• Vital Bender ou l'indomptable rage au coeur (3)

    Le poète Jacques Tornay (voir ici, ici et ici) rend hommage sur ce blog à son ami Vital Bender, poète décédé en 2002 (voir ici, ici et ici). Ci-dessous, la troisième partie de son texte. (La première est ici, la deuxième ici.)

    Dans toute rencontre publique à laquelle participait Vital Bender on pouvait s'attendre à une surprise. Le tout était de prévoir quand l'incident interviendrait et de quel tonneau il serait. Je faisais partie de ceux qui retenaient leur souffle. Dieu sait le tour qu'il allait jouer, désopilant pour certains, calamiteux pour d'autres.
    Je ne l'ai jamais connu déprimé, de mauvaise humeur, coléreux, cynique, ni médisant à l'égard d'autres écrivains. Un soir, cependant, je l'ai vu triste. Lors d'une soirée-lecture une poétesse lisait des extraits de ses ouvrages. À la fin de la prestation, Vital se présente à elle allègre et spontané, lui proposant, comme il est d'usage entre collègues, d'échanger un de ses livres à elle contre un des siens à lui. L'invitée s'écrie : «Ah non alors, je ne suis pas d'accord ! Je ne connais pas votre œuvre». Celle-ci était pourtant, à mes yeux, supérieure à celle-là.
    Peu porté sur la nouba, je ne l'ai jamais accompagné dans aucune de ses équipées festives. On se retrouvait à deux par-ci par-là, on se téléphonait pour aller prendre un verre, par exemple à Charrat parce qu'il habitait pas loin de la gare, au lieudit La Botsa, une grande, vieille et froide bâtisse en dur, lugubre à pouvoir figurer dans un film de David Lynch et perdue au milieu des vergers. À partir de son fief il s'en allait tous les jours de la semaine s'occuper des propriétés familiales dans les environs. Sans faute je sortais de chez lui muni de deux sacs de pommes. Ses fruits et légumes étaient stockés dans une cave accessible uniquement de l'extérieur de la maison. Je respire encore l'incomparable odeur de terre âcre et humide qui imprégnait le local.
    À ma dernière visite, un livre d'Alain Borne était sur sa table de chevet.



    The Amputee, court métrage de David Lynch, 1974 (9 min)