• Jonathan 2002 par Pierre Béguin

    Pierre Béguin a vécu une des expériences les plus terribles qui soient. La mort d'un enfant. C'était en 2002. Son fils Jonathan, né prématuré, ne devait survivre que quelques jours.
    Confronté à cette mort révoltante, Béguin s'est senti investi d'une mission : « donner du sens à cette existence dont la brièveté confinait à l'absurde, l'inscrire dans une durée que la nature lui avait scandaleusement refusée. » Ou, autrement dit : « fabriquer de la vie avec cette mort ». C'est-à-dire, pour un écrivain : raconter l'histoire de son fils afin de lui donner une existence et de lui dresser un tombeau.
    Jonathan 2002 est un livre profond et sans complaisances. Pierre Béguin a trouvé le ton juste, et la manière d'aborder le sujet sans faire le jeu du voyeurisme ou de la victimisation.  L'écriture colle au sujet et est magnifique d'expressivité, de retenue, de pudeur. C'est un texte nécessaire, porté. D'une grande lucidité, d'une grande dignité, d'une grande intelligence. Die ganze Stadt, par Max Ernst
    A
    nalyse précise des états d'esprit extrêmes où le père a passé depuis cette naissance porteuse d'espoir, qui tourne vite en agonie. Description de ces rituels de joie et de ces démarches d'accueil qui se changent en leur contraire. Jusqu'au délire psychotique où sombre la mère après la conclusion du drame. C'est en même temps touchant et terrible, on sort de là révolté contre le sort, avec un profond sentiment de l'injustice du destin.
    Mais le livre n'est pas complètement désespéré. Le couple survit à l'affaire et la naissance heureuse d'Ophélie, une petite fille, deux ans plus tard, est la démonstration que la vie ne s'arrête pas et qu'un avenir est possible même après un tel drame.
    Il y a aussi, plus subtilement, la lecture de signes qui semblent jalonner l'incohérence de l'existence et permettre peut-être sa lecture. Signes, c'est-à-dire « secrètes concomitances, coïncidences évocatrices, hasards troublants, tout ce que le sens commun apparente à de ridicules superstitions ».  La présence d'un nid de rouges-queues, par exemple, dont la forte signification rythme le récit.
    Certes, il subsiste toujours en l'écrivain « comme un petit morceau de nuit froide et silencieuse, quelque chose d'un malaise fugitif mais indélébile. Quelque chose qui s'appelle Jonathan. » Mais l'épreuve lui a fait aussi percevoir une autre présence.
    « Au fond, c'est peut-être cela Dieu, cette toute petite lueur dans la grande nuit, cette flamme vacillante mais entêtée qui m'a donné juste ce qu'il fallait de confiance, dans l'obscurité, pour faire un pas, et puis un autre, et encore un autre. Jusqu'au sourire d'Ophélie. »
    (Pierre Béguin, Jonathan 2002, Editions de L'Aire)