•  Photos Bénédicte Delamain

     

    (paru dans Paris-Montmartre n°13-74 mars 2009)

    Elle voulait une sortie discrète, on ne l‘a pas écoutée.

    Ce soir du 20 décembre 2008, une foule impressionnante bloquait la rue Caulaincourt et il n’y guère que les gens du quartier nord de Montmartre qui savaient pourquoi. Pour ceux-ci, ainsi que pour beaucoup de montmartrois de tous horizons, il ne fait aucun doute que l’événement 2008 s’est passé au « Rêve ». On avait bien craint quelques larmes, ce fut exactement le contraire. L’esprit était à la célébration d‘un événement marquant: Elyette, la dernière « bougnate » du quartier a tiré sa révérence en beauté… Et dans la joie, ce qui est bien dans l’image du personnage… et de son enseigne!

    Très dure cependant la dernière ligne droite! Pas vraiment à cause de l’appréhension des derniers jours, mais surtout pour le travail qu’Elyette a dû assurer ces derniers mois, fidèle à elle-même, pour satisfaire tout ce monde à la fois. Entre les derniers services-restaurants du mercredi, déjà complets un mois à l’avance, puis les petites fêtes décidées en son honneur, comme son intronisation, le 8 décembre par la Commanderie du Clos-Montmartre, venaient tous ceux qui ont voulu, en décembre, fêter, une dernière fois au Rêve leurs anniversaires, rien que pour la joie d’être servis par « elle ». Ils ont bien failli l’avoir à l’usure. Mais, elle garda la tête haute, elle en avait vu d‘autres!…

     


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  • Il aurait été fier, le père Planchon… Cet endroit qui fut son Rêve, à lui…

    Etienne Planchon, le père d’Elyette , arrivé depuis 1926 de sa Lozère natale, bosseur acharné, et fort de son expérience professionnelle au cœur des milieux « bougnats » parisiens décida, en 1955 de prendre les commandes du Rêve. Élyette avait 11 ans. La saga des Planchon était commencée. Etienne, forte personnalité - c’est de famille - se fit vite un nom à Montmartre. Le « Rêve » déjà auréolé de légende de par sa position sur la Butte, puis de par les personnalités qui le fréquentaient était un endroit déjà très populaire. Simenon, en 1924 s’y installait pour écrire, tandis qu’en face, la « foire aux croûtes » de Depaquit animait la place Constantin Pecqueur. Alors que peu à peu, disparaissait le maquis de Montmartre, apparaissaient Céline, Gen Paul, d’Esparbès comme les éclaireurs de tout un défilé d’artistes de tous bords, qui vont devenir les « réguliers » du Rêve.

    Elyette, qui est une encyclopédie d’anecdotes, nous raconte qu’au tout début du XXe siècle, cet endroit était une crèmerie qui fut transformée en bar. Le mot « Rêve » viendrait du fait qu’on y servait de l’absinthe, dont les effets « planants », disait-on, menaient parfois à la folie. Quand l’absinthe fut de nouveau autorisée en 1988, Elyette, pour la tradition, ne manqua pas de la rétablir dans son bar.

    Vite familiarisée avec les « piliers » des lieux, la très jeune Elyette comprendra vite, en grandissant, qu’elle vivait dans un environnement pas comme les autres. Quand elle eut l‘âge d‘aller danser, ses parents soucieux de sa protection, lui collèrent comme chaperon, l‘une de ces « figures locales » Jean Millien, dont les «coups de gueules » résonnent encore sur la Butte. Rue Fontaine, au détour du Bus Palladium, il faisait tellement peur aux cavaliers d’Elyette qu’elle avait bien du mal à se trouver un partenaire…

     

     


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                    Elyette et "Picsou"

     

    En 1962, après le décès de sa mère, Elyette se voit de plus en plus mobilisée au bar où elle doit aider son père. Mais le pauvre père Planchon ne survivra pas longtemps à la disparition de son épouse. A 18 ans, Elyette, devenue chef de famille, son jeune frère à sa charge, devra sa chance, à la protection des amis, très influents, de son père, dont le commissaire Farges. Bien que la majorité légale soit à cette époque, 21ans, elle obtient une autorisation spéciale et devient l’une des plus jeunes patronnes de bistrot sur le territoire national. En dépit des jalousies que cela suscite, Elyette assure avec courage, faisant tout dans l‘établissement, y compris la cuisine. Heusement, elle est soutenue encore et toujours par des amis plein d’idées: Pépito et ses enchères improvisées, la fameuse « Ginette », du restaurant voisin, qui lui envoie ses clients pour l’apéritif, son ami Marcel Aymé, qui acceptera d’être le témoin de son mariage avec Pierre dit « Picsou ». Mais Marcel Aymé meurt quelque mois avant l‘évènement. Picsou, qui est surnommé ainsi parce qu’il travaille à la banque, deviendra désormais, en marge de ses activités, son partenaire précieux dans ce métier difficile. « Je n’aurais pas tenu le coup sans lui !» dira-t-elle souvent…

