• Madame A.



    Dans mon métier de prof' de français langue étrangère, l'une des cerises sur le gâteau, c'est la beauté des femmes et, en vérité je vous le dis, ces dames originaires des pays de l'Est européen sont particulièrement superbes.

    Ce n'est pas dans mes habitudes
    de mêler vie privée et professionnelle
    mais j'avais quand même accepté l'autre jour
    une invitation pour le repas de midi
    chez une participante à mes cours,
    appelons la Madame A.

    Mme A. approche de la quarantaine,
    est mince et pas très grande, a les cheveux blonds coupés courts,
    un visage de madone et des yeux bleus où il y aurait moyen de se noyer.
    Divorcée d'un mari violent, la voilà arrivée en Belgique depuis un an,
    dans un minuscule appartement,
    dont le salon n'est séparé de la chambre
    que par une garde-robe et une tenture chamarrée.

    Nous avons donc mangé dans le salon,
    ... mais oui, qu'alliez-vous imaginer ?
    Musique bulgare, évidemment ;
    album photos, bien sûr ;
    clichés inévitables : en Bulgarie,
    "on dit qu'il n'est plus nécessaire de montrer ses poches
    à son voisin, car ce dernier a déjà les mains dedans
    ",
    tristesse et nostalgie, absolument.

    Apéritifs et snacks à volonté,
    puis soupe sucrée en entrée,
    boulettes de viande aux œufs durs,
    quelques verres de vin, d'alcool,
    un dessert et le pousse-café en sortie.


    Dans son français balbutiant,
    Mme A. n'a cessé de parler tout au long de nos deux heures,
    de ses difficultés de trouver un travail en Belgique,
    des regards méfiants des employeurs
    (« Ah oui... vous êtes quoi, vous dites ?... Bulgare...
    oui, oui, la filière bulgare...
    oui, un peu comme la mafia roumaine, quoi !
     »).


    Ma Bulgarie n'a pas de Culture, bégaye-t-elle,
    au propre comme au figuré,
    tant et tant d'années de domination turque,
    puis tant et tant d'années de domination soviétique,
    et maintenant, tant et tant d'années à venir...
    de domination européenne.
    « Je ne sais pas qui je suis ! », conclut-elle,
    le regard bas, les mains crampées l'une à l'autre.

    Je me suis tu, qu'aurais-je eu à rétorquer ? ;
    elle avait besoin d'écoute et d'attention ;
    mon rôle et ma situation personnelle
    ne me permettaient pas de lui donner de l'affection.        


    Aujourd'hui, Mme A. est repartie dans son pays pour toujours.
    Notre rencontre fut en quelque sorte son dernier cours,
    fameuse leçon de vie pour tous les deux, assurément.


    Bernic 2005

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