• Ludovic ROBBERECHTS : Essai sur la philosophie réflexive

    Il arrive qu'un livre "tombe à pic" dans le "parcours" d'un lecteur (en particulier dans le domaine philosophique), c'est le cas pour le lecteur que je suis de ce livre ci , écrit au début des années 70... mais auparavant quelques mots à propos de ce blog...

    J'ai passé pas mal de temps à écrire trois articles assez "pompeux" (pour ne pas dire pompiers ? ) sur le "Mal radical" sans assez me rendre compte que moi même je me livrais au Mal en faisant ce que je fais ici...

    car si la notion de "Mathesis universalis" (que je n'ai pour l'instant pas vraiment explicitée, et pour cause : c'est un peu l'arlésienne, ou plutôt une auberge espagnole, chacun y apporte sa propre cuisine !) doit être prise au sérieux (et pour ma part je la prends au sérieux : j'ai peut être tort !), alors cela signifie que l'on ne doit reconnaitre comme admis , comme "vrai" que ce qui est "vérifié" (comme dit Brunschvicg), c'est à dire ce qui est démontré ou asserté avec une certitude au moins égale à celle des propositions mathématiques (dont on sait d'ailleurs que Descartes, qui est l'un des Maitres que je reconnais, les englobait dans son doute radical ce qui lui permettait de trouver des vérités reconnues avec un degré de certitude encore supérieur : apodictiques).

    Or je n'ai pas assez signalé ici que tout ce que je dis (absolument tout)  n'est pour l'instant que ma certitude "subjective", la certitude de quelqu'un qui n'est d'ailleurs même pas un philosophe ni un mathématicien ou physicien professionnel... et de quelqu'un qui dans sa vie privée n'a pour l'instant montré aucune prédisposition à la poursuite de la sagesse...

    ces précautions étant prises, revenons au livre de Ludovic Robberechts , (un philosophe né en 1935 et qui n'a donc pas pu connaitre personnellement Brunschvicg) , livre paru en deux volumes :

    Essai sur la philosophie réflexive tome 1 (paru en 1971), consacré aux quatre philosophes représentant d'après lui cette tendance philosophique : Maine de Biran, Lachelier, Lagneau et Brunschvicg

    Essai sur la philosophie réflexive tome 2 paru en 1974, consacré au philosophe qui d'après Robberechts vient couronner l'édifice de cette philosophie (et de la philosophie en général) : Jean Nabert (1881-1960), puis au "dépassement" de la philosophie (dépassement rendu possible seulement parce que Nabert en a en quelque sorte trouvé le bout, la fin, avec l'aporie constitutive du problème du Mal) par le "retour" (mais est ce bien un retour??) au judaïsme, c'est à dire le fait de quitter le terrain "intellectualiste" qui est celui de la philosophie occidentale depuis Platon pour se confier uniquement à la garde des mythes, et encore pas n'importe quels mythes : les mythes juifs (car d'après Robberechts, tous les autres mythes se retournent un jour ou l'autre contre ceux qui se laissent gouverner par eux).

    Il s'agit donc d'une position très tranchée, comme on le voit, et qui se situe à l'antipode exact des thèses soutenues ici ! mais comment pourrait t'on parvenir à la vérité si l'on n'ose pas affronter la contradiction ? et surtout si l'on adopte une posture ou une méthode à caractère scientifique, où tout ce qui est affirmé doit être "réfutable" si du moins cela ddoit avoir une valeur de vérité.

    Je ne vais d'ailleurs pas "affronter" quoi que ce soit, car je dirai d'emblée qu'il s'agit d'un livre admirable, extrêmement important, et tout à fait déstabilisateur pour quelqu'un comme moi!

    Le tome 2 est accessible online en "aperçu limité" (c'est à dire que l'on ne peut voir que certaines pages, mais il y en a assez pour que l'on puisse se faire une idée correcte du livre) sur "Google" , à l'adresse suivante :

    http://books.google.fr/books?id=sOn_tLn5yTsC&pg=PA3&dq=robberechts&ei=f3U6SN3lN5XuygTsnL3LDw&sig=iF3bL0J_vlZgfOiAWo16xXroeRY

    le tome 1 était aussi lisible sur Google il y a quelques mois, il ne l'est plus pour l'instant, peut être redeviendra t'il accessible un jour... en tout cas on peut facilement acheter les deux volumes sur Internet, je l'ai fait moi même en début d'année...

