• Simonde de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée

    beauvoir1jpgsmall.jpgIl y a un intérêt tout particulier aux œuvres où un écrivain se penche sur son passé et essaie de comprendre ce qu'il était, comment il a évolué, et d'où vient sa pulsion pour l'écriture. Qu'est-ce qui fait en effet que Simone de Beauvoir, issue d'une famille bourgeoise catholique, devienne l'écrivain et la féministe qu'on connaît et ne connaisse pas le destin de son amie Zaza, soumise à sa famille, et à des devoirs infinis, qu'on destine à un mariage arrangé et qui finit par mourir, épuisée par un combat pour une mince liberté, choisir l'homme qu'elle épousera?
    C'est que Simone de Beauvoir a reçu des fées quelques dons qui l'ont aidée à se faire. Un caractère d'abord. C'est une bûcheuse, bête à concours, désirant les succès scolaires et les prix, toute tournée vers l'étude.
    Et puis la déveine sociale de sa famille se tourne en chance pour elle: le père s'appauvrit, déchoit, et les filles n'ont pas assez de dot pour qu'on les épouse, sont obligées de travailler,ce qui conduit Simone choisir une carrière d'enseignante, à étudier la philosophie, à s'ouvrir aux idées, aux débats, à se libérer l'esprit des clichés de son milieu.
    Cette situation sociale engendre des frustrations utiles à un futur écrivain. On écrit contre le monde, parce qu'on n'a pas assez de satisfaction, d'insertion, parce qu'il y a des manques.
    La dernière aubaine de Simone, et la plus grande peut-être, ce sont les rencontres qu'elle fait. Des camarades, des amies, des garçons qui lui apportent ou lui refusent juste assez de choses pour la pousser vers l'avant, jusqu'à cette rencontre capitale avec Sartre, qu'elle raconte à la fin de ces Mémoires, et dont elle sait presque aussitôt que c'est la chance de sa vie. Sartre est quelqu'un qui pense tout le temps, qui a un système original, personnel, avec qui elle se sent de grandes affinités, qui comme elle veut écrire.
    Très finement analysées, les circonstances de cette existence qui mène vers l'écriture sont en quelque sorte le pendant de Saint Genet comédien et martyr que Sartre a consacré à jean Genet, et qui vise à décortiquer une existence et à en montrer le sens et les conséquences. Avec, ici comme là, une fois que tout est expliqué, éclairé, un reste pourtant de mystère, une ombre que la lumière de l'intelligence ne réussit pas à éclairer. On peut décortiquer les causes et les effets dans une vie, il est plus difficile d'en déterminer la part de la liberté, de l'aléatoire, et c'est aussi son intérêt et sa beauté.

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