• Entretien avec Pierre Le Pillouer

    Pierre Le Pillouër

     

    Pouvez vous d'abord me parler votre parcours. Est-ce que la

    poésie y surgit à une période précise, est-ce qu'elle accompagne votre

    jeunesse ?

    Je me souviens très bien de mon premier choc poétique, je le dois à

    un instituteur de CE2 dans une école communale de la Bresse

    louhannaise, un type extrêmement violent qui finirait aujourd'hui en

    tôle; une grande mèche noire rebelle qui volait lorsqu'il giflait ou

    cognait le tableau, une voix qui tonnait et nous glaçait les genoux mais

    on l'adorait parce qu'il était drôle et passionnant.

    Un jour il nous a expliqué et fait apprendre Le dormeur du val, j'ai été

    saisi par la musique et la chute de ce sonnet. Bien plus tard j'ai appris

    que la très jolie femme de notre maître le trompait avec Monsieur le

    sous-préfet (chut !). Plus tard à une époque où j'ai oublié la poésie

    redécouverte en terminale avec les surréalistes.

    Dix-sept ans et suis un lecteur paresseux, assez peu cultivé, les

    anecdotes sur les poètes m’intéressent plus que leurs écrits : ceux-ci,

    lus rapidement, surtout Eluard, ne sont que des déclencheurs de ma

    propre écriture, automatique bien sûr avec un résultat affligeant et

    j’envie les capacités de rêveur d’un Desnos, sa fin de héros dans les

    camps, romantisme adolescent.

    Suit 68 et une période où je lis davantage Marx, Lénine, Trotski et les

    journaux, les magazines que les poètes.

    Trous noirs, combats.

    Lorsque je quitte le trotskisme, je suis attiré bien plus par Dada,

    surtout les allemands, que par Breton qui fut certes proche du

    trotskisme mais me parut à la fois trop Pape, dogmatique et

    infaillible, et sous influence freudienne. J’ai plus de sympathie pour

    Benjamin Péret dont j’achète les oeuvres complètes sans les lire

    vraiment. Son personnage m’attire et son texte Le déshonneur des

    poètes.

    En 1980, à 30 ans, je retrouve le goût de lire et d'écrire, rencontre

    Jacques Lepage et des poètes à Nice dont Daniel Biga et Maryline

    Desbiolles, premières publications en revue : Tartalacreme, première

    participation à une aventure de revue Poésie d'Ici (revue niçoise).

    Maurice Nadeau publie une recension que je fais d'un livre de Prigent

    dans le N° 444 de La Quinzaine Littéraire. En 1983, j'intègre le comité de

    rédaction de la revue TXT dirigée par Christian Prigent qui publie

    Sabots les abats, une plaquette puis mon premier vrai livre :

    Pancrailles.

    Je participe à de nombreuses lectures publiques en France et à

    l'étranger.

    Rencontres avec des artistes : Denis Castellas, Ben, Hubert Duprat,

    Stéphane Bérard. Rencontre avec Nathalie Quintane.

    Dix ans plus tard, dissolution du groupe TXT.

    Traversée d'un désert. Pénible épreuve. 2001, je mets en ligne grâce à

    une aide du CNL.

    Sitaudis, le premier site de poésie comparative

    avec le webmaster Emmanuel Olégine.

    2002 Poèmes jetables éditions Le Bleu du ciel

    2003, je suis coopté à la commission Poésie du CNL

    j'en sors prochainement (mandat de 3 ans)

    Décembre 2005 expérience importante de traduction à Berlin

    grâce à Sabine Gunther et sa revue Nord-Sud Passages.

    Est-ce qu'à vingt ans vous vouliez devenir poète? Quelles sont vos

    perspectives professionnelles d'alors? De quelle manière envisagiezvous

    votre avenir ? La poésie était-elle en marge de votre vie, ou bien

    vous comptiez en vivre, matériellement comme spirituellement?

    A 20 ans, en 1970, j'ai presque oublié la poésie. Restent une

    angoisse, une rage, une révolte, un refus de la mort et du mortifère (je

    confonds les deux), une posture post romantique, le goût de l'esclandre

    (avec des copains étudiants on fait des happenings sans même savoir

    que cela existe !)

    Je quitte la voie royale des Lettres vers Normale Sup avant même

    khâgne, en grande partie par paresse. Me dirige vers l'éducation

    spécialisée, attirance pour la Marge mais sage.

    Le militantisme me permet aussi de rencontrer de jeunes rebelles.

    Comment à trente ans se fait la rencontre avec Jacques Lepage et

    les poètes de Nice, puis celles qui vont suivre? Faites vous, à

    l'époque, du pied pour intégrer un milieu? Comment votre entourage

    (amis, famille) percevait vos relations, vous sentiez vous en marge de

    votre milieu d'origine, de votre génération ?

    A 30 ans :

    Une période Délices de Capoue de 4 ans a suivi ma libération de

    l'Organisation, de ses tâches et contraintes multiples : ai quitté le

    Jura pour des rivages plus cléments, Antibes. Hédonisme mais anxieux.

