• SALON DU MEUBLE DE PARIS 13.01 - 17.01 2005

    Photo: La chaise «émotive», elle change continuellement de couleur, grâce a un système électronique incorporé... http://www.philippebouletcreation.com/index.php


    Vous avez dit classique?


    Impertinents, les créateurs s'emparent des icônes de la décoration et les métamorphosent par un jeu de matières, de patines et de couleurs. Gros plan sur cette révolution de salon.

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    Ici une bergère revêtue d'un vinyle nacré scintillant, là une console aux jambes galbées en Dacryl rose. Ici encore, un chandelier en poly-carbonate translucide et une baignoire orange à pieds de lion... Quel est donc ce coup de baguette magique qui redonne aux meubles de nos grand-mères une jeunesse fringante? Dans les catalogues et les boutiques de déco, les «Louis» nouvelle génération se collectionnent à la pelle. En dentelles de papier ou en plastique chic, les lustres reprennent leur place dans nos salons. Même le papier peint, hier ringardisé, revient égayer nos murs sous forme d'autocollants! Ce retour à l'ornement annoncerait-il la fin de l'ère de l'épure? Acte de transgression ou relent de nostalgie, que se cache-t-il derrière ces réécritures du passé?

    Les spécialistes sont unanimes: «Cette tendance découle d'un besoin des consommateurs d'être rassurés. En ces temps d'inquiétude et d'instabilité, ils ont un mal fou à se projeter dans l'avenir. Et, quand ils y parviennent, c'est en gardant un œil sur le rétroviseur... En revanche, le classique pur et dur ne les intéresse pas, c'est de réenchantement qu'ils ont besoin», affirme Vincent Grégoire, du bureau de style Nelly Rodi. Une tendance réaffirmée au cours des dernières éditions du Salon Maison & Objet (qui s'apprête à souffler, le 28 janvier, ses 10 bougies), comme ont pu le constater ses quelque 3 000 exposants et 66 000 acheteurs. Tous se félicitent d'une progression de 3% (en valeur) du marché du meuble en 2004. Surtout après deux années de baisse d'affilée. «Les Français, ne songeant plus aujourd'hui qu'à devenir propriétaires, ont du même coup l'irrésistible envie de renouveler leur intérieur», pointe Christophe Gazel, directeur général de l'Institut de promotion et d'études de l'ameublement (Ipea). Sans, pour autant, tout bouleverser: 32% des ménages rêvent ainsi d'une déco classique et 13% d'une déco néoclassique, d'après l'étude «Déco Reality», réalisée par l'Ipea en juillet 2004, auprès d'un échantillon de 2 000 personnes.

     
    «Après des années de minimalisme et de monochromie, les consommateurs ont envie de douceur et de légèreté. Ils en ont marre du jus de crâne et du fonctionnel sans charme», poursuit Vincent Grégoire. Signe du temps, même Ikea, spécialiste du meuble en kit, affiche, en couverture de son catalogue 2005, un lit en fer forgé dans le pur esprit néoromantique. «Ce qui ne veut pas dire que le géant suédois renie son passé. Au contraire, il a compris que les consommateurs étaient désormais ouverts au mélange des styles», analyse Christophe Gazel. Un changement que confirme Jean-Eric Chouchan, directeur du marketing de Roche Bobois: «Notre clientèle est de moins en moins monostyle. Elle choisit à la fois du design dans la collection les Contemporains et du traditionnel revisité dans les Provinciales.» Une collection dont les ventes affichent une augmentation de 7% en 2004. «Pas question, aujourd'hui, de transformer sa maison en musée ou en salle d'attente de médecin bourgeois. Comme dans la mode, la nouvelle génération, décomplexée, multiplie les contrastes, les chocs, les touches d'impertinence», confirme Daniel Rozensztroch, styliste, auteur d'Influences, le cahier de tendances du dernier Salon du meuble de Paris, qui mixait allègrement les genres, de l'industriel grand style au rococo kitsch.

