• Louis Remacle - Proses (1992)

    Nous avions à Neuville, entre les deux guerres, un personnage comme on n’en avait sûrement pas vu depuis longtemps, un poison : c’était Gustine, la grosse de chez Bruyère. Le vieux Bruyère avait perdu ses deux premières femmes, et il était tout seul avec deux fils, Julien et Albert. Il fallait une femme dans la maison, et il eut l’idée de mettre une annonce dans un journal pour demander une gouvernante. Je pense qu’il ne s’en présenta qu’une, Gustine, et il la prit. C’était une belle grande forte femme, qui était veuve aussi. Elle venait du côté de Verviers ; elle parlait comme par là, et l’a fait toute sa vie. Elle avait travaillé dans une ferme et connaissait le métier de fermier. Mais ce qui était le plus extraordinaire, c’est qu’elle était antoiniste.
    Il y avait des antoiniste s à Stavelot. On en rencontrait parfois avec leur costume noir et leur grand chapeau noir ; les femmes étaient habillées tout en noir, comme les hommes, avec une robe longue et une cornette. Gustine convertit les Bruyère. Il se tint des réunions dans leur maison. Il y avait un Lecoq de Stavelot qui venait prêcher les idées du père Antoine chez Bruyère – dans l’étable de cochons, disait-on. Il y eut des jeunes gens de Francorchamps, qui ne croyaient à rien, qui venaient épier et écouter à la porte et qui se moquaient des gens. Julien Bruyère avait le costume et il le mit un jour pour aller prendre le train. On parla même de faire un temple à Neuville, à la grande haie sous le Briyeû, sur un terrain des Bruyère ; mais, une fois qu’ils trayaient justement là, comme il y avait une de leurs vaches qui avait une chute du rectum et comme Gustine voulait lui lancer un seau de lait au derrière, le vieux Bruyère se fâcha : « Va au diable avec ton père Antoine !» lui cria-t-il. Avec le temps, le nouveau culte s’éteignit petit à petit ; on ne parla plus des antoinistes, et, quand Alfred Balin mourut, qui était revenu malade de la guerre de quatorze, des gens du village qui étaient partis prier auprès du mort furent bien étonnés de voir Albert Bruyère qui disait son chapelet.
    Francorchamps, 19.8.1992

    Louis REMACLE, Proses wallonnes & Poèmes wallons (compléments), édités par Jean LECHANTEUR.
    Collection littéraire wallonne n° 12. Liège,
    Société de Langue et de Littérature wallonnes, 2011, p.98


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