• Kamel Hamadi - film: une vie, une oeuvre et un regard sur un demi-siècle de chanson algérienne


    Par : Mohamed Arezki HIMEUR
    Liberté – 16 décembre 2009

    Moments émouvants et touchants à la fois. Kamel Hamadi était ému de se retrouver, l’espace d’une journée, dans trois endroits qui ont marqué son enfance : l’école primaire d’Ath Saâda, la maison familiale et tajmat du village. Trois lieux, trois souvenirs et trois fortes émotions. “Je faisais 8 km par jour,  4 km à l’aller et 4 km au retour, à pied et pieds nus, en hiver comme en été, lorsque je fréquentais cette école. Cela remonte aux années 1940”, dit Kamel Hamadi devant le portail de l’école primaire d’Ath Saâda, à Yatafen, dans la wilaya de Tizi Ouzou.
    Bien sûr, l’établissement a beaucoup changé. Il s’est agrandi. Il compte aujourd’hui plusieurs salles de classe et un nombre plus élevé d’élèves, filles et garçons confondus. Kamel Hamadi fait quelques pas, contemple le voisinage et se retourne. “Même les alentours ont beaucoup changé. Avant, il n’y avait pas toutes ces maisons”, dit-il. Il revient sur ses traces d’enfance plus de  60 ans après pour les besoins d’un documentaire sur sa vie, son œuvre et son parcours artistique. Ce projet est porté à bout de bras par trois personnes qui ont pour point commun, entre autres l’amour de la culture en générale et de la chanson en particulier : Mohamed Berkani, Abderezzak Larbi Chérif et Ben Mohamed.
    Plus loin, à Ath Daoud, son village natal, l’émotion a été encore plus intense. Surtout lorsque l’artiste pénètre dans ce qui reste de la maison familiale. Une maison qui était coquette autrefois. Aujourd’hui, elle n’est que ruines. Cette bâtisse de son grand-père fut le refuge de moudjahidine pendant la guerre d’indépendance. Elle avait été incendiée et détruite par des militaires français après un violent accrochage avec des moudjahidine.
    À quelques mètres de là, tajmat. De ce lieu de rassemblement des villageois, après une dure journée de labeur, il ne reste qu’un petit banc à ciel ouvert, fait de pierres et de terre. Tajmat est devenue un tas de pierres.
    Ces trois endroits — l’école primaire, la maison familiale et tajmat — ont servi de décor naturel à des prises de vue pour les besoins du documentaire sur la vie et le parcours de Kamel Hamadi. Un artiste multiple, aux différentes facettes, plein de talent, qualifié par des spécialistes de bibliothèque vivante et de mémoire de la chanson algérienne. “C’est un monument historique vivant, c’est une institution à lui tout seul”, dit de lui Mohamed Berkani, le producteur et co-réalisateur du documentaire. Un documentaire qui a pour but de “combler un manque pour la mémoire collective”.
    Car, Kamel Hamadi, du haut de ses 73 ans, a énormément de choses à dire, à nous apprendre, à nous faire connaître et apprécier.
    Il porte en lui, dans son cœur, sa mémoire et ses archives personnelles, plus d’un demi-siècle de la mémoire de la chanson et de la musique algériennes, mais aussi maghrébines.
    Et le documentaire qui lui est consacré vise, justement, à faire la lumière sur ce pan important de l’histoire de la culture algérienne. Cela se fera à travers, notamment, des interviews avec les personnes qui l’ont connu et côtoyé, des artistes avec qui il a travaillé, des chanteurs (et chanteuses) et interprètes à qui il a écrit des chansons et/ou composé des musiques, des musicologues, des sociologues et des historiens.
    Kamel Hamadi a produit quelque 2 000 chansons interprétées par des chanteurs et chanteuses de renom, tels qu’El-Hadj M’hamed El-Anka, H’nifa, Lounis Aït Menguellet, Cheb Mami, Cheb Khaled et bien sûr son épouse Noura qui a obtenu, durant les années 1970, un disque d’Or. Noura et Slimane Azem sont les deux seuls chanteurs algériens à avoir décroché cette distinction pour avoir atteint ou dépassé le million de disques vendus.
    Kamel Hamadi, artiste prolifique, a aussi produit une multitude d’opérettes, de pièces de théâtre radiophoniques et animé, pendant quelques années, des émissions sur la musique à la Chaîne II de la radio algérienne.
    La naissance artistique de Kamel Hamadi a coïncidé, à une demi-douzaine d’années près, avec la création des émissions en langues arabe et kabyle (ELAK) à Alger, durant les années 1940. “Avec le documentaire sur cet artiste, c’est toute l’histoire de la chanson, de la radio et de l’émigration qui va ressurgir aussi”, dit le poète Ben Mohamed.
    L’apport de la chanson de l’émigration aux  jeunes émigrés d’origine maghrébine est important, relève-t-il. “Des groupes reprennent de plus en plus les anciennes chansons. C’est une façon pour eux de renouer avec leur identité d’origine, de retrouver leurs parents qui écoutaient ces chansons”, note Ben Mohamed.
    “Lorsqu’ils étaient jeunes, les enfants n’écoutaient pas les chants qu’écoutaient leurs parents. Ca ne les intéressait pas. Mais, maintenant que les parents sont vieux ou décédés, leurs enfants se sont rendus compte que la chanson de l’émigration jouait un rôle de lien entre eux et leurs parents”, estime-t-il.
    Au-delà de Kamel Hamadi, le documentaire de 52 minutes va tenter de montrer, de retracer et d’expliquer tous les aspects et toutes les facettes de la chanson et de la musique algériennes. Il sera fin prêt pour être présenté en mars prochain au Festival du film amazigh de Tizi Ouzou.
    Le 5 décembre, Kamel Hamadi a réuni, dans le cadre d’un programme dénommé “Carte blanche”, un plateau exceptionnel d’artistes algériens, mais aussi marocains et tunisiens, à la Cité de l’histoire de l’immigration à Paris.
    Le spectacle, animé par l’écrivain Abdelkader Bendameche, a drainé une grande foule. La salle était archicomble. De nombreux admirateurs de l’auteur de maghaven wid izawren sur la fuite des cerveaux, datant des premières années de l’indépendance, n’ont pu assister au spectacle faute de places.


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