    En 1980 seulement, je me remets sérieusement à l'écriture, montre des

    poèmes à une collègue psychologue qui les transmet à Jacques Lepage,

    dont elle avait suivi un cours. Celui-ci me met en relation avec des

    revues et des poètes impression d'un repêchage in extremis du pécheur

    ! Les niçois dont je me sens le plus proche sont Christian Arthaud,

    Daniel Biga et...Ben qui est aussi artiste mais poète dont j'apprécie

    l'audace, la passion du vrai, le sens du rythme et l'humour.

    Il y a seulement 7 ans (je n'étais donc plus tout jeune), la mère de ma

    belle-fille a dit à celle-ci après m'avoir rencontré chez moi : « C'est

    bizarre Pierre, on dirait qu'il n'habite pas chez lui ».

    Bien que je sois facilement empathique, épris d'autrui et prompt à

    sauter au cou de tout être humain même difforme, je ne me sens en effet

    chez moi nulle part, jamais en adéquation, sinon dans l'émotion

    esthétique : livre, film, tableau, musique_ moments de grâce où je

    m'oublie comme dans la relation (fusionnelle) de couple.

    Considérez vous la poésie comme liée à cette inadéquation dont vous

    parlez?

    Oui l’inadéquation enclenche le désir d’écrire dans le but d’en quérirguérir

    mais souvent ça rate, ça creuse encore davantage l’écart avec

    l’expérience d’autrui (dans les deux sens de l’expression : l’expérience

    que je fais d’autrui et l’expérience que fait autrui). Restent les amis

    souvent dans le même état pas très quiet, les livres, leurs livres, les

    croisements.

    La poésie se nourrit-elle de la souffrance ou du malheur ?

    Bonne question, je crois qu’elle se nourrit de tout, des questions et de

    questions comme les vôtres, du désir de savoir, de la hantise du vide,

    de l’envie de dominer, d’exister aussi aux antipodes et de celui de dire

    merci.

    Quand on vous demande ce que vous faites dans la vie, vous dites poète?

    Non, c’est un mot qui me fait rougir. Il m’arrive de dire que j’écris mais

    je préfère me penser comme un homme de mots, c’est-à-dire un lecteur

    avant tout et un collecteur. J’écris dans les vides entre les livres.

    Vous étiez attiré par la Marge, vous voulez parler de la rue, des

    'clochards' ? Que reste-t-il aujourd’hui de vos engagements militants,

    ou ceux qu'on qualifie aujourd'hui sociaux? Quel regard portez vous

    aujourd'hui sur ces marges?

    Je suis rémunéré comme responsable d’un service qui s’efforce de

    favoriser l’intégration d’enfants handicapés mentaux ;

    professionnellement donc, j’oeuvre à la marge. Quant au reste qui n’est

    pas que regard, cela relève de la vie non publique, il faut tout de même

    ajouter que je déteste la façon dont nous traitons les étrangers, les

    pauvres et les vieux : comme des questions et des problèmes.

    Internet et l'écriture

    Est-ce qu'Internet va révolutionner la littérature?

    Est-ce qu'Internet a changé votre manière d'écrire?

    Pas assez de recul pour répondre. La grande différence me semble être

    que cette technologie autorise le repentir : lorsqu’on écrivait quelque

    chose dans un livre, c’était gravé pour l’éternité tandis que sur le

    Web, les inhibitions sautent du fait de cette possibilité de tout

    effacer ; d’autre part, les correspondances entre écrivains risquent de

    disparaître dans les boîtes électroniques, en tout cas chez ceux qui

    s’en foutent, c’est-à-dire assez souvent ceux qui compteront.

    Ajoutons que cet outils renforce la croyance que nous sommes tous des

    artistes et que tout est de l’art : plus de livres publiés, plus grande

    difficulté de trier, de percevoir ce qui vaut vraiment le coup.

    Sitaudis

     

     

    Comment est né le projet Sitaudis?

    Au terme d’un parcours où le groupe a joué un grand rôle (comité de

    rédaction de la revue TXT de 1983 1993), j’ai traversé un désert

    nécessaire.

    Puis m’est revenu le désir de rencontres, je recevais des textes que

    j’avais envie de faire circuler.

    J’ai demandé et obtenu une aide du CNL et la collaboration d’un

    webmaster remarquable, Emmanuel Olégine : un champion du

    référencement.

    Quels sont les projets du site?

    Une montée en puissance de l’audience et de l’influence de sites tels

    que celui-ci est prévisible, les grands journaux à suppléments

    littéraires critiques, perdant chaque jour de nouveaux lecteurs ; ils

    sont d’ailleurs très attentifs à ce que nous faisons : quant à savoir ce

    que cet afflux de surfers va permettre ou induire, je n’en sais rien mais

    je suis persuadé que le potentiel de découvreur des oeuvres est limité

    dans tous les arts tant est longue, laborieuse et finalement assez

    inutile, la formation nécessaire : le plafond est de 5000 abonnés dans le

    monde.

    Un projet sur le point de se réaliser, est la création de la rubrique

    Célébrations :

    une revitalisation de la tradition du Tombeau, un hommage rendu par

    un poète à un grand Ancien.

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