    Dans cet élan de liberté, les mélanges entre inspiration classique et design ultracontemporain vont bon train. Quel créateur n'a pas récemment proposé sa version de la chaise médaillon? Phénomène somme toute récurrent dans les arts décoratifs. «La récupération des styles a toujours existé. Autour des années 1750, on vit apparaître un style néo-Louis XIV et toute une série de meubles qui revisitaient ceux de l'ébéniste virtuose Boulle. Le XIXe fut le siècle de l'historicisme, on revisitait alors la Renaissance, le baroque, le rocaille», observe Bertrand Rondot, conservateur au musée des Arts décoratifs, chargé des collections du XVIIe et du XVIIIe siècle. Rappelons-nous aussi les excentricités du duo Garouste et Bonetti, initiateur du «nouveau baroque», dans la grisaille de la fin des années 1980... «Les créateurs puisent dans ces grands styles, car ils ont besoin de se rattacher à une histoire comme à un âge d'or à la fois social et esthétique», ajoute le conservateur.

    «Si ce genre d'exercice réussit tellement bien, c'est parce que le designer y appose sa patte et son humour»

    Pour bon nombre de spécialistes, ces flash-back sont aussi le signe d'une certaine panne d'inspiration... «Les jeunes designers ont en effet tendance à trop regarder le passé et ne consacrent pas assez de temps à la recherche», regrette Patrick Renaud, professeur, responsable de l'atelier mobilier de l'Ecole nationale des arts décoratifs, à Paris. Reste que, aujourd'hui comme hier, les adeptes de ces réécritures ne se livrent pas à des copies serviles, mais adoptent volontiers un ton désinvolte. Avec des matériaux et des techniques de leur temps.

     
    Véritable emblème de cette démarche, le Louis Ghost, de Philippe Starck. Un cabriolet Louis XVI transparent, en polycarbonate. Ou comment alléger le poids du passé tout en actionnant le levier de la mémoire collective. Un succès immédiat pour l'éditeur italien Kartell, qui en a déjà vendu 200 000 exemplaires à travers le monde depuis sa commercialisation, en 2002. Suivront bientôt les tabourets Charles Ghost, aux pieds effilés façon guéridon Louis XV. «Si ce genre d'exercice réussit tellement bien, c'est parce que le designer y appose sa patte et son humour», remarque Elizabeth Leriche, du bureau de style Nelly Rodi, auteur de l'exposition Ultralux au Salon Maison & Objet. Le couturier Paul Smith, qui devrait ouvrir au printemps à Londres une boutique spécialement consacrée à la déco, représente parfaitement cette attitude. Customisés à l'aide de tissus pop ou ultragraphiques, ses meubles de style sont fidèles à sa mode: «classic with a twist». Comprenez classique, mais légèrement décalé.

    Un état d'esprit que certains fabricants français ont su adopter avec talent, avec, en premier lieu, Moissonnier. Créée en 1885 par Emile Moissonnier - ébéniste, peintre et sculpteur - la société de Bourg-en-Bresse (Ain) conçoit dans ses ateliers une cinquantaine de meubles par semaine: des commodes Louis XV, des bergères à oreilles, des marquises gondoles pas tout à fait comme les autres. Du bleu turquoise au rose pétard en passant par le vert amande, Jean-Loup Moissonnier, ancien photographe de mode revenu à l'entreprise familiale, s'autorise toutes les audaces. Surtout, la maison cultive l'art des patines anciennes qui a fait sa réputation. Après être passé par les mains de l'ébéniste, le meuble est peint, puis patiné et vieilli à la main à l'aide d'un poinçon. Résultat: au sortir de l'atelier, il possède à la fois le charme de l'ancien et tous les avantages esthétiques ou pratiques du contemporain. Fort de ces partis pris, en cinq ans, le chiffre d'affaires de la société (réalisé à 65% à l'export) a doublé.

    Dans cette lignée, une nouvelle génération de décorateurs est en train d'imposer un nouveau classicisme, fait de ruptures de style. Il suffit de pousser la porte du showroom parisien de Guillaume Alan pour s'en rendre compte. Sur fond de sol en béton ciré, un mur en lambris laqué, une table rectangulaire signée Jean Nouvel, un canapé ultracontemporain voisinent avec une méridienne blanche en vinyle nacré et des chaises Napoléon III. «Ce lieu symbolise la façon épurée dont je réunis moderne et ancien», explique le décorateur de 27 ans, qui compte Loulou de la Falaise, ex-égérie d'Yves Saint Laurent, parmi ses fans. Sa spécialité: rajeunir le mobilier français du XVIIIe siècle. Sa méthode: retravailler les proportions, agrandir les assises, augmenter leur profondeur, affiner les pieds, redessiner les dossiers... Chez lui, la méridienne devient un Spa Bed, les rideaux sont en toile de parachute. Ses marquises sont recouvertes de tissu de tenue de plongée légèrement satiné et extrêmement solide. Une trouvaille ingénieuse qu'il a aussitôt baptisée le «velours 2004».

