• Violette Leduc et Maurice Sachs

    Retour sur La Bâtarde, de Violette Leduc, dont j'ai parlé ici et ici.
    Un des nombreux intérêts de ce livre, c'est l'image que le récit donne de Violette LeducMaurice Sachs (dont j'ai parlé ici et ici).
    Ils se rencontrent dans la boîte de cinéma où Violette Leduc est standardiste. Maurice pose immédiatement à cette inconnue une question charmeuse :
    « Que pensez-vous de l'amour ?
    - Beaucoup de bien et beaucoup de mal. Et vous ?
    - Beaucoup de bien et beaucoup de mal, » dit-il.
    Il rit d'un seul éclat. »
    Premier mystère. Pourquoi Maurice Sachs, élégant, bien vêtu, séducteur, avide, avec un entregent hors du commun, s'intéresse-t-il à cette fille laide, pauvre, et qui ne peut lui servir à rien, au point de lui téléphoner, de l'inviter à manger chez sa grand'mère, de se mettre en frais pour elle, de lui donner son seul livre publié, Alias ?
    Parce que simplement, il a compris l'effet qu'il lui faisait et qu'il ne peut s'empêcher de pousser ses conquêtes ? Ou parce qu'il a senti en elle une sorte de double ?
    Comme lui, Violette a un extérieur un peu défavorisé (elle a un visage ingrat, lui un gros menton, il est gras à cette époque et il perd ses cheveux). Comme lui elle cherche constamment à plaire. Elle a aussi une sexualité hors normes. Elle porte en elle une Maurice Sachsœuvre littéraire pas encore éclose...
    Bientôt, donc, Violette vient vivre à l'hôtel où Sachs trafique et organise la fuite de Juifs riches. Mais il est aux abois, propose à Violette de lui faire un enfant contre de l'argent, vend la bague qu'elle lui donne. Finalement, ils partent tous deux pour la Normandie où ils passent pour un couple uni  alors qu'il n'y a rien de physique entre eux, même si Violette se consume en rêvant d'une union charnelle et se désespère de n'être pas un garçon pour plaire à cet homosexuel.
    Pendant deux mois, Monsieur Maurice charme tout le village, dépense sans compter son dernier argent puis il s'en va à Paris pour en ramener. Mais il ne revient pas. Il abandonne Violette et le nouvel ami qu'il s'était fait là, un jeune garçon juif. Traqué, il s'est engagé dans le STO et il part pour Hambourg.
    Il y a un dernier épisode. Violette reçoit une lettre. Sachs lui suggère de dire qu'elle est enceinte de lui pour qu'il puisse être libéré de ses obligations.
    Elle est au comble de la joie. Enfin, elle a un homosexuel à ses pieds ! Elle se fait immédiatement délivrer un certificat de grossesse, puis elle réfléchit. « Ce grand sentiment qui renaissait m'emmerdait et m'effrayait. » Sachs, se dit-elle, va claquer tout l'argent qu'elle a péniblement gagné à la sueur du marché noir. Elle repense à l'enfant qu'il voulait lui faire contre espèces sonnantes.
    « Décidément, Maurice trafiquait avec mon cœur et son sperme. Je jetai le certificat dans le feu. »
    Fin de l'aventure. Et bientôt mort du brillant enjôleur, menteur, sans foi ni loi, mais si doué pour la littérature. Sachs exécuté d'une balle dans la tête pendant le retrait allemand, parce qu'il ne peut plus suivre le convoi de prisonniers auxquels il appartient.
    Violette Leduc ne dit pas ce qu'elle a ressenti en apprenant la mort de Sachs, et si elle s'est senti quelque responsabilité dans tout ça. Peu importe de toute façon
    Ce qui compte, c'est le récit qu'elle fait de cette liaison tragique, palpitant et désespérée, entre deux êtres aux destins exceptionnels.