulaire adapté à l’histoire sans recherche excessive, du patois de ci de là dont j’aurais pensé qu’il ressemblerait plus au mien, le patois d’Abondance, pas très loin du Valais, à vol d’oiseau. 

    Dans le fond on a vécu tous les deux la fin d’une époque dans deux lieux semblables en ce qu’ils étaient les derniers à recevoir la sacro-sainte civilisation de l’aspirateur et de la tourniquette à faire la vinaigrette. Avec Alain nous avons neuf ans d’écart et j’aurais pensé, a priori, que, vivant en Suisse, il n’avait pas connu ce monde là. Eh bien si et il nous le fait bien revivre.

    J’hésitais sur le morceau à numériser.  J’aurais aimé vous mettre la négociation à propos des vieilles granges et comment le grand-père s’en sort magnifiquement à coup de proverbes en patois face à l’arnaqueur sans scrupule. A propos de patois :

    "Le patois, c'était le passé, la lourdeur figée, la boue, les odeurs de fumier, les vieux appartements mal aérés. Le carcan des traditions. Les modèles de comportement obtus. Les reproches muets et culpabilisants. Une lourdeur bête comme de la graisse figée qui enrobait une société pétrifiée, épaisse, irrespirable, étouffante.

    Augustine (le régente un peu bornée) avait raison. Elle faisait bien de s'irriter contre les vestiges de ce dialecte chez Delphine, de s'acharner à en arracher les racines qui résistaient, qui se réfugiaient dans des mots, dans des expressions, dans la syntaxe. J'approu-ais naturellement sa démarche. Moi aussi j'étais du côté du progrès, de l'avenir.

    Mais soudain la régente me stupéfia. Elle avait changé d'état d'esprit. Son gros nez en l'air, elle avait pris un air poétique. Elle parlait avec nostalgie. Pourtant, disait-elle, bien sûr le vieux temps avait du bon ! Toutes ces qualités qu'on n'a plus !

    - Tu étais plus jeune mais tu dois te rappeler, Rita ? Le bon vieux temps ! Les gens se connaissaient tous, ils savaient d'où ils venaient. Ils s'entendaient, ils discutaient, ils s'entraidaient. C'étaient des vrais chrétiens. Ils ne pensaient pas qu'à l'argent, ils avaient des vrais mérites !

    Comme une photo informe dont on s'aperçoit soudain qu'elle représente un panier de fruits ou un paysage photographié d'avion, l'inconséquence de sa position, qu'elle avait souvent exprimée en classe, me frappa brusquement, là devant l'église. Pourquoi alors, si le patois devait être extirpé par tous les moyens, la régente se mettait-elle à chanter les mérites du passé qui lui était lié ? Je me pose encore la question. Pourquoi, malgré sa nostalgie d'une société paysanne, Augustine travaillait-elle à en remplacer les valeurs par celles de la petite bourgeoisie, de l'ambition épicière et de la convention ?

    Car le bon français qu'elle prônait, c'était une vision du monde médiocre exprimée dans une syntaxe simple. Le bon élève devait se méfier de la richesse et de la plasticité de la langue. Il lui fallait couler sa parole dans les lieux communs, les expressions toutes faites, les formules reconnues. Parler le bon français, c'était collectionner des locutions, des manières de dire réglées. S'en faire un fond solide. Les stocker dans une réserve où il suffisait ensuite de puiser pour permettre les échanges consensuels, convenables, qui n'entraîneraient ni contestation, ni débats, ni troubles.

    La leçon de chose en un jour - page 229 -

    Dossier de presse, 2 décembre 2006

    Quelques articles encore à annoncer sur La leçon de choses en un jour, que je n'ai pas déjà signalés. Dans La Liberté de samedi passé. Ou dans le 24heures de je ne sais plus quand, sous la plume de Janine Massard (j'ai égaré le papier. Voilà ce que c'est de ne pas avoir d'ordre !)
    J'aimerais créer tout un dossier de presse pour le joindre à ce blog, sous forme de fichiers pdf. Vous voyez le genre : une vignette, on clique et l'article apparaît. Mais mes connaissances en informatique ne vont pas jusque là. Si quelqu'un peut m'aider...
    Joindre ces écrits me permettrait de prouver qu'on dit du bien de mon livre. Car on en dit du bien ! Mais oui ! Je cite (pas tout à fait au hasard mais très exactement): « Subtil roman d'une éducation sentimentale... » « beau récit d'une grande densité poétique... » « Alain Bagnoud montre que le Valais a quelque chose en lui d'universel. Ou comment mieux saisir que le monde, ici ou là-bas, est décidément plus complexe qu'on voudrait nous le faire croire... » « Ce délicieux roman  est d'une richesse infinie... » « C'est donc avec beaucoup de subtilité que le romancier a trouvé un ton juste, entre tendresse amusée et lucidité. »
    Arrêtons là, car votre opinion est sûrement faite. Après tous ces extraits, vous pensez décidément de moi, avec raison, ce que Léon Bloy disait de Huysmans :
    « Il ne se veut pas de mal ! »