• Steeve Briois

    Steeve Briois, élu maire de Hénin-Beaumont, ici à Lille le 25 mars 2014 (M.LIBERT/SIPA).

    "Peut-on être à la fois gay et membre du FN ?" C'est le sujet de dissertation que se sont imposés "Libération" et "Les Inrocks" après la victoire de Steeve Briois à l'élection municipale d'Hénin-Beaumont.

    Ces deux développements se ressemblent en ce qu'ils s'échinent à pratiquer la mise en abyme à l'infini :

    "Je pose la question de la signification de la présence d'un gay au FN, mais ai-je le droit de m'interroger, car m'interrogeant je pose une question que je ne devrais pas poser, mais je pense qu'il faut la poser, mais la poser est-ce vraiment légitime, n'empêche qu'elle se pose, cette question..." 

    En revanche, les deux dissertations se distinguent en ce que la réponse des "Inrocks" se veut une réponse à "Libération" : "Le gay facho, je maîtrise mieux le sujet que toi, béotien de la droitisation du gay provincial et parisien."

    L'orientation homosexuelle, une singularité ?

    Dans "Libé", Luc le Vaillant s'interroge :

    "Jusqu’à présent, ce sont principalement des hommes de gauche qui ont revendiqué des préférences de ce genre. Bertrand Delanoë en a été l’emblème le plus visible. C’est aussi le camp des progressistes qui a donné des droits aux minorités sexuelles (dépénalisation, pacs, mariage pour tous). Il sera intéressant de voir comment Steeve Briois agira en ces domaines. S’il célébrera lui-même l’union de deux personnes du même sexe, s’il montera en ligne contre l’homophobie. Répétons qu’il n’est tenu à rien en ces domaines, juste au respect de la loi. Il a tout à fait le droit de s’inscrire en faux contre les valeurs et les intérêts d’une communauté à laquelle il peut tout à fait refuser d’appartenir."  

    On discerne ainsi ce qui sous-tend le propose de "Libé" : "Un gay peut-il être facho, donc homophobe par destination ?"

    Ce traitement de l'orientation sexuelle de Steeve Briois a logiquement suscité une réponse des "Inrocks". Après avoir dénoncé l'auteur de "Libé" qui aurait fait étalage de ses "préjugés" et "raccourcis", la plume des "Inrocks" cite le politologue qui monte, Gaël Brustier, sur le sujet :

    "Il n’est pas antinomique d’être gay et de droite voire d’extrême droite. Il y a même une droitisation de cette communauté depuis le début des années 2000 (...) Il faut distinguer deux choses : l’idéologie dominante et l’attitude électorale. La première, en France, comme aux États-Unis ou aux Pays Bas, tend à pousser les gays vers le néo-conservatisme ou les nouvelles droites populistes."  

    Bref, quand bien même le rédacteur des "Inrocks" entend donner une leçon de science politique gay au rédacteur de "Libération", sa tribune est la preuve, au même titre que celle de son collègue, qu'ils sont au moins d'accord sur un point : l'orientation sexuelle homosexuelle, contrairement à l'hétérosexuelle, confère une dimension particulière à celui ou celle qui est amené à exercer des fonctions politiques et/ou publiques, et à ce titre peut faire l'objet d'études, d'enquêtes ou d'investigation particulières. 

    Traquer "Le Gay pouvoir", tel Yves Derai au début des années 2000, demeurerait ainsi une nécessité légitime. 

    Le gay ne serait pas un homme public comme les autres

    On notera à ce sujet, au passage, la délicate hypocrisie défendue par l'auteur des "Inrocks" qui juge (de fait puisqu'il les cite) tout à fait légitimes les enquêtes sur le sujet, notamment sur le réseau gay qui entourerait Marine Le Pen, dès lors que pas un nom ne serait dévoilé. Subtile nuance, censée préserver le respect de la vie privée, mais qui ne change rien au vrai problème qui lui dépasse de loin le cas de Steeve Briois.

    Car en évoquant les études et propos censés démolir l'argumentaire de "Libération", l'auteur des "Inrocks" légitime ontologiquement le fait qu'il puisse exister une question gay en politique, impliquant la traque des réseaux et amitiés particulières, même sans citer de noms. Or, toute la question, c'est de savoir si l'on en est encore là, en France, en 2014. 

    Ceux qui militent depuis des années pour le droit à l'indifférence envers les homosexuels peuvent ainsi constater l'étendue du chemin qui reste à parcourir. Lire les deux papiers de "Libé" et des "Inrocks", c'est conclure que le gay n'est nécessairement pas un homme public comme les autres, qu'il soit socialiste, UMP ou FN. Surtout FN ?

    Car c'est bien ce que suggère les deux propos. Politiquement, le gay (ou la lesbienne) ne serait pas un(e) responsable politique "normal", toujours et obligatoirement ramené à sa dimension sexuelle dès lors qu'il s'agirait d'apprécier son action. D'où la nécessité de traquer, ausculter, disséquer les supposés réseaux gays, les positions des uns et des autres, leurs rapports entre sexualité et politique...

    Et le pire, comme le rappelle pour le coup opportunément "Les Inrocks", c'est que c'est celle de la justice française.

    Où est passé le progressisme des médias de gauche ?

    Si le rédacteur des "Inrocks" ne s'était pas pris à son propre piège, il aurait dû se contenter d'indiquer à son camarade de jeu que la question gay en politique, au-delà du cas Briois, n'est pas un objet de débat.

    Mais il ne l'a pas fait, reprenant des éléments qui ne devraient pas être pris en considération désormais, se contentant de demeurer dans le champ de l'anecdote, de la question vie privée/vie publique, de l'outing, alors que le débat porte bien au-delà.

    Telle est la leçon de cette polémique entre "Libération" et "Inrocks" : au fond, l'un comme l'autre se rejoignent sur une position antique, réactionnaire d'essence, un questionnement reptilien, qui considère que le politique homosexuel demeure d'abord et avant tout un homosexuel et qu'il convient d'apprécier son action publique selon ce critère déterminant.

    En 2014, c'est une position que l'on hésitera à qualifier de "progressiste". En vérité, vu du camp du progrès, c'est un débat daté, démodé, déconnecté, un débat de débris des vieilles gauches ex-branchées des années 1970/80, bref, un débat ringard. 

    Conclusion : avant de se demander si l'on peut être FN et gay, il serait sans doute utile de s'interroger sur un autre sujet : peut on écrire dans un journal de gauche et considérer que les gays, même au FN, ne sont pas des politiques comme les autres ?


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