    De plus en plus de créateurs transgressent les règles des matières et s'affranchissent de la tyrannie des formes. «Pourquoi les radiateurs devraient-ils obligatoirement être dénués de charme au point qu'on veuille les cacher?» interroge le designer Joris Laarman. A tout juste 24 ans, ce Néerlandais a tapé dans l'œil au célèbre collectif Droog Design en créant un gigantesque radiateur baroque, dénommé Heat Wave («vague de chaleur»). Presque un manifeste pour réunir forme et fonction dans un même objet complètement inattendu. La carcasse d'un cabriolet Louis XVI peut, elle aussi, se prêter au jeu de l'expérimentation et de la double fonctionnalité. Léon, le fauteuil imaginé par Philippe Boulet, est équipé de leds (diodes électroluminescentes) et s'improvise ainsi à la fois comme siège et lumière d'ambiance. Le designer néerlandais Maarten Baas, 26 ans, auteur de la très prisée collection de meubles Smoke, éditée par Moooi, repousse encore plus loin ces limites en brûlant des meubles déjà existants. Une méthode radicale pour s'affranchir du passé tout en exploitant une nouvelle esthétique, à travers la couleur noire du bois carbonisé, au charme décadent. Et, malgré leurs formes détournées, tous ses objets demeurent purement fonctionnels.

     

     

    Dans un style plus fantaisiste, Serge Olivares s'empare, lui aussi, de meubles anciens pour les hisser au statut d'objets uniques et précieux. Pour son quarantième anniversaire, la Biennale des éditeurs de la décoration, consacrée aux tissus d'ameublement (du 27 au 31 janvier), présente 18 de ses créations: des chaises Louis XV et Louis XVI revêtues de velours de soie, de cuir verni, de plumes ou de strass, et réalisées avec l'aide du tapissier Charles Jouffre, des passementeries Declercq et de la manufacture d'étoffes Prelle. Le résultat, des créations hybrides entre kitsch et néoclassicisme. La preuve que le tissu peut également se prêter à tous les jeux. «Un vent nouveau souffle déjà sur les collections. Les impressions et les soieries s'inspirent du XVIIIe, mais les fleurettes laissent place aux grosses fleurs exubérantes: pavots, hibiscus, dahlias, qui s'épanouissent dans des tons rose vif, rouge pivoine et vert mousse. De même, les velours unis reviennent en force dans des tons toniques, indigo ou turquoise», assure Christiane Thomas, responsable du centre de documentation de la Chambre syndicale des éditeurs de tissus d'ameublement (CSTA). Mêmes effets de disproportion, de couleurs et de matières au Salon Maison & Objet éditeurs, qui se tient pour la première fois cette année autour de 72 maisons françaises et étrangères, au Parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis).

    Modernisé, le papier peint fait, lui aussi, son grand retour. Le voici qui resurgit un peu partout, avec de nouveaux supports, comme les stickers, l'une des spécialités de l'atelier LZC, créé en 2001 par un trio de jeunes diplômés en design textile. «Plus personne n'a envie de recouvrir ses murs de papier. Ce système d'autocollants est à la fois plus économique et bien plus facile d'utilisation», explique Michael Cailloux. Depuis septembre 2004, Habitat propose aussi une «collection alternative». Baptisée «Vinyl», du nom du matériau utilisé, elle se compose de plusieurs créations signées Matali Crasset, Antoine et Manuel, Traffik. Le principe: des kits de motifs en vinyle adhésif, à coller librement sur son mur. Une occasion de plus de s'approprier son décor selon sa propre inspiration.

    «Il n'y a plus de bon ni de mauvais goût. Du moment que l'on est son propre décorateur, tout passe. On va désormais placer côte à côte un tabouret en Plexi et un fauteuil de style recouvert d'un Skaï imperméable à nettoyer d'un coup d'éponge. C'est le grand zapping», renchérit Daniel Rozensztroch. Le célèbre interdit de l'architecte Adolf Loos, «L'ornement est un crime», qui pèse sur la décoration depuis le début du XXe siècle, serait-il en train de tomber? Il se trouve en tout cas sérieusement remis en question. Du moins jusqu'au prochain dogme esthétique, selon l'implacable loi des cycles.
     
