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La tragédie selon Jean Anouilh
A deux reprises, dans Antigone, Anouilh aborde la définition de la tragédie. Le Prologue insiste d'abord sur l'idée de fatalité qui empêchera les personnages d'être sauvés: "Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. (...) Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout..."
Il faut que s'accomplisse le destin et les protagonistes devront l'accepter contre eux-mêmes. Tragédie de la condition humaine lorsque par manque de certitudes, ni le oui ni le non ne l'emporte. Seule, la mort s'impose avec une force inéluctable. "Les jeux sont faits" dirait Sartre. Ainsi, au moment de dire non à la vie et à ses compromis, la petite Antigone ne sait plus pourquoi elle meurt et Créon, ce roi si adulte qui a retroussé ses manches et accepté son devoir, voudrait qu'on ne devienne jamais grand. Mais "il n'y a plus rien à faire". "Dans la tragédie, on est tranquille. D'abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme! Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui tue et l'autre qui est tué. C'est une question de distribution. Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir; qu'on est pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, - pas à gémir, non, pas à se plaindre, - à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien: pour se le dire à soi, pour l'apprendre, soi."
Dans ce second passage, le Choeur définit plus précisément le genre: intrigue resserrée autour de personnages illustres, condamnés à subir leur sort, incapables d'agir contre par l'effet de leur volonté. On laisse le fil se dérouler et on règle ses comptes avec soi, pour rien car il n'y a plus "d'espoir, le sale espoir".
On notera qu'Anouilh a accentué "cette distance de vue", en rompant l'illusion théâtrale par l'apostrophe au public. Des acteurs emprisonnés dans leur rôle par la fatalité interprètent leur histoire, devant des spectateurs qui n'ont "pas à mourir ce soir" comme on peut lire dans le prologue.
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Antigone et Ismène :
Personnage central de la pièce dont elle porte le nom, Antigone est opposée dès les premières minutes à sa sœur Ismène, dont elle représente le négatif. "la petite maigre", "la maigre jeune fille moiraude et renfermée" (p. 9), elle est l'antithèse de la jeune héroïne, l'ingénue, dont "la blonde, la belle, l'heureuse Ismène" est au contraire l'archétype.
Elle a un physique garçonnier, sans apprêts : elle aime le gris : " Antigone le dit elle même : "je suis noire et maigre". Par contre,Ismène "bavarde et rit", "la blonde, la belle" Ismène, elle possède le "goût de la danse et des jeux [...] du bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi", elle est "bien plus belle qu'Antigone", est "éblouissante", avec "ses bouclettes
Opiniâtre, secrète, Antigone n'a aucun des charmes dont sa sœur dispose à foison : elle est "hypocrite", a un "sale caractère", c'est "la sale bête, l'entêtée, la mauvaise". Malgré cela, c'est elle qui séduit Hémon : elle n'est pas dénuée de sensualité, comme le prouve sa scène face à son fiancé, ni de sensibilité, dont elle fait preuve dans son dialogue avec la Nourrice.
Face à Ismène, Antigone se distingue au physique comme au moral, et peut exercer une véritable fascination : Ismène lui dit : "Pas belle comme nous, mais autrement. Tu sais bien que c'est sur toi que se retournent les petits voyous dans la rue ; que c'est toi que les petites filles regardent passer, soudain muettes sans pouvoir te quitter des yeux jusqu'à ce que tu aies tourné le coin." (pages 29-30)
Les deux rôles féminins de la pièce sont diamétralement opposés. Ismène est une jolie poupée que les événements dépassent. Antigone au contraire est caractéristique des premières héroïnes d'Anouilh : elle est une garçonne qui dirige, mène et vit son rôle jusqu'au bout.
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Structure de la pièce :
Le rideau s'ouvre au petit matin sur la ville de Thèbes, juste après la proclamation du décret de Créon, au sujet duquel Antigone s'oppose à sa sœur Ismène. Créon apprend d'un garde que le corps de Polynice a reçu les hommages funèbres, puis voit Antigone amenée devant lui et la condamne à mort. Hémon vient supplier son père, sans succès et s'enfuit. Antigone fait une dernière apparition, puis marche vers la mort. Un messager apporte sur scène la nouvelle du suicide d'Hémon, puis de la reine. Le rideau tombe sur Créon, qui reste seul sur une scène dévastée.
Le texte d'Anouilh se présente comme une suite ininterrompue de répliques, sans aucune des divisions formelles qui font la tradition du théâtre français. Sans acte, sans scène, Antigone se veut dans sa présentation le récit continu d'une journée où se joue le destin de l'héroïne.
Anouilh ne se propose toutefois pas de révolutionner l'écriture théâtrale, et l'absence de divisions n'est qu'affaire de forme. La pièce se déroule de façon classique, rhytmée par les entrées et les sorties des personnages, qui permettent de restituer l'architecture traditionnelle des scènes et de proposer la numérotation suivante :Pages Scène Personnages 9-13 1 Le Prologue 13-20 2 Antigone, la Nourrice 21 3 Antigone, la Nourrice, Ismène 22-31 4 Antigone, Ismène 31-36 5 Antigone, la Nourrice 37-44 6 Antigone, Hémon 45-46 7 Antigone, Ismène 46-53 8 Créon, le Garde 53-55 9 Le Chœur 55-60 10 Antigone, le Garde, le Deuxième Garde, le Troisième Garde 60-64 11 Antigone, les Gardes, Créon 64-97 12 Antigone, Créon 97-99 13 Antigone, Créon, Ismène 99-100 14 Créon, le Chœur 100-105 15 Créon, le Chœur, Hémon 105-106 16 Créon, le Chœur 106 17 Créon, le Chœur, Antigone, les Gardes 106-117 18 Antigone, le Garde 117-119 19 Le Chœur, le Messager 119-122 20 Le Chœur, Créon, le Page 122-123 21 Le Chœur, les Gardes
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