• Peut-être le souvenir de ces lieux si proches de l'estuaire, si vite jetés à l'infini, peut-être l'écho du vent dans les peupliers, comme des bâtons de pluie : le vent est ma force.


    J'ai levé le nez ce matin à ce souffle tiède et puissant, insolent vent doux d'un hiver qui se trompe de temps. Un moment statique pour mesurer sa puissance, respirer ses parfums, j'ai marché dans le tourbillon de tout ce qui volait autour de moi.


    Balayer, purifier, faire le tri. Le jaune des feuilles sur le noir de l'asphalte, et les façades livides sur leur ciel d'encre, ivre d'air, j'avançais comme jadis le chemin lavait ma mémoire d'enfant.


    Le vent d'abord se faufilait, faisant tinter les feuilles, je me sentais revivre ; leur cime se courbait, un peu plus, toujours plus bas, torturées, secouées, et les bourrasques furieuses s'abattaient comme le claquement du fouet.


    Dans le marais la rumeur avait enflé, et les hurlements circulaient entre les troncs. Il n'y avait plus de brume, plus ce halo qui me permettait d'imaginer, en lieu et place d'un carré d'arbres chancelants qui s'épaulent dans la boue, les murs de ma forteresse.


    Il n'y avait plus que la lune et la course des nuages, affolés, et les cimes tordues aux feuilles scintillantes comme les feux des navires en perdition. Même pas de tonnerre, seulement le fracas du vent, et sa juste raison. Pas de pourquoi au bord des lèvres, mais les yeux rivés sur les troncs vaincus : rien n'est sûr.


    De partout le doute s'est répandu, la terre s'est arrachée, et les racines en l'air comme le comble du ridicule tout a cédé.


    Au matin, devant l'horizon sans brume, il n'y avait plus rien. Plus rien qu'un cimetière de tronc brisés comme des allumettes et de racines boueuses.


    Je ne m'accrocherai plus à la terre, pensai-je.


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  • Perchée sur un rocher, seule au coeur du monde, au loin le chant d'un doudouk se fondant à l'or de la plaine qui s'écoule jusqu'aux montagnes violettes.


    Et ce calme profond, le même que celui qui nous pénètre lorsqu'épuisés par la jouissance, ivres de plaisirs, je m'endors dans tes bras, tu respires dans mon souffle.


    Rien n'égale la force et la beauté du monde lorsqu'on risque de tout perdre, lorsque chaque instant nos sens reçoivent une émotion qui les enchante et nous emplit.
    Plénitude plus qu'à satiété devant la peur du vide.


     

    Ce matin j'ai marché dans les feuilles rousses, et la terre avait le son de l'automne. Au-dedans des hommes avaient allumé le feu, chaleur intime et odeur de bois pour tous les souvenirs de tant d'hivers oubliés.
    Eternelle amnésique aux réminiscences colorées, je ne vivrai plus que l'essentiel : ce qui me touche.

    Je marcherai dans les feuilles mortes aux parfums d'insouciance et de vérité, il y aura du café, et la lumière m'abritera jusqu'à ce que, dans les profondeurs d'un silence épanoui, tu sois pour moi encore. Je ne veux pas que le jour se lève.

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  • J'ai pris ta bouche comme un fruit.

    J'avais eu tort de regarder tes yeux car j'y ai vu mon désir, et me suis réveillée envoûtée : comment pouvais-je ne pas t'appartenir ?
    Les années passent, et les regards se sont faits gestes, les miens et les tiens mêlés, lents et profonds pour mieux se goûter. Tu m'as apprise et je t'ai découvert, et les longs parcours de ton corps sont devenus mon fleuve.

    Je me suis baignée dans ton regard, brûlée de ton feu, nourrie de ta jouissance, et tu m'as donné ta vie, non pas celle que l'on voit, mais celle qui te fait battre, tu me l'as donnée avec la confiance naïve de l'abandon, comme tu me donnes l'ivresse pure des caresses qui portent mon souffle ; nous nous sommes pris, et le monde n'avait plus d'horizon. Je voyage avec Toi.

    Mes pensées coulent dans tes veines, ma chaleur sur ta peau.
    Et le sommeil nous fond l'un à l'autre.

    Et ta bouche est si douce...

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  •      Je regardais les arbres emballés de brume ; d'autres brouillards, ceux du fleuve de mon enfance aux berges perdues, aux silhouettes de verdure à peine dessinées.
         L'automne avait sonné, ses tapis de feuilles ocres et les parfums de cartable neuf que je n'ai jamais oubliés.
         Le soleil n'était qu'un halo, et le fleuve promenait ses bateaux cornant dans les limbes. Leurs noms se lisaient au passage : grecs ou russes à l'écriture codée, le chant des marins et leurs signes comme un jeu, provinces françaises aux accents frais d'accordéon et de linge séchant sur le pont... Des vies entières sur ces péniches au ventre de charbon ou de blé, au dos de scarabée recouvrant les cales, rampant sur l'eau au rythme des marées et des écluses, et leurs salons qui me faisaient rêver, tout de bois bien vernis, de banquettes accueillantes et de jolis hublots dorés. De temps à autres on entendait la drague, sorte de barrissement étrange que le grincement des chaînes de seaux puisés et déversés annonçait de loin.
         Au bord du fleuve j'allais trouver le soleil, le matin scintillant sur les crètes des vagues, brûlant le ciel et les nuages au soir tombant. Comment aurais-je pu savoir que le jour s'était levé et éteint s'il n'y avait eu le fleuve ? Mes pas sans cesse traînés là où jadis les chevaux tiraient les carènes, sans cesse mon esprit happé par tout ce que ces eaux avaient charié de conquêtes, de commerces et de voiles inconnues, comment aurais-je existé si mes pensées, au gré des saisons, n'avaient pu se baigner des couleurs de ces berges, des ombres de ces ondes ?
         Son humeur était la mienne, sa respiration mon souffle, ses images les consolations des jours d'ennui et d'inquiétude, et l'iode de ma soif, comme une assurance que le monde tournait, que la vie demain serait là encore, au même endroit et pourtant chaque jour si différente...


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  •      Sacha venait de mourir. A travers les volutes parfumées d'un thé d'après-midi, mon regard se perdait dans les motifs du mur aux couleurs de cachemire.
         Vapeur, celle des trains à travers les plaines avec des images d'Orient jusqu'aux fenêtres, autant de paysages défilés sur les violons d'Arvo Pärt avec leur nuage de pensées.
         Voyage, nous ne sommes que voyage, course vaporeuse à travers les jours, fuite en avant d'un train sans gare.


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