• BCE : Ségolène Royal manque d’indépendance, par Franc-tireur

    Invitée phare du congrès des Partis socialistes européens (PSE) qui se tient en cette fin de semaine à Porto, Ségolène Royal nous a encore offert un formidable numéro de girouette, dénonçant le jeudi l'indépendance de la Banque centrale européenne (BCE) pour la défendre le lendemain.  Pourtant, l'essentiel n'est pas simplement dans les volte-faces de la candidate socialiste, auxquelles nous commençons à être habitués, mais dans sa proposition de modification des statuts de la BCE qui, nous allons le voir, ne changerai absolument rien à la politique monétaire de la BCE. Plus largement, cet épisode, montre l' incapacité de la candidate socialiste à assumer la rupture avec les traités européens antérieurs, pour fonder « l'Europe de la preuve » et « des gens » qu'elle appelle pourtant de ses vœux (pieux).

    Jeudi 7 décembre 2006, lors de son discours à la tribune du congrès du PSE, Madame Royal a clairement contesté la politique et l'indépendance de la BCE : "Ça n'est plus à M. Trichet de commander l'avenir de nos économies, c'est aux dirigeants désignés par les peuples" (Reuters 7/12/06). Et elle enfonce le clou : "Cela suppose aussi que la Banque centrale européenne soit soumise à des décisions politiques", décisions politiques qu'elle proposait de confier à l'eurogroupe. En soumettant la BCE aux décisions politiques, la candidate socialiste veut remettre en cause l'indépendance de la BCE. A priori, on en peut que se réjouir de cette déclaration, la soumission de la banque centrale aux gouvernements étant le seul moyen pour mettre la politique monétaire au service de l'emploi.

    Le lendemain, la candidate socialiste fait volte face : "Il ne s'agit pas de remettre en cause l'indépendance de la Banque centrale européenne mais l'omnipotence de cette banque centrale". La candidate socialiste a réaffirmé qu'il fallait "sans doute compléter le statut de la banque centrale européenne" car le système actuel "est déséquilibré, sans aller jusqu'à modifier les traités européens. "Il faut que cette banque ne soit pas seulement mise au service de la maîtrise de l'inflation (...) il faut en même temps servir l'emploi et la croissance, pour lutter contre le chômage", a-t-elle avancé. "Et donc, il faut l'équilibrer en complétant le statut de la banque centrale" (Reuters 8/12/06).

    Déjà on voit mal la différence pratique que la candidate fait entre « indépendance » et « omnipotence » : la première étant précisément la condition de la seconde. Exactement comme au niveau national, le peuple est le détenteur souverain du pouvoir, pouvoir qui est garanti et effectif grâce à l'indépendance nationale (la souveraineté). C'est parce que la BCE est indépendante qu'elle a tout les pouvoirs en matière monétaire (ce qui ne veut pas dire toute les marges de manœuvre). 

    L'indépendance de la BCE est le cœur du problème

    Mais c'est sur le fond que la proposition de la candidate socialiste – qui est celle du PS et du PSE -  révèle ses grandes faiblesse. Certes, la modification des statuts de la BCE pour ajouter à la maîtrise de l'inflation, la mission de soutenir la croissance et l'emploi peut sembler séduisante. Mais, cela ne changera absolument rien, si on ne remet pas en cause aussi l'indépendance de la BCE.  

    En effet, si la BCE est indépendante ce n'est que vis à vis du politique. Les décisions de la BCE sont en fait dépendantes des marchés monétaires et financiers, de leurs réactions et donc de leurs exigences.  

    En tant qu'institution monétaire, une banque centrale a des objectifs exclusivement monétaires (création monétaire, taux d'intérêt et réglementation bancaire). Peu lui chaud que l'emploi et la croissance soient vigoureux, si la monnaie dont elle a la charge s'effondre et qu'elle doit faire face à des attaques spéculatives.  Car c'est sur sa capacité à maintenir une monnaie forte qu'elle est jugée. Voilà pourquoi, l'objectif premier de la BCE, qui en plus est une institution « jeune », est d'asseoir sa crédibilité vis à vis des marchés monétaires et financiers, en maintenant un euro fort. C'est pourquoi la lutte contre l'inflation est toujours la préoccupation fondamentale d'une banque centrale : une inflation importante réduit en effet la valeur d'une monnaie (même si la valeur intrinsèque d'une monnaie peut dépendre d'autres facteurs, notamment institutionnels, cf. le cas du dollar). 

    Dés lors, on peut aller graver la devise « croissance et emploi » au fronton du siège de la BCE à Francfort, que cela ne changerai pas la politique monétaire : son objectif principal demeurera la lutte contre l'inflation. Seule la soumission au pouvoir politique peut amener la banque centrale à sacrifier en partie la lutte contre l'inflation à d'autres objectifs.

    Seul le politique peut concilier monnaie et croissance




    Pourquoi ? Parce que si elle est dépendante des institutions politiques, la banque centrale n'est plus responsable des conséquences de sa politique monétaire devant les marchés et l'opinion. Ce sont les gouvernement qui assument alors la responsabilité de la politique monétaire. Et comme ceux-ci, n'ont pas des pouvoirs et des missions strictement monétaires, il peuvent (dans une certaine mesure) justifier une politique monétaire aboutissant à une dépréciation de la monnaie, si cela se traduit globalement par une amélioration des autres objectifs économiques dont ils ont la charge : lutte contre le chômage, la croissance, le désendettement...

    Pour le dire autrement, lorsque une banque centrale indépendante a la responsabilité exclusive de la politique monétaire elle n'a nécessairement comme objectif que de combattre l'inflation. En revanche, lorsque le politique a la charge de la politique monétaire, celui-ci peut faire un arbitrage (i.e. trouver un équilibre) entre le niveau de inflation et celui du chômage (cf. les travaux des économistes keynésiens P. Samuelson et R. Solow). 

    Assumer la rupture avec l'europe de Maastricht 

    On retrouve ainsi, l'impératif démocratique et économique de la soumission de la politique monétaire à la décision politique : la monnaie instrument fondamental de la souveraineté, doit être contrôlée par les gouvernements légitimement élus et responsables de leur politique devant le peuple souverain.  

    Alors, pourquoi madame Royal qui semblait être sur la bonne voie (remise en cause de l'indépendance de la BCE) revient-elle sur ses déclarations pour finallement adopter l'hypocrite « modification des statuts de la BCE » ? Et bien, tout simplement parce que madame Royal est dépendante des traités européens qu'elle a soutenu (Maastricht...) et dont les socialistes français et européens sont les défenseurs zélés de « l'esprit » (François Hollande veut « revenir à l'esprit des traités plutôt que de les modifier » – Le Figaro du 9/12/06).
    Si l'on veut changer de politique économique pour retrouver la croissance (durable et soutenable) et l'emploi, il est indispensable de remettre en cause, et éventuellement de renégocier, les traités européens. Tout autre discours, tout autre programme, n'aboutiraient qu'à mentir aux citoyens... et à de sévères déconvenues.


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