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                     Eric Boldron

     

     

    (Article paru dans Paris-Montmartre n°13-67 juin 2007)

     

     

    La première grande restauration du très cinématographique manège du square Louise Michel, dont les tableaux vénitiens, constamment exposés aux intempéries et -pis encore - aux rayons solaires, étaient menacés, vient d’être menée de main de maître par le décorateur, peintre et illustrateur Éric Boldron.

    S’il existe une vingtaine de manèges de ce type en France, deux seulement atteignent cette qualité de décoration. Et il, est le seul doté d’un plancher avec bancs et lampadaires. On peut donc affirmer qu’il s’agit d’un manège unique, qui nécessite un entretien rigoureux, ne serait-ce que pour le changement de ses lampes et ampoules: il en possède 2000!

    Reconstitution particulièrement fidèle des manèges du XVIIIe siècle, réalisé à la main par des artisans français, il est apparu dans de nombreux films mais c’est bien sûr le fabuleux destin d’Amélie Poulain qui a fait de lui une star montmartroise incontestable, charmant premier plan coloré au pied de la basilique, d’où s’égrènent les mélodies parisiennes mythiques.

    Il fait 16 mètres de diamètre au sol et 10 mètres de haut. C’est un manège à double étage de 70 places avec, surtout ces chevaux à hampes dits chevaux « sauteurs », qui sont la figure ancestrale du genre. Tout en haut, le lambrequin extérieur est illustré de paysages vénitiens, tandis que le dessous du chapiteau représente des paysages et scènes galantes dans l’esprit de l’école vénitienne du XVIIIe siècle. Les deux étages sont séparés par des médaillons décoratifs: en tout, c’est une cinquantaine de tableaux qui orne le manège, dont chacun vient d’être entièrement restauré par Éric Boldron, peintre de fresques, auteur de décors, spécialiste de l’art forain… que nos lecteurs connaissent bien puisqu’il illustre régulièrement la Rubrique Chansonnière de Paris-Montmartre.

    Lounis, le responsable, est ravi du résultat, et lorsqu’on lui demande si son cher manège n’est destiné qu’aux enfants, il s’exclame:

    « Pas seulement! Il y a aussi les parents qui veulent accompagner leurs petits et partager avec eux ce moment. Mais nous y recevons aussi beaucoup d’adultes de tous âges, sans enfants, ainsi que de nombreux touristes, souvent des amoureux… Leur préférence va presque toujours aux chevaux!

    « Tournez, tournez, bons chevaux de bois

    Tournez cent tours, tournez mille tours

    Tournez souvent et tournez toujours… » (Paul Verlaine)

    Éric Boldron a créé de nombreux décors et fresques. A Montmartre, son village, il a réalisé les décors d’établissements tels que le Café de la Butte, Au Rêve, Les Copains d’abord, Ô Beau b’Art, Il a réalisé des décors de fête pour la foire du Trône, la Fête à Neu-Neu. Il est le concepteur du Manège impressionniste de la gare Montparnasse, ainsi que des superbes stands de la place d’Anvers évoquant le vieux Montmartre à la Belle Époque, qui ont malheureusement étés retirés après le réaménagement du boulevard.

                                                                                      Jean-Manuel Gabert

     

     

    Remerciements à Linda Altor, trop peu citée, qui avec son atelier, a collaboré à un grand nombre de ces décors, (voir les liens ci-contre)

    Le manège d'Amélie Poulain s'est refait une beauté (par Jean-Manuel Gabert)

     Linda Altor

     

     

     


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  • Jean le Terrible et Eric Boldron au "Rêve", rue Caulaincourt.




    (Article paru dans Paris-Montmartre n°13-62 mars 2006)


    Il entra... " dans un bruit de tempête " aurait dit Jacques Brel. Car il ne savait pas entrer autrement. Mais nous n'étions pas à Amsterdam, et le personnage n'était pas marin. Nous étions à Montmartre! La tempête se prénommait " Jean ".
    " Fumiers d'Anglais! " cria-t-il de sa voix fracassante, couvrant les grésillements d'une radio mal réglée qu'il cachait, quelque part sur lui.
    " Tiens! V'là ton idole! " me dit, avec son accent de titi parisien le Gaulois, mon voisin de bar.
    Si vous aviez vu l'allure de « l'idole »!
    « l'Armée Rouge dans la rue Blanche! » hurla Jean Millien.
    Imaginez un énergumène avec un blouson en toile bleue délavée, un béret à l'envers sur la tête, un short trop large révélant des jambes frêles avec des genoux cagneux, aux pieds d'énormes baskets pleines de peinture... et, pour compléter ce tableau déjà surréaliste, un pneu autour du cou!
    Mon « idole» ! Le terme est bien sûr une métaphore pleine d'humour . Mais il est vrai que je n'ai jamais caché ma sympathie à l'égard de Jean Millien.
    Aux gens de passage qui demandaient: " Qui c'est, ce cinglé? ", combien de fois ai-je été tenté de révéler le potentiel insoupçonné de ce personnage qualifié, souvent à juste titre, d' " insupportable ". Mais il aurait fallu étaler les multiples étapes de son étonnