• Ben Hanafi: les poètes ne meurent jamais


    Par Mohamed Arezki Himeur

    Ils étaient tous là. Des proches, des amis, des admirateurs, des artistes, des journalistes, des étudiants, de simples citoyens… Le village d’Ath Sidi Athmane était envahi le 5 mars 2012, dès les premières heures de la matinée, par une foule nombreuse. Elle est venue accompagner le poète et homme de radio Mohamed Ben Hanafi, décédé la veille à l’âge de 85 ans,  à sa dernière demeure.
    Qui est Mohamed Ben Hanafi ?
    Fin des années 60. La chanson féminine kabyle était confrontée à un gros problème : celui de la relève. Les chanteuses se faisaient de plus en plus rares. Il n’y avait presque plus de nouvelles voix sur la scène artistique pour poursuivre dans la voie tracée par la petite poignée de chanteuses qui ont cassé les tabous entre 1930 et 1950, voire même avant.
    Mohamed Ben Hanafi avait été le premier à prendre à bras le corps ce problème. Il s’était mis à la recherche de nouvelles voix, de nouveaux talents. Il faisait, pour ce faire, la tournée des lycées et collèges de Tizi Ouzou et d’Alger. Une démarche concluante puisqu’elle avait permis de réaliser une sorte de « soudure » entre les anciennes et de nouvelles chanteuses. Cela s’était passé à la fin des années 1960 et au début des années 1970.
    Les légendaires chorales féminines des jeunes filles des lycées Fadma N’Soumeur et El-Khansa de Tizi Ouzou, d’où est sortie la talentueuse Malika Domrane, est là pour confirmer, indéniablement, que Si L’Hanafi, comme l’appelaient ses admirateurs, a beaucoup fait, donné et apporté à la chanson et la poésie kabyles. Nouara, Malha, Chabha et bien d’autres chanteuses ont été ses élèves. Ses textes ont été chantés par de nombreuses chanteuses et chanteurs, dont certains sont devenus de grandes vedettes de la chanson kabyle.
    Artiste jusqu’au bout des angles, Si L’Hanafi s’était lancé, à partir du début des années 1970, dans l’organisation à perte de spectacles, à perte. En effet, au lieu de gagner de l’argent, de faire fortune, le poète et des artistes qui participaient aux galas, comme Nouara, Mouloud Habib, Dali Omar, Medjahed Hamid, Hassen Abassi, Halli Ali et Mohamed Aouachta pour ne citer que ces exemples, en déboursaient de leurs poches pour pouvoir payer le fisc et l’Office des droits d’auteurs.
    C’était cela Si L’Hanafi. C’était sa manière à lui faire vivre la chanson kabyle, d’encourager les nouveaux chanteurs à faire mieux, en les mettant en contact direct avec les spectateurs, très exigeants à l’époque.
    Force est de reconnaître que le moment choisi pour organiser les spectacles n’était pas fortuit. Calculée ou pas, la démarche coïncidait avec l’arrêt des cours en tamazight de Mouloud Mammeri à la Fac centrale, la suppression des émissions enfantines, l’arrêt de la couverture des matches de football en kabyle à la chaîne 2, la réduction drastique de la puissance des émetteurs de cette même chaîne et le lancement tambour battant la politique d’arabisation dans le pays.

    Une vie pour la Culture

    Les galas constituaient aussi, à l’époque, une occasion pour les « berbéristes » (les défenseurs de tamazight) de s’échanger des nouvelles, de distribuer sous le burnous les documents édités par l’Académie Berbère basée à Paris et des revues ronéotypées clandestines, comme « Itij » (le soleil), éditées par des lycéens et collégiens en Algérie.
    Né le 7 février 1927 au village d’Ath Sidi Athmane, dans la commune de Larba n’Ath Ouacifs (région de Tizi Ouzou), Mohamed Ben Hanafi était responsable d’une zone de l’Armée de libération nationale (ALN) dans la région de Tiaret (ouest algérien) durant la guerre de libération nationale. Mais il ne parlait jamais, sinon rarement, de cette période de sa vie.
    Il n’avait fait, disait-il, que son devoir de patriote et d’Algérien épris de liberté. Une fois l’indépendance acquise, Si L’Hanafi a tourné la page. Il n’avait même tenté de faire valoir ses droits d’ancien combattant de la guerre d’indépendance. Il s’était consacré corps et âme à sa passion : la poésie, la sienne mais aussi celles de ces prédécesseurs qui ont laissé une empreinte indélébile dans la poésie kabyle, à l’image de Si Mohand Ou M’hand, Ahmed Lemseyah, Youcef Oulefki, Smaïl Azikiou…
    Ses débuts dans la poésie remontent au début des années 1950. Arrivé à Alger en 1963 où il s’était installé comme tailleur à la basse Casbah, Si L’Hanafi avait rejoint quelques mois plus tard la chaîne 2 comme producteur et animateur d’émissions en freelance (cachetier). Sa première émission fut « Leqlam ajdid » (la nouvelle plume), suivie, près de 50 ans durant, par de nombreuses autres émissions toutes liées à la poésie, les traditions, les contes et autres sujets de la culture orale.
    Il avait édité, au milieu des années 1960, un petit livret de poèmes sur les presses du quotidien El Moudjahid. Homme humble, poète modeste, Si Mohamed Ben Hanafi maîtrisait parfaitement la langue kabyle et, surtout, ses subtilités. Ce qui n’est pas peu dire.
    La chaîne 2 et le Haut commissariat à l’amazighité (HCA) lui avaient organisés deux hommages bien mérités, respectivement le 7 février 2008 et le 1er septembre 2010, pour son apport à la culture kabyle en particulier et berbère en générale.
    Adieu l’artiste.

    M.A.H


    Tags Tags : , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :