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    Samuel Laurent : «Ils se radicalisent aussi dans les mosquées»

    Publié le 18/11/2014 

    International - Samuel Laurent, Consultant international, auteur de «L'État islamique» (Ed. Seuil)

    Samuel Laurent : «Ils se radicalisent aussi dans les mosquées»

    Des Français au cœur de l'État islamique. Comment expliquez-vous l'attractivité de ce groupe terroriste ?

    Ce n'est pas nouveau mais ça se développe et ça s'étend. Il faut prendre les choses à la base et ne pas considérer que les jihadistes qui partent représentent le problème. Ils ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Si les jihadistes partent, ce n'est pas seulement à cause des vidéos de Daesh, ou à cause d'une soi-disant radicalisation sur internet. C'est beaucoup plus complexe que ça. Depuis plus de dix ans, on a laissé se développer une communauté salafiste islamique radicale en France, en Europe, en considérant qu'à partir du moment où il n'y avait pas de jihad, il n'y avait pas de danger. Cette communauté s'est développée, elle est extrêmement solide et très bien organisée avec des mouvements comme Sharia for PakistanSharia for Holland, etc. Tout cela est devenu plus secret, plus souterrain mais se renforce. La base de l'attractivité pour les jihadistes français, ce n'est pas Internet qui n'est que l'élément déclencheur de quelque chose qui mûrit depuis bien plus longtemps et qui est l'éclosion, le développement et la montée en puissance de cet islam radical contre lequel on ne fait rien pour l'endiguer. On considère que le jihadisme est un problème mais pas l'islam radical. Très peu de mesures sont prises pour endiguer le problème. On a l'impression qu'on essaie de découpler les deux : à la mosquée, on apprend l'islam modéré et sur internet l'islam radical. C'est faux. Aujourd'hui, les mosquées sont responsables car dans toutes, on trouve des noyaux durs. La mosquée n'a pas besoin d'un imam salafiste pour contenir des salafistes. Ces derniers sont honnis par les fidèles modérés mais ils prospèrent. Le recrutement n'est donc pas virtuel. Il est dans nos villes, dans nos cités. Il y a véritablement des cellules, des mouvances qui favorisent cette éclosion.

    Ces Français ont-ils un rôle particulier dans l'organisation de l'EI ?

    Non, ces gamins ne sont que des sous-fifres. Celui de la vidéo de dimanche se montre à visage découvert. Il n'a pas de valeur pour EI comme le chef des bourreaux, sinon il serait lui aussi masqué. Il est là pour mourir et a une valeur négligeable. On le met en avant pour donner la version officielle de l'État islamique qui est «je me radicalise tout seul en France.» Les cellules en France, les relais sont une vérité que veut cacher l'État islamique. Celui-ci contrôle tout ce qui sort, tous les échanges avec les journalistes. Il ne faut donc pas prendre pour argent comptant les propos des jihadistes français.

    L'État islamique est donc un mouvement plus organisé qu'Al Qaïda ?

    Bien sûr. Al Qaïda était une organisation volontairement décentralisée, c'était une franchise idéologique. C'était un programme avec une structure très paranoïaque. Daech, c'est l'inverse ; c'est un État. Eux ont pris le parti de réinstaurer le califat islamique, créé par le prophète. Alors qu'Al Qaïda disait que cela prendrait des décennies voire des siècles pour le remettre en place, eux disent, le califat islamique c'est maintenant. Fatalement, c'est une image plus directe, un dénominateur plus simple et cela attire les gens. La structure de Daech est très différente, très lourde.

    Donc plus difficile à combattre ?

