• False... (2/3)

    Fond sonore : [Lou Reed - This Magic Moment]

     

    Elle était là le lendemain, pas à la même place mais avec les mêmes lunettes et le même petit chapeau. Devant elle, je vis, en m'asseyant tout près, mais pas tout à fait en face, un grand cocktail multicolore ; il faisait plus chaud que la veille.

     

    "Où en étions-nous ?"

    Habile coup de sonde pour voir ce dont j'avais envie qu'on parle ; j'éludai. Elle attendit un peu puis reprit :

    -Que savez-vous du renseignement industriel ?

    -Hum...l'espionnage, vous voulez dire ?

    -Certains l'appellent comme ça, oui. Mais c'est à la fois trop romantique et un petit peu mesquin. Vous ne trouvez pas ?

    -Je ne sais pas. Pourquoi, c'est votre boulot ?

    -Non.

    Elle était plus difficile à saisir qu'à notre précédente rencontre ; mon dessin se faisait plus vif, plus aigu et je devais aller plus vite. J'étais intrigué aussi ; on l'eût été pour bien moins.

    -C'est une étrange façon que vous avez de parler de vous sans trop en dire, dis-je.

    Elle tourna la tête pour me lancer un regard dont la teneur m'échappa, mais non la brièveté.

    -Certes, j'admets...

    Elle approcha les lèvres de la paille, but une gorgée.

    -Je suis,  reprit-elle, une sorte de...comment vous dire ? De petite amie professionnelle.

     

    Je haussai un sourcil, pas sûr de ce que je devais réellement comprendre. Je la vis me regarder du coin de l’œil, sourire discrètement puis de plus en plus.

    -Ah, ça vous épate, hein ? Mais vous n'y êtes pas. Je touche des vraies fiches de paie, j'ai des...compétences en économie et en droit, et mon travail est absolument légal, à défaut d'être toujours très honnête.

    -Je n'en doute pas.

    -De ma malhonnêteté ? Vous faîtes bien. Vous décevoir m'aurait fait trop de peine. Disons que je suis une investigatrice, en réalité. Dans un domaine un peu spécial...

    -Ah ? C'est à dire ?

    -Tous les domaines, en fait. Mais il m'arrive parfois de devoir m'attacher à ma cible sur le plan sentimental. Je simule, quoi ; mais des tas d'autres femmes le font. Et moi, je ne le fais pas pour l'argent, quoique je puisse comprendre la chose. Simplement, ce n'est pas mon cas. J'ai un patron, je rends des rapports de mission - édulcorés, vous vous en doutez...

    -Dans quel but, alors ?

    -Oh, ça dépend. Obtenir une info, dans le domaine industriel le plus souvent mais pas que.

    -Diplomatique ?

    -Ah, non ! Jamais. C'est un boulot d'espion ça, d'agent secret, mais je ne m'occupe pas de ça. De politique, oui.

    -Et quand la mission est finie...

    -...je disparais. Tout simplement.

    Imperceptiblement, le croquis que je faisais d'elle avait pris un tour plus sévère, plus cynique. Plus attirant aussi, mystérieusement.

    -Vous avez dû en briser, des cœurs...Julietta.

    -Vrai. Mais chacun est libre de voir les choses sous l'angle qui lui plaît. Ce n'est pas toujours simple non plus pour moi, hein.

    -J'imagine, oui... Ne pas trop s'attacher, c'est ça ?

    -Vous êtes trop influencé par le cinéma. Bien sûr qu'on s'attache, sauf quand le type est vraiment trop con. Mais on apprend à dépasser tout ça.

    -Hum...et vos 'cibles', elles vivent ça comment ?

    Elle finit d'un trait son cocktail.

    -Mon cher, ce n'est pas mon boulot de les préparer. Parfois, on distille un ou deux conseils, on ne peut pas s'en empêcher. Mais comment affronter les épreuves, c'est à chacun de voir. On n'est pas toujours responsables pour les autres.

    -C'est...direct. Et avec le dernier, ça c'est passé comment ?

    -Une affaire longue, presque 4 ans. Je commençais à avoir des remords, c'est du mauvais boulot quand ça part comme ça. Et puis, pas moyen d'avoir une vraie vie sociale à l'extérieur, alors il faut s'en contenter, se dire qu'on aura pas mieux de toute façon. C'est aussi beaucoup d’auto persuasion, ce job. Enfin bref, je commençais à ne plus avoir envie de mentir, à lui, à moi, j'ai fait un rapport sur la situation, tout ce que j'avais pu voir, comment j'avais infléchi les choix professionnels du gars, et je suis partie.

     

    Je n'ajoutai rien ; mon croquis était fini. Mon silence était pourtant éloquent, je suppose, puisqu'elle se pencha vers moi, au point que je pus sentir un peu de son haleine doucement alcoolisée. J'aurais pu l'embrasser.

    -Et lui, c'est ça que vous voulez savoir ? Hé bien moi, je ne voulais pas. Savoir. Mais on me l'a dit quand même ; il s'est jeté par la fenêtre. J'avais prévenu le patron : ce gars réagit mal aux situations problématiques, je dois m'en occuper à sa place, et tout. Mais non ; ils vont pas lui payer le psy non plus, hein ?

    -Non. Je suppose que non...

    Elle prit son sac et se leva, coinçant un billet sous son verre vide.

    -Vous supposez bien, Marc. Salut."

     

    (à suivre)

     

    Gatrasz.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 1er Novembre 2012 à 09:05
    Les jalons.
    Elle commence à poser ses Marcs... Pardon marques.
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