• M. Aguéev, Roman avec cocaïne

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    Dans les années 30, un manuscrit intitulé primitivement Récit avec cocaïne, arrive par la poste à la revue russe Nombres qui publie à Paris: il y a toute une communauté de Russes immigrés dans la capitale. Le colis vient d’Istanbul. Personne parmi les membres de la diaspora ne connaît son auteur, celui qui signe M. Aguéev, dont on n'a, à part ce roman, qu'une nouvelle expédiée dans les mêmes conditions.
    Du coup, il semble évident qu'Aguéev est un pseudonyme. Mais de qui? Le roman fait scandale, puis devient mythique. On l'attribue le plus souvent à Nabokov, en se basant sur des parentés de style. La décence aurait pu empêcher Vladimir de signer ce livre immoral – mais on verra quand il publiera Lolita que la bienséance ne le gêne pas outre mesure.
    Bref: on ne sait rien sur M. (Maurice?) Aguéev sinon que selon une autre rumeur, quelqu'un l'aurait rencontré à Istanbul, il aurait parlé de retourner en Union soviétique, et il aurait disparu après que son texte a été accepté par Nombres.
    Le texte parle d'un jeune Moscovite. On se trouve en 1916, juste avant la révolution. Ecrit à la première personne, le roman décrit l'existence du narrateur, étudiant pauvre, ses relations avec sa mère, ses camarades, les jeunes filles. Vient ensuite la cocaïne, puis la dépendance.
    Visant à analyser l'expérience des limites, Aguéev se montre lucide, honnête, brutal. On peut trouver des parentés avec Proust pour l'introspection poussée, avec Dostoievski pour le sens de la faute, de l'humiliation. Ce ne sont pas forcément des maîtres d'Aguéev, en tout cas pas Proust qu'il n'avait probablement jamais lu.
    Ce qui unifie la suite de scènes: une volonté de faire la lumière sur soi sans parti pris. Aguéev montre ainsi une cruauté froide et analytique à l'égard de lui-même. Il y a des moments transcendés par l'acuité des perceptions et l'auto-analyse sans complaisance. La pauvre mère qui fait honte à son fils en apportant l'argent au collège. La première nuit sous cocaïne...
    Le texte, initialement publié en plusieurs volumes dans la revue Nombres, a été oublié pendant des décennies même s'il comptait de fervents admirateurs. Enfin, en 1983 Belfond a publié le roman en un volume, pour la première fois. Puis passage en poche. Presses pocket en 1990, 10/18 en 1998. Réédition par Belfond en 2004 dans une édition des œuvres complètes, c'est à dire Roman avec cocaïne et la nouvelle Un sale peuple... La postérité est en marche.