• Les Antoinistes (Le Radical, 29 juillet 1912)

    Les Antoinistes (Le Radical 1912-07-29 (A32))PETITS MÉMOIRES

    Les Antoinistes

        Il paraît que le congrès eugénique s’occupe sérieusement de nous enseigner la manière d’avoir des enfants superbes. En attendant que nous soyons fixés à cet égard, on ferait peut-être bien de perfectionner l’intellect des hommes, beaux ou laids, robustes ou malingres, qui ont été mis au monde avant les mirifiques recherches de l’eugénisme. Veiller à la conformation normale des corps humains, c’est bien ; veiller à ce que les cerveaux gardent toute leur lucidité, c’est mieux. C’est mieux et c’est urgent, car un fait divers tout récent est venu nous démontrer avec une sinistre éloquence qu’il y avait encore bon nombre d’idiots et que ces derniers avaient embrassé une religion nouvelle dite « l’antoinisme ».
        Comme son nom vous l’indique, l’antoinisme est la religion d’Antoine, son fondateur, disparu depuis peu. Maintenant, si vous me demandez : « Qu’est-ce qu’Antoine ? », je serai obligé, pour vous répondre, de m’adresser à nos voisins les Belges. C’est chez eux, en effet, à Jemeppe-lez-Liége, qu’opérait Antoine le guérisseur. Magnétiseur assez habile, dit-on, il se mit un jour en tête d’exploiter en grand la crédulité publique et il y réussit du premier coup. Il décréta qu’il suffisait de croire en lui, Antoine, pour être aussitôt guéri de toute maladie, quelle qu’elle fût. Puis il construisit un temple à Jemeppe-sur-Meuse et les fidèles y vinrent en foule. Et, en décembre dernier, une pétition, recouverte de 160,000 signatures, demandait à la Chambre des représentants la reconnaissance légale du nouveau culte. Ce « zouave Jacob » des Flandres avait fini par se faire prendre pour une manière de dieu dont le pouvoir se faisait sentir même à distance. « Rien qu’en pensant à lui, affirment ses adeptes, ou en lui adressant une simple lettre ou un télégramme, bien des personnes ont été guéries. » Ils l’affirment et d’autres le croient, tel le chiffonnier Leclercq.
        Celui-ci, on vous l’a conté, laissa périr sa petite fille faute de soins, parce qu’il était « antoiniste » et qu’un bon « antoiniste » ne s’adresse, dans les cas les plus pressants, à nul autre médecin qu’à Antoine. Il faut vraiment avoir une foi robuste dans la puissance du progrès et dans sa future victoire pour ne pas se sentir découragé en présence de pareilles sottises, ou plutôt de pareilles monstruosités. Qu’il se soit fondé, il y a des siècles, des religions barbares, cruelles et stupides, cela s’explique par le défaut de civilisation ; mais que de nos jours, au temps de l’électricité et de la télégraphie sans fil, la naissance d’un culte comme l’antoinisme soit encore possible, cela déconcerte l’entendement. Mais, loin de nous décourager, cette poussée de fanatisme imbécile doit inciter les esprits libres à multiplier leurs incessants efforts contre l’ignorance et la superstition. – ROGER BONTEMPS.

    Le Radical, 29 juillet 1912


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