     

    Louis 5 D,
    l'applique fantôme


    C'est l'histoire d'un projet de fin d'études devenu un best-seller. Blandine Dubos, 29 ans, était encore à l'école Camondo quand elle a imaginé son applique Louis 5 D. «J'ai d'abord réfléchi sur les différentes manières de gagner de la place dans un petit espace. J'ai ainsi commencé à travailler sur l'écrasement des meubles de façon à ne retenir presque que leur fonction. Une série d'objets est née. Parmi eux, le luminaire s'est avéré le plus parlant.» Ligne Roset ne s'y est pas trompé et l'a édité dans la foulée, réalisant l'une de ses meilleures ventes dans cette catégorie (pour 2005, l'entreprise prévoit d'ores et déjà d'en vendre 5 000 exemplaires). Entre-temps, la toute première création de la designer avait décroché le label VIA 2004. Son secret? Une forme en Plexi transparent évoquant un lustre Louis XIV mais équipé d'une simple ampoule dont l'ombre portée suffit, à elle seule, à créer toute la magie. «Le souvenir du lustre de grand-mère parle à tout le monde. Quand les gens regardent mon applique, souvent ils sourient. J'ai alors le sentiment d'avoir réussi mon pari.» La lumière version Louis le Quatorzième retrouve ainsi sa place. Royale.
     
     

    Maarten Baas,
    l'allumé rebelle


    Quel est ce designer sans scrupule qui détruit des meubles d'époque? Et qui, après les avoir compressés, plongés dans l'eau ou jetés par la fenêtre, décide, tout simplement, de les brûler? Pas au point de les réduire en cendres, mais juste ce qu'il faut pour les carboniser, les teintant ainsi d'un noir profond. Cet allumé, c'est Maarten Baas. Un Néerlandais de 26 ans, sorti il y a deux ans de la Design Academy d'Eindhoven... et déjà célèbre grâce à Smoke, son projet de fin d'études, une série de fauteuils et d'objets anciens brûlés et recouverts d'un vernis époxy. Un acte rebelle qui l'a aussitôt étiqueté comme le représentant d'une jeune génération avide de transgresser ses repères. «Ce projet est né de diverses interrogations. Qu'est-ce que la beauté? Qu'est-ce que la perfection, pourquoi l'associe-t-on à l'idée de symétrie et de raffinement? La nature n'est-elle pas belle et chaotique à la fois?»
    Dès la sortie de l'école, il est remarqué par Ikea, qui l'invite en France pour animer un workshop. Dans la foulée, Marcel Wanders, directeur artistique de la société de design Moooi, décide d'éditer une partie de la collection Smoke. Lancée dans les Salons internationaux en 2004, celle-ci fait un tabac.
    Depuis, les distributeurs peinent à satisfaire les demandes de leurs clients et les commandes spéciales affluent. Murray Moss, directeur de la galerie Moss à New York, lui a demandé une famille d'objets brûlés comprenant des icônes du design, de Charles Eames aux frères Campana. Depuis l'ouverture de la chicissime Cristal Room de la Maison Baccarat, ses fauteuils baroques y trônent en majesté. Et Li Edelkoort, styliste de renom, lui a demandé de mettre le feu à un piano à queue, récemment exposé au Salon du meuble de Paris. L'incendie continue de se propager...
     
     
     

    Des sièges bien éclairés

    Elle change de couleur au gré de ses émotions. Son nom: l'Emotive. Son âge: 1 an quand elle s'allume, 200 ans et des poussières quand elle s'éteint. Cette création du designer Philippe Boulet, 30 ans, représente plus qu'une énième réplique de chaise médaillon Louis XVI. C'est un objet fonctionnel et poétique à la fois, un meuble lumineux. Une multitude de leds (des diodes électroluminescentes à très forte densité), lovées dans une assise en Plexi, éclairent le siège. Et ce n'est pas tout. Par le biais d'un pilotage électronique, les couleurs se mélangent. Résultat: la chaise passe du rose au bleu, puis au vert... «J'ai grandi dans du Louis XVI, explique Philippe Boulet, créateur de meubles lumineux depuis huit ans. J'ai eu envie de redonner une âme à ce type de mobilier, de le faire revivre par le biais des dernières technologies. Léon, le petit dernier de la collection, est un fauteuil cabriolet dont même les accoudoirs sont éclairés de l'intérieur. Un «classique des années 2000», se félicite le designer.
    Philippe Boulet Création, 01-45-24-25-78 ou www.philippebouletcreation.com

    par Marion Vignal
     

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