• Les poupées du froid, par Jean Winiger

    D'abord, le lieu. Un village figé par le froid. Il s'est installé depuis longtemps. Si longtemps qu'on n'évoque plus que vaguement le passé, ces années où il n'était pas encore là. Un village replié sur lui-même, qui vit on ne sait trop comment, dont les ressources s'épuisent.
    Pas complètement coupé du monde. Deux voyageurs surgissent soudain dans le café, issus d'ailleurs, figures de luxe et de chaleur, que les villageois voient passerVillage sous la neige par Hélène Boivin, impuissants. Ils ne pensent pas une seconde qu'ils peuvent, eux, s'en aller, trouver de meilleures conditions de vie. Ils sont résignés, piégés, enfermés dans ce petit espace qui est le leur. Sans énergie pour le quitter ou améliorer leur condition. Au contraire. Tout se dégrade. Pris dans ce froid, ils retournent peu à peu à la sauvagerie.
    Le bistrot est le centre de ce lieu. Le bistrot de Linon. Les hommes s'y retrouvent, le soir, essaient de se réchauffer un peu à coups de décilitres d'eau-de-vie. Une violence fige cet endroit. Une violence qui ne demande qu'à s'exprimer sur les plus faibles. Bertrand, par exemple, épileptique, cible facile pendant ses crises. 
     Quelques personnalités émergent de ces villageois déjà très colorés. Pétole, par exemple. Un personnage hallucinant. Une vieille crottée, suivie par sa chèvre, qui porte comme une sorte de décoration ses productions dans les cheveux. Qui a des moyens, hante le café et boit son plein, deux décis de gnôle, sans sourciller. Une sorte d'incarnation du froid.
    Tout ça est glacé, figé dans la haine, la peur, la violence. Une société en pleine déréliction. Dont le seul espoir est un jeune homme. Le président.
    (Jean Winiger, Les poupées du froid, Editions de L'Aire)