    Riche carrière, puisque Elyette aura connu successivement les premiers peintres qui « firent » la Place du Tertre, comme Van Mulder. Elle aura connu les artistes des studios Pathé-Cinéma de la rue Francœur. Aux Damia, Marie Marquet, Jean Marais, Georges Geret ont succédé Marcel Bluwal, Danièle Lebrun, Bérangère Bonvoisin, Agnès Bihl, Gérard Maro, Fabrice Luccini, Jean-François Balmer, Cécile de France, les gens de la Fémis, les élèves des écoles de théâtre qui viennent, tard et nombreux casser la croûte après les cours. Elle aura connu les gens de la BD, surtout Golo, dont les dessins au mur ont illustré Élyette à chaque nouvelle décennie, et Claire Brétécher, sa copine. On y ajoutera toute la société des gens de la nuit, ceux qui partent le soir au travail, puis les noctambules, ceux qui n’hésitent pas parfois à traverser Paris, sachant que, quoi qu’il arrive le Rêve reste ouvert jusqu’à l’heure légale de fermeture. Elle aura vu se ici nouer des liaisons amoureuses comme celle, très discrète de Jacques Brel et de Suzanne Gabriello… Liaisons… Mariages… Il faut aussi parler des enfants, tous ceux qui se sont succédés aux écoles toutes proches de Constantin Pecqueur et Saint-Jean de Montmartre, qu’Elyette a vu grandir, devenir adultes, amenant à leur tour leur propres enfants. Ayant ainsi déjà connu trois génération à Montmartre, il est facile de comprendre pourquoi Elyette, aujourd’hui, connaît tout le monde…


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    En 2002, on lui décernait la médaille du Mérite. C'était mérité!

    En personnage bien de son temps, elle aura même relevé des défis pour le moins originaux. Les montmartrois du quartier ne sont pas prêts d’oublier, en 2008 cette image insolite d’Elyette parcourant la rue Caulaincourt à dos de chameau!

    Le 20 décembre 2008, ce fut une vraie fête, sous le signe de la joie et de l’amitié… Le vieux téléphone à jetons, a encore pas mal fonctionné ce jour-là. Ici même les objets ont de la ressource! C’est comme la pendule! Elle était encore loin de marquer l’ « heure de la fermeture » lorsque les poulbots arrivèrent. Jacques Villa, qui avait bien préparé son coup, se précipita dehors, son papier à la main, et prit rapidement la direction de l’orchestre…

    Il lut son poème et les poulbots lui donnèrent la réplique:

    « Chers Elyette et Picsou, goûtez ces jours nouveaux,

    Qui vous offrent sans freins un heureux avenir

    Disposant l’un et l’autre d’une grande énergie

    Nous vous imaginons volant de par le monde

    Mais revenant toujours retrouver vos amis

    En des lieux sympathiques qui ,sur la Butte abondent…

    …..

    Final (partie chantée)

    De votre belle cage écartant les barreaux

    Bien vite vous décollez vers les deux hémisphères

    Prenez-vous des avions? Prenez-vous des bateaux?

    Alors là les amis, on n’en n’a rien à faire

    Surtout amusez vous, aiguisez vos cultures

    Mais en faisant les fous, évitez les bitures

    Vive Elyette et vive Picsou

    Revenez vous joindre à nous

    Vive Elyette et vive Picsou

    Et belle vie à vous!

    Et belle vie à vous! »

    En fait, il y eut tout de même quelques larmes à ce moment là. Tout comme quelques heures auparavant, quand Michou était venu saluer respectueusement la grande dame.

    Triste de partir, Elyette? Pas du tout! Puisque, comme le laisse entendre le poème, en dehors de petits voyages par-ci par-là, elle reste en ce cher Montmartre qui lui a tant apporté. On n’efface pas comme çà un demi-siècle de carrière au Rêve…

    Elyette, Michou, Picsou (photo Kirsti Aasbø)

    Le « Rêve » continue. Avec la bénédiction d’Elyette, c’est un autre Etienne, bien connu dans le quartier, qui succède aux Planchon. . Il est probable que, pour longtemps encore, l’expression: « On va boire un verre chez Elyette? », nous échappera. D’autres, ceux qui ont loupé un épisode, arriveront au Rêve, tout étonnés: « Quoi! Ce n’est plus Elyette? ».

    Pas de problème! Le nouveau patron du « Rêve » sait très bien à qui il succède…

    Elyette, bienvenue dans l’histoire éternelle de Montmartre!…

                                                                       Eric Boldron

     

     


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    (par Eric Boldron)

     

     

    ( Paru dans Paris-Montmartre n°13-73 - décembre 2008 et n°13-74 mars 2009)

    Avec un tel état civil, on devine que Jean Schoubert « connaît le refrain », mais n’en rajoutons pas! L’humour, de toute façon, est chez Jean Schoubert une seconde nature. Avec cette double vocation, on ne sera donc pas surpris en regardant son parcours. Mais n’attendez pas ce personnage par la porte principale, vous allez le rater…Ce « pianiste de stars » cultive son talent à contre-sens, celui de l’imprévu, un autre talent, chez lui, très naturel…Quand on le voit déambuler l'avenue Junot de son habituel petit pas pressé, courant encore et toujours à ses activités musicales, il nous fait penser à une sorte de professeur un peu rêveur et distrait, sorti d’une œuvre de Hergé ou d‘une pellicule de Méliès. Et ceci donne évidemment l’envie de le suivre. En ce cas, ce n’est plus seulement un rendez-vous avec la grande histoire du spectacle parisien, qui nous attend. C’est la rencontre avec ce que les anciens appellent « toute une époque! ». Voici quelques épisodes de ce que Chaplin aurait appelé « une vie à sketch » !


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