-
Joris-Karl Huysmans - Là-bas
Joris-Karl Huysmans. Là-bas (1930).
p.115 (Bibliothèque Gallica)
Je suis obligé de confier mes cloches à un aide qui ne vaut rien. Ah ! Si vous l' entendiez sonner ! Moi, ça me donne des frissons, ça me crispe...
- Ne te fais donc pas ainsi du mauvais sang, dit la femme ; dans deux jours, tu pourras les sonner, toi-même, tes cloches !
Mais il poursuivait ses plaintes.
- Vous ne savez pas, vous autres ; voilà des cloches qui ont l' habitude d' être bien traitées ; c' est comme les bêtes, ces instruments-là, ça n' obéit qu' à son maître. Maintenant elles déraisonnent, elles brimballent, elles sonnent la gouille ; c' est tout juste si d' ici je reconnais leurs voix !
- Que lisez-vous ? Fit Durtal qui voulait détourner la conversation d' un sujet qu' il sentait pénible.
- Mais des volumes écrits sur elles ! Ah ! Tenez, monsieur Durtal, j' ai là des inscriptions qui sont d' une beauté vraiment rare. Ecoutez, reprit-il, en ouvrant un livre traversé par des signets, écoutez cette phrase écrite en relief sur la robe de bronze de la grosse cloche de Schaffouse : " j' appelle les vivants, je pleure les morts, je romps la foudre ". Et cette autre donc qui figurait sur une vieille cloche du beffroi de Gand : " mon nom est Rolande ; quand je tinte, c' est l' incendie ; quand je sonne, c' est la tempête dans les Flandres " .
- Oui, celle-là ne manque pas d' une certaine allure, approuva Durtal.
- Eh bien ! C' est encore fichu ! Maintenant les richards font inscrire leurs noms et leurs qualités sur les clochent dont ils dotent les églises ; mais ils ont tant de qualités et de titres qu' il ne reste plus de place pour la devise. L' on manque véritablement d' humilité, dans ce temps-ci !
-
Commentaires