Ce disant, Mme Leclère, apparemment en toute inconscience, faisait preuve d’une stupidité rare. Rien ne pouvait nuire davantage au parti qu’elle était censée représenter que des propos et l’expression d’opinions qui allaient à ce point à l’encontre de l’entreprise de dédiabolisation et du discours de Marine Le Pen. Au-delà de toute considération tactique et politicienne, il eût été difficile de nier que la candidate imprudemment investie par le Rassemblement bleu Marine était raciste jusqu’à la moelle et qu’elle appartenait donc à cette malheureuse catégorie de l’humanité qui s’obstine à croire que celle-ci est composée d’êtres supérieurs, du seul fait de la couleur de leur peau, et de créatures inférieures pour la même raison. L’affligeant comportement d’Anne-Sophie Leclère méritait la sanction dont elle fut aussitôt frappée – l’exclusion du Front national – et la réprobation de tout individu sain de cœur et d’esprit. Mais la condamnation morale devait-elle se traduire par une condamnation pénale ?
On apprenait hier que le tribunal de grande instance de Cayenne venait de condamner Anne-Sophie Leclère, par défaut, à neuf mois de prison ferme, cinquante mille euros de dommages et intérêts, cinq ans d’inéligibilité et le Front national, solidairement, à trente mille euros d’amende. Pourquoi cette affaire avait-elle été dépaysée en Guyane ? Parce que le parti Walwari avait porté plainte contre l’ex-candidate virtuelle du Front. Qu’est-ce que le parti Walwari ? Une organisation fondée en 1992 par Mme Christiane Taubira, à l’époque où celle-ci était indépendantiste, avant de rallier le Parti radical de gauche et sous les couleurs de laquelle elle avait été élue député en 2007 contre un candidat socialiste.
La peine prononcée excédait les réquisitions du procureur qui s’était contenté de demander cinq mois de prison ferme. Il est bien connu que les condamnations in absentia sont systématiquement lourdes. Mme Leclère, qui ne s’était pas fait représenter par un avocat, et le Front national qui n’était pas parvenu à en trouver un sur place ont payé leur carence. On veut croire que la Cour d’Appel reverra à la baisse les peines prononcées. Il est exact que ces peines s’inscrivaient dans le cadre de la loi si du moins celle-ci pouvait être invoquée. Or, c’est ce dont il est permis de douter.
Si Mme Leclère, en effet, ne s’est pas cachée d’être l’auteur du photomontage injurieux et imbécile qui lui était reproché, elle n’a d’aucune manière appelé à la haine raciale ni à aucune sorte de violence ni eu la possibilité de mener la moindre campagne sur ce thème. Au moins a-t-elle la consolation de bénéficier des dispositions de la loi… Taubira qui dispense d’exécuter leur peine les délinquants primaires condamnés à moins d’un an de prison. Quant au Front national, il est tout simplement ahurissant que ce parti soit condamné pour les propos incontrôlés d’une femme qui se réclamait de lui mais qu’il a exclue précisément pour la punir de ces propos. Depuis quand est-on coupable de faits que l’on n’a pas commis et que l’on a mêmes réprouvés ?
Mais sans doute les juges de Cayenne n’ont-ils rien à refuser à la femme forte du département. Allez même savoir s’il n’existe pas en Guyane un Code spécial qui punit le crime de lèse-Taubira et si les magistrats locaux n’ont pas fait preuve d’indulgence en épargnant à Anne-Sophie Leclère la mort par introduction du petit bout de bois dans les oneilles cher au père Ubu.
Toujours est-il qu’à la lecture d’un jugement qui a tout d’une parodie de justice, il est (encore) permis de se demander si nous sommes dans la Pologne du triste héros d’Alfred Jarry ou, qui sait, quelque part sur la planète des singes.