    Daech est une force qui attire du monde, draine des revenus et leur permet de constituer une véritable armée. Mais c'est un piège : en tant qu'État, ils ont besoin de beaucoup d'argent, et celui-ci venait des revenus pétroliers. Avec les frappes aériennes, ils se sont taris. Maintenant c'est une course contre la montre avec la tactique d'étranglement mise en place par l'Occident. On va voir qui craque le premier…

    La présence de près de 400 « Français » parmi les djihadistes, le fait que la mouvance en compte trois fois plus, suscitent une interrogation d’autant plus vive qu’il s’agit parfois de convertis. Que de jeunes immigrés ou descendants d’immigrés – dont on a vanté la différence, reconnu avec insistance l’appartenance communautaire, auxquels on a rappelé sans cesse la dette coloniale de la France à leur égard, qui ont été endoctrinés dans les mosquées, les prisons ou sur Internet, grâce à une tolérance indifférente, stupide ou complice – se lancent dans le terrorisme islamiste n’est pas absurde. Que des enfants des classes moyennes autochtones se convertissent et sombrent dans des aventures sanguinaires plonge dans la stupéfaction.

    Il y a pourtant un aspect décisif de notre société qui les réunit. C’est le vide. « Le cœur de l’homme est vide et plein d’ordures. » C’est ce génial penseur chrétien qu’était Pascal qui fournit la meilleure explication du phénomène. L’homme aime aimer, et donc aussi haïr. Il a besoin de sens. Lorsque ni l’éducation, ni la société dans laquelle on vit, ni la religion qui a inspiré celle-ci durant des siècles ne fournissent plus les vérités ou même les illusions qui répondent à ces exigences, alors n’importe quoi peut combler le vide. Plus il sera ressenti, plus les « ordures » viendront le remplir. Le départ vers la guerre sainte est accidentellement lié à la présence de l’islam à travers une population, des réseaux et des moyens, mais essentiellement due à « l’ère du vide » traversée par notre civilisation et analysée par Gilles Lipovetsky.

    Le passage du néant à l’existence se sera opéré à travers plusieurs stades. Le premier aura été l’inconsistance du milieu éducatif. Second stade : pour les plus favorisés, l’avalanche d’images violentes tirées des jeux vidéo ou des séries, l’autorisation implicite du gouvernement de faire la guerre aux méchants comme Kadhafi ou Assad auront permis à l’imagination de composer la silhouette d’un héros mû par la seule religion dont il aura entendu parler, l’école se condamnant à être muette sur le sujet, la télévision à parler du ramadan plus que de la fête de Pâques, et le rare prêtre rencontré empressé à dire tout son respect pour l’islam, religion de paix. Les moins favorisés, quant à eux, auront trouvé, après le passage par la case « trafic et gang », puis par celle de la prison, et grâce à l’endoctrinement au sein de cette brillante institution, le chemin de Damas, malheureusement très différent de celui de saint Paul. Enfin, le réseau aura permis le voyage et la prise en main.

    Comme d’habitude, faute d’avoir appréhendé le problème à temps, il paraît impossible de le combattre à sa source. Sa source ? D’abord, le relâchement des communautés naturelles, la famille, la nation, l’abandon de l’assimilation des nouveaux arrivants au profit d’un communautarisme toléré, le renoncement à l’autorité : on voit dans cette énumération la tâche écrasante d’une réaction salutaire, d’une restauration indispensable. On en mesure aussi l’irréalisme politique. Alors, on se contente de rustines en amont et en aval de la fuite. Ce sera le repérage des ruptures opérées par un individu avec son milieu. Ce sera la surveillance accrue de certaines destinations. Ce sera, au retour, la création, comme au Danemark, de centres de désendoctrinement, afin d’éviter la prison. L’hypothèse farfelue de ne pas laisser rentrer les djihadistes peut s’envisager pour des binationaux qui seraient déchus de leur nationalité française. Mais cette mesure n’est pas dans l’air du temps, hélas, et elle ne peut valoir pour des Français qui n’auraient pas d’autre pays.

    Cette question est encore marginale quantitativement. Elle est cruciale en fait, car, derrière elle, se pose celle de l’authenticité de notre civilisation et de sa capacité à susciter l’adhésion de ses membres.



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