• Savon snob

     

    Nulle part ailleurs sur le continent : ni à la boutique la plus huppée et la plus stylisée de Berlin, d’Amsterdam, d’Anvers ou de Stockholm ni au Conran Shop de la rue du Bac, ils sont en vente, ces savons en provenance de Texel. Evidemment, vous ne savez pas où situer cet endroit mystérieux. Je vais abréger votre souffrance insoutenable: c’est une île dans la Mer du Nord, faisant partie de l’archipel appelé Les Iles Frisonnes, qui longe la côte néerlandaise, allemande et danoise. La plus snob (à la manière bling bling) est - forcément - une Allemande et s’appelle Sylt. Avis aux snobs à casino : Sylt est la seule avec une maison de jeux. Autrefois, ces îles étaient très appréciées par les têtes couronnées du cru qui y passaient annuellement plusieurs semaines pour une cure d’iode et d’air pure.  C’est également là où, jusqu’à l’âge de vouloir renoncer aux vacances familiales, j’ai passé toutes mes vacances d’été et – très blasé afin de ne pas être pris pour un touriste vulgaire - j’y retourne encore régulièrement.

    Beaucoup de snobs se sentent attirés par les îles, ce qui est tout à fait compréhensible car elles sont le symbole de l’isolation, de la distance, de la différence. Ce n’est pas un hasard que le mot « snob » soit né en Grande-Bretagne. D’ailleurs, jadis en Angleterre les savonneries  payaient quelquefois une duchesse pour laisser publier sa photo avec un mot aimable sur leur produit. Il a même eu une marquise qui vantait l’élasticité de son sommier.  Quant aux Frisons, une race ancienne, ils sont plutôt taciturnes et orgueilleux en matière de marketing. Convaincre le savonnier n’était vraiment pas une mince affaire. Croyez-moi: il a fallu utiliser mes connections les plus notables au Royaume des Pays-Bas avant qu'il se décide à expédier sa marchandise. Au demeurant : les snobs à golf et snobs à huîtres seront comblés car l’île possède un green et l’on peut y déguster des huîtres (sauvages !) avec quelque jet-set batave si l’envie vous prend brusquement. Cependant, on y  séjourne surtout pour échapper aux frivolités du quotidien, pour y dicter ses mémoires, se baigner avec un phoque, piller quelque épave sur la plage ou grignoter une croquette aux crevettes. Pour des plaisirs simples, mais souvent les plus snobs.

    L’île est idéale pour passer des vacances incognito. C’est l’opposé de Saint-Tropez. Toutefois, des moutons, l’ile de Texel (pour votre gouverne, si vous voulez vraiment faire votre mondain : les indigènes prononcent « Tessel ») n’en manque point. A part quelques villages pittoresques de pêcheurs et campings hideux (mais bien cachés par la municipalité), l’île est constituée de dunes, de digues, de champs de jonquilles, de landes, de marécages, de réserves naturelles et de polders où le Texel (race ovine que le monde entier tente de copier : il en existe même une variante française, et comme dit le proverbe anglais : « l’imitation est la plus sincère des flatteries ») pâture tranquillement. Outre son lainage (je possède un plaid fabuleusement vintage dont vous serriez immédiatement indisposé de jalousie), c’est du lait de sa brebis – nourrie à la végétation immaculée de l’île, fouettée par les tempêtes nordiques et arrosée par des cieux dignes d’un maître contemporain de Vermeer - que les insulaires fabriquent ce savon veloutant et onctueux, et comme ce pamphlet vous a suffisamment démontré : possédant un snob-appeal indéniable. 

    Savon au lait de brebis des Îles Frisonnes en vente exclusive sur le continent chez YOK*. Ca vous pose un produit. Rendant Cléopâtre et ses chèvres – pour toujours – totalement dépassées et désuètes.   

     

    *= Récemment une interview « snob » avec la directrice artistique de YOK, Valérie Pineau-Valencienne a été publiée sur mon blog.