    L'importance du travail de Robberechts vient de ce qu'il prend son départ au coeur même de la philosophie occidentale, qui est selon lui (et selon moi) son noyau "intellectualiste", pour ensuite la dépasser (enfin ... d'après lui ). Et ce n'est évidemment pas un hasard s'il termine par Brunschvicg, qui représente incontestablement l'aboutissement suprême de cette philosophie rationaliste, intellectualiste et mathématisante (à partir des années 70, et surtout 80 avec l'Etre et l'évènement vient s'y ajouter Badiou, mais j'ai déjà précisé que je le considère comme déviant de la ligne rationaliste et brunschvicgienne).

    Robberechts se livre à une critique acérée de Brunschvicg, et à travers lui de Spinoza et du Spinozisme, qualifié de pensée abstraite et sans portée réelle sur la "vie"... je n'ai pas le temps de faire ici une recension et un commentaire, voire une réfutation , détaillée du livre, aussi me contenterai je de dire pourquoi à mon avis Robberechts a tort concernant Brunschvicg; il reprend à son sujet les accusations,  déjà lancées dans les années 30 par Nizan et Sartre et sa "bande" , de "philosophie alimentaire" , même s'il garde un certain tact (et une admiration certaine pour Brunschvicg, dont il signale l'émouvante bonté, incompréhensible pour lui) et ne va pas jusqu'à le traiter de "chien de garde" du capitalisme bourgeois...

    Je n'ai pas le livre sous les yeux, et le tome 1 en question n'est pas accessible online, mais je résumerai ce que dit Robberechts ainsi : Brunschvicg concevrait le philosophe comme "au dessus" des autres hommes, en ce qu'il utiliserait leurs travaux (et en particulier les durs labeurs des scientifiques) pour "parvenir tout seul dans son coin" à son idéal de contentement de l'esprit au moyen de la réflexion intellectuelle, désertant ainsi et refusant de prendre part aux tâches collectives de luttes pour l'amélioration du sort de tous.

    Mais la philosophie de Brunschvicg, telle du moins que je la comprends, est tout à fait différente de cette description : l'idéal de contentement ou de "joie souveraine" ininterrompue promise par la philosophie de Spinoza et Brunschvig, obtenue (et c'est là l'apport de Brunschvicg) par un examen et une réflexion de plus en plus approfondie, mais aussi honnête, scrupuleuse et humble, sur les résultats de la science, concerne tout homme, en droit, même si en fait, et pour le moment, dans l'état actuel (bien plus déplorable à notre époque encore que du temps de brunschvicg) de nos "sociétés" il n'est visé que par une minorité restreinte, et obtenu par une minorité bien plus restreinte encore. Mais doit on accuser de ce fait les rares "philosophes" qui y parviennent, par un travail acharné et incessant, s'étendant sur toute une vie, et au prix d'un renoncement total aux "autres plaisirs de la vie" (faux plaisirs , selon Spinoza, et destructeurs) et d'une "ascèse intellectuelle" fort exigeante ? non ! on doit plutôt accuser la lâcheté et la pusillanimité de ceux qui n'y parviennent pas, ou n'ont même pas l'idée de tenter l'aventure...et après tout s'ils veulent vivre autrement libre à eux ! mais alors pourquoi accuser les rares personnes qui choisissent la voie de Brunschvicg de démission ?? eux aussi ont le droit de vivre selon leurs critères, ils ne font de mal à personne...ou en font ils ? c'est ce que semble penser Robberechts...

     chacun fait fait fait cki lui plait plait plait , on est en démocratie !

    passons maintenant au tome 2...

    Je suis d'emblée d'accord avec Robberechts sur l'importance cruciale de Nabert pour la philosophie. Il le place à ce premier rang, en compagnie de Merleau Ponty et de Husserl (il a écrit en 1964 un petit livre sur Husserl, facile à se procurer aussi). Il est à noter que Nabert comme Merleau-Ponty sont des élèves de Brunschvicg....eux aussi ! il semble que tous les grands auteurs de philosophie d'après guerre le soient, et aient été influencés de façon essentielle (pour leur orientation philosophique) par Brunschvicg, même si c'est négativement (comme Sartre). C'est là la marque d'un grand Maitre de sagesse, ce que fut indéniablement Brunschvicg, et il y en a bien peu de cette envergure ... en fait il n'y en a aucun d'après moi!

    Robberechts note que sous des dehors respectueux (il a écrit un article sur Brunschvicg empreint d'une déférence infinie dans la revue de métaphysique et de morale en 1928 ) Nabert est le seul élève, ou plutôt disciple, qui se soit affranchi et ait ainsi dépassé le Maitre. Mais est bien vrai (qu'il soit le seul) ? n'est ce pas le propre d'un vrai Maitre que de vouloir former des esprits libres, donc libres vis à vis de lui même, et donc de vouloir que, leur temps venu, les disciples "tuent le Maitre" ?

    voici le lien de cet article de Nabert sur l'oeuvre de Brunschvicg, le "Progrès de la conscience" dans la revue de métaphysique et de morale (aller pages 219 à page 275):

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11247m.pagination

    Nabert est le type même du philosophe véritable, qui a très peu écrit parce qu'il ne voulait écrire que des choses importantes et vérifiées (héritage de Brunschvicg !!), vérifiées non pas comme en mathématiques mais passées au crible d'une conscience d'une méticulosité et d'un scrupule infinis ! il ne reste que trois livres de lui, mais on pourra se contenter de lire son petit traité de 1955 : Essai sur le Mal, qui contient tout en germe. Je l'ai lu moi même il y a longtemps, et dois le retravailler si je dois en dire quelque chose ici, aussi me bornerai je dans cet article à admettre ce que dit Robberechts, c'est à dire que Nabert est le seul philosophe occidental à situer exactement, à poser de façon correcte le problème abyssal du Mal, de l'injustifiable dans le monde (en fait je ne l'admets pas, puisque Brunschvicg le pose aussi mais n'en reste pas à l'aporie, car il y apporte une "réponse", réponse qui si l'on veut n'en est pas une car elle consiste non pas à fuir, mais à changer les données du problème).

    On pourra lire à l'adresse suivante une thèse doctorale sur "Conscience de soi et conscience de Mal dans l'oeuvre de Nabert":

    http://edoc.bib.ucl.ac.be:81/ETD-db/collection/available/BelnUcetd-06012005-231058/unrestricted/thesedoctorale.pdf

    Mais, selon Robberechts, Nabert ne va pas plus loin : il pose correctement le problème (dans "Essai sur le Mal") et marque ainsi la fin de la métaphysique et son possible dépassement, mais ne donne aucune réponse : c'est là son héroïsme philosophique (un "héroîsme de la Raison" semblable à celui que husserl appelait de ses voeux dans la Krisis en 1936) de rester honnête intellectuellement et de dire : "là je ne peux pas répondre" si c'est le cas... d'ailleurs cette issue est elle si éloignée de celle de Brunschvicg qui disait : l'esprit refuse de répondre pour la matière et pour la vie, c'est à dire qu'il refuse de "descendre" de son niveau aux niveaux inférieurs, matériels ou vitaux, qui sont ceux où se pose le problème du mal ? encore faut il, quand on donne pareille solution, pouvoir l'appliquer soi même dans sa vie réelle et tel est le sens de la question que Gabriel Marcel (ou est ce Blondel ??) posait à Brunschvicg qui disait que sa propre mort n'avait aucune importance à ses yeux : "oui mais et la mort de Madame Brunschvicg ?"

    mais ce n'est pas la philosophie ou les philosophes qui "vont plus loin" que cette aporie où en reste Nabert et donnent non pas la solution, mais la réponse : d'après Robberechts, ce sont les juifs... les juifs croyants, ceux qui confient leur vie non pas à la raison gréco-philosophique, mais aux mythes juifs du Tanakh (=Torah-Neviim-Ketouvim : Torah plus prophètes plus livres sapientiaux, soit "l'ancien testament").

    Il y a certes une similitude avec le cas de deux autres penseurs juifs : Frantz Rosenzweig, l'auteur de "L"étoile de la rédemption", qui en 1913, visitant à Berlin une synagogue très modeste, a une sorte de "révélation" et décide de "faire retour au judaïsme", et bien sûr Emmanuel Lévinas. Mais il ya aussi une différence énorme, qui est que Rosenzweig comme Levinas restent des philosophes et quels philosophes ! et à la différence de robberechts ils n'établissent pas de hiérarchie, leur judaïsme leur est une "ressource" pour leur parcours philosophique, c'est flagrant chez Levinas, et en tout cas ne prétendent pas "dépasser" ou "transcender" grâce au judaïsme la philosophie qui serait arrivée au bout de sa course.

    Je vois une autre parenté, cela fera sans doute bondir certains : celle de Heidegger !

    on a pris l'habitude, depuis la polémique déclenchée par des livres comme ceux de Farias, de faire le portrait de Heidegger en penseur nazi : il s'est engagé aux côtés des nazis pendant un an, jusqu'à 1934, et beaucoup de penseurs animés de mauvaises intentions à son égard tentent de démontrer que ce choix n'est pas accidentel, que la pensée heideggerienne est essentiellement nazie.

    Mais on ne rappelle pas assez souvent que Marlène Zarader, dans son livre "La dette impensée", a montré avec succès que cette pensée heideggerienne est redevable aux penseurs-prophètes  hébraïques, quand elle cherche à remonter aux conceptions pré-platoniciennes de la vérité comme décèlement et aux époques "initiales" et matutinales de l'aurore grecque, avant l'oubli de l'Etre initié par Platon et Socrate et qui marque le "destin" dont la métaphysique occidentale ne pourra jamais s'affranchir. D'après Marlène Zarader, cette époque grecque pré-platonicienne est en dette vis à vis du judaïsme, vis à vis des penseurs hébraïques.

    Pour ma part je n'ai pas attendu d'avoir lu le livre de Zarader pour observer les analogies et similitudes frappantes entre certains aspects de la doctrine de la pensée remémorante de l'Etre chez Heidegger , et certains aspects du judaïsme , notamment quand il remplace la vision (l'oeil) qui est l'obsession de la métaphysique occidentale (encore chez Husserl qui parle sans arrêt de "voir", et d'ailleurs on sait que le mot théorie se réfère étymologiquement à la vision), quand dont le judaîsme choisit de mettre plutôt l'accent sur l'écoute... par exemple dans la prière juive "Shma Israel , Adonai eloheinou, Adonai ehad..." : écoute Israel, le Seigneur (ou le nom, Hashem) est notre Dieu, le Seigneur est Un...

    et d'ailleurs David Lynch autre "contestataire" intempestif de l'ordre occidental fondé sur le voir "grec", la théorie, le regard, a lui aussi recours aux hébreux et à leur "écoute" quand au début du film "Blue Velvet" il met en scène un personnage qui trouve une oreille tranchée au rasoir dans l'herbe....façon de suggérer la violence symbolique de l'Occident gréco-chrétien envers les juifs, violence consistant à donner toute la place au "voir" théorique (notamment dans la science "dure", la physique géométrique par exemple, à partir du 17 ème siècle) et à ainsi anéantir,  en lui retirant tout "lieu" , le recours juif à l'écoute (de la Parole mythique), à l'oreille.

    Faut il alors évoquer (symmétriquement) le film de 1928 de Luis Bunuel : "Un chien andalou" , où l'on assiste à cette scène insupportable d'un rasoir qui tranche un oeil en gros plan ?

    peut être...sans doute...certainement ! il ne serait pas étonnant outre mesure que Lynch, qui comme tous les réalisateurs dignes de ce nom doit être un grand cinéphile, se soit remémoré cette scène du "Chien andalou" quand il a tourné "Blue Velvet".... ce même David Lynch dont le nom a figuré sur des "listes de personnalités à abattre" dans des groupes neo-nazis américains, et qui quelques années avant "Blue Velvet" avait tourné "Elephant Man", ce film grandiose où un pauvre homme défiguré au visage "éléphantesque", tourmenté et torturé par l'ordre économique ignoble de l'Angleterre victorienne et ses cirques, ne trouve refuge que dans le livre des Psaumes, c'est à dire dans le judaïsme...

    Luis Bunuel est lui aussi resté toute sa vie un contestataire de l'ordre bourgeois, et qu'est ce d'autre que le surréalisme (à l'oeuvre dans "Un chien andalou") qu'un gigantesque attentat contre ce qui était jugé à l'époque (après guerre) insupportable dans l'ordre occidental moderne (des nations européennes colonisatrices ou "anciens empires" comme Espagne ou Portugal) ?

    Ce (long) détour par le cinéma vise à mettre en évidence deux ordres symboliques totalement hétérogènes : celui que nous appelons "occidental" (européen), propre à cette humanité européenne qui depuis les mutations de la Renaissance choisit de se donner une nouvelle figure fondée sur la philosophie grecque (c'est tout le développement du début de la Krisis de Husserl) ; et celui qui reste en "marge" (contestataire de l'hégémonie occidentale donc) et qui comprend les "juifs", et prend recours sur les mythes juifs et leur fondement sur l'écoute plutôt que sur le voir théorique.

    Et ce n'est pas une mince surprise que de voir Husserl (d'origine juive, mais converti au christianisme,  néanmoins persécuté par les nazis) dans le premier "camp", et Heidegger le prétendu "nazi" dans le second ! d'ailleurs Gérard Granel ne parle t'il pas, dans sa préface à la Krisis, de la "paranoïa théorique occidentale à l'oeuvre chez Husserl" ?

    La pensé de Heidegger possède avec évidence une puissance explosive dirigée contre l'Occident et la modernité nihiliste, celle de la mise en exploitation sans limite de l'étant, naturel ou humain, comme "ressources", dans le Gestell, l'arraisonnement, l'appropriation sans frein de tout le domaine de l'étant et sa mise au service de la production, de la "croissance", économique ou relevant d'autres domaines de l'être historial .

    C'est évidemment là l'explication de certaines convergences (contre nature en apparence seulement) entre heideggeriens "de gauche" et autres contestataires ou "altermondialistes".

    Je caractériserai et résumerai cette opposition par celle que j'avais déjà souvent pointée entre les deux syllabes MA et MU (qui en hébreu devient "MY" = mem + yod), et qui remonte au Zohar , cette "somme" de l'ésotérisme juif appelé "Qabbalah".

    On sait que les rabbins du Zohar (le passage en question se situe au tout début du tome 1) mettent en parallèle la question visant l'étance , la relation, le "comment" propre à l'interrogation scientifique : "Mah zoth ?" : qu'est ce que c'est ? en quoi cela consiste ?

    et la question visant "ce qui est au delà de l'essence" , qui pour les hébreux prend la forme (dans le zohar) : MY bara eleh ? qui a créé cela ?

    Ils relient ces deux syllabes (MA et MY) aux Eaux inférieures (MA) et supérieures (MY) de Genèse 1 dans le "jeu de mots" kabbalistique : MAYIM (qui en hébreu veut dire "EAU") , mot formé de la syllabe MA à l'endroit et de la syllabe MY inversée... car le domaine "supérieur" (Natura naturans, nature naturante))est soumis à un ordre inverse du domaine "inférieur-naturel-mondain" (Natura naturata, nature naturée).

    Dans nos langues MA donne MAthématique, MAtière, MAtrix, MAthesis universalis, et MU ou MY donne : MYthes, MYstique, MYstère, MUet, MUsique...aussi doit on voir du sens dans le nom du  séminaire déjà évoqué de François Nicolas : MAMUPHI :

    http://www.entretemps.asso.fr/maths/

    cette opposition que nous avons analysée sous de multiples facettes n'est pas autre chose que ce que décrit dans sa propre terminologie Robberechts , quand il oppose ce qu'il appelle les abstractions mathématico-platonisantes propres à l'Occident et à sa science théorique, et les mythes propres à toutes les civilisations non occidentales. Et on peut dire qu'il n'y va pas de main morte !

    la science est dépeinte comme une "drogue", la drogue de l'Occident que celui ci tente (avec réussite) de "dealer" , de fourguer aux autres cultures, pour s'assurer sur elles une supériorité, celle du dealer sur le toxicomane..

    cela pourra surprendre mais j'approuve sans réserve cette appréciation négative de Robberechts sur ce qu'il appelle la "science" et qu'il faudrait plutôt appeler "technoscience".

    Mais peut on opposer une science "bonne", "noble", dont tout le but est l'enrichissement de l'humanité par le développement des capacités de l'esprit humain, et une "technoscience" mauvaise, à laquelle nous sommes redevables de la bombe thermonucléaire, de l'obsession de la "croissance" ?

    c'est en tout cas la thèse défendue ici, et qui prend appui sur ce que disaient de la science ceux qui l'ont développée à ses débuts, au 17 ème siècle. Le but n'était pas et ne pouvait pas être le développement sans frein de la technique, puisque celle ci n'est apparue, sous la forme que nous connaissons, qu'à partir du 19 ème siècle. Le but en était, comme il est écrit par exemple au début de la "Logique de Port royal" (1664) le développement des bonnes qualités de l'âme (citation exacte à retrouver)

    Mais Robberechts va plus loin, et englobe dans ses anathèmes technique aussi bien que science "théorique", qui selon lui consiste juste en un développement à l'infini de formules algébriques sans aucun sens réel (ce que d'aucuns, comme Husserl, nommeront "mathesis universalis") : l'algébrisation est jugée, chez Robberechts comme chez husserl, et condamnée comme perte de l'intuition fondatrice (celle de la géométrie d'avant Descartes), ou perte du contact avec le "monde de la vie".

    Mais ici je ne suis pas d'accord, et m'appuie sur la distinction opérée par Brunschvicg entre "Verbe intérieur, logos endiathetos" , ou pensée pure, et "logos propherikos" ou langage, ou forme exérieure de la pensée exprimée (au moyen de propositions langagières ou de formules algébriques).

    Il ne faut pas confondre la Pensée et la Vérité, avec ses formulations  en langues naturelles ou mathématiques, conduisant aux chaînes de "vérités exprimées", les théorèmes.

    Ce que nous nommons "Mathesis universalis", ce n'est pas la mathématique même universelle (universal algebra) telle qu'on peut la voir développée dans les manuels, car il ne s'agit là que d'une forme extérieure, contingente; c'est la pensée "solide" qui est à l'oeuvre "derrière" , ou encore le Verbe-mathesis, la Raison universelle des esprits de Malebranche.

    Et là j'ai la caution de Descartes dans les Regulae, qui d'après les analyses profondes de Jean Luc Marion (dans "Sur l'ontologie grise de Descartes") a réalisé un "coup de force" en donnant à ce qu'il appelle "mathesis universalis" un sens dépassant la pure mathématique et englobant tout (y compris la métaphysique). Mais le très grand philosophe chrétien  Marion condamne ce "coup de force", cet "attentat" de Descartes (que  Rosenfield caractérise comme "démesure de la Raison"); moi je l'approuve, et je l'admire ..mais bien entendu je ne suis pas digne de dénouer les lacets de la chaussure de Marion, un des plus grands philosophes de l'heure...non sum dignus Domine


  • Commentaires

    1
    Dimanche 28 Juin 2009 à 17:56
    larvatus prodeo
    Juste pour marquer la plaisir que j'ai eu à la lecture de ce billet sympathique et amusant, sur lequel je suis "tombé" au hasard d'une googelisation dans le cadre de la rédaction d'un billet que je suis moi-même en train de rédiger. Plaisir de constater que ce bon René n'est pas tant ignoré ou « incompris » que je ne le craignais, même si je pense que Marion n'est pas aussi fiable que vous semblez le penser en termes d'herméneutique cartésienne ( si cela peut avoir un sens ). Pour noter aussi que vos médiations kabbalistiques me semblent bien éloignées des visées de notre "maître" et que votre indulgence ( compréhensible) à l'égard d'heidegger trouverait un assez bon contredit chez un expert bien plus consistant et véridique que ses "confrères" philosophes , je veux parler de Thomas Bernhard : lire absolument le long monologue sur Heidegger dans « Maîtres anciens » à mon avis un avis très proche de ce que ce bon René aurait pu en dire mutatis mutandis, s’il avait pu constater toutes les étranges monstruosités issues « malgré tout » de sa généalogie .
    2
    Lundi 29 Juin 2009 à 14:31
    Bonjour Urbain
    je suis heureux que la lecture de ce billet vous ait fait plaisir, et pour ce qui est des méditations kabbalistiques et de Heidegger (qui n'en est pas si éloigné, puisque d'après Marlène Farader la pensée de Heidegger doit beaucoup à la pensée hébraïque) vous prêchez un convaincu... mais la raison ne peut accomplir son travail que "contre" et donc "grâce à " l'altérité, et comme altérité je préfère les heideggerrriens aux fans de Michael Jackson ! merci pour la référence dans Thomas Bernhard
    3
    Fernand Schmetz
    Jeudi 21 Janvier 2010 à 15:57
    Ludovic Robberechts
    Vous avez écrit un des rares articles sur Ludovic Robberechts, il y a plus d'un an et demi. Avez-vopus continué à travailler sur cet auteur? Actuellement, il figure aussi sur Wikipedia.
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