-
Lèvres aux branches cassées et autres poèmes
Vient de paraître
JORGE BOCCANERA
LÈVRES AUX BRANCHES CASSÉES ET AUTRES POÈMES
traduit par Jacques Ancet et Jean Portante
Al Manar
Jorge Boccanera est né à Bahía Blanca (Argentine) en 1952. Poète, homme de théâtre, essayiste, il est l’auteur d’une vingtaine de livres, qui lui ont valu de nombreux prix comme, entre autres, le prestigieux prix Casa de las Américas (Cuba, 1976) pour son second livre, le le Prix Internacional « Camaiore » (Italie, 2008), le Prix Casa de América de España (Madrid, 2008) et récemment les non moins prestigieux Grand Prix d’Honneur Fondation Argentine pour la Poésie (Buenos Aires, 2012) et Prix international de Poésie Ramón Velarde, (México, 2012)..
Beaucoup de poèmes font tout ce qu’ils peuvent pour ressembler à des poèmes. Ceux de Boccanera, inscrits dans une lignée qui va de Neruda à Gelman en passant par Vallejo, font tout ce qu’ils peuvent pour ressembler à la vie. Une vie marquée par la violence de l’histoire (d’où son exil de 1976 à 1984 du début de la dictature aux débuts de la démocratie revenue) mais aussi par la fraternité, l’humour, le sarcasme, la solitude, l’érotisme et la tendresse, qui donnent à cette poésie son intensité et sa force de langage.
Quand on demande à Jorge Boccanera ce qu’est pour lui la poésie, voici ce qu’il répond : « La poésie possède pour moi le souffle du voyage ; l’imprévisible, l’aventure, la liberté qui s’élargit à chaque nouveau chemin ; le halètement de la navigation qui entre dans des lieux inconnus. C’est, alors, cette ‘autre terre’ savourée, pressentie, à peine entrevue dans les yeux du voyageur. Et c’est le reportage le plus à fond qui se puisse faire sur la réalité, avec quelques pauvres mots flottant sur les immenses eaux du silence. Dialogue d’essences, de correspondances souterraines, la poésie recherche toujours le poids de l’intensité ».MONOLOGUE DU STUPIDE
Qui écrit ? La faim. La voracité fouille,
agite un épouvantail aux yeux vides. Il n’y a pas de lettres,
il y a des coups de dents. Ce qui repousse et mord.
Férocité d’écrire : chaque touche un moignon, un clou
qui raye la cuisse du silence.
Qui répond ? Une voix rouillée. Pointe
d’un cœur ébréché qui fond sur sa proie
respirant des questions.
Ça se mange. Gloutonnerie du vide.
HORLOGE
Immobile, immuable,
sédentaire,
je fixe le cadrant
atone
et statique.
Chez elle aussi
la procession passe au-dedans.
DU CAHIER DE L’IMPATIENT
L’arbre de l’Après pousse chez toi.
Ce n’est pas n’importe quel arbre, on n’en connaît pas le fruit.
(Il va donner de l’ombre. Après)
Ses racines peuvent soulever le plancher des
chambres où tu dors.
(Il va donner des fleurs. Après)
Ses branches entrent déjà par ta fenêtre.
(Il va embaumer. Après)
Il faut le couper. Maintenant !
LES YEUX DE NAZIM HIKMET PARLENT
Sur ma main
la moitié d’une orange brille.
L’autre moitié est sur une table à des milliers de
kilomètres d’ici.
Impossible de mordre cette moitié
sans qu’il fasse mal le vide.
Tags : poèmes, argentine, Boccanera
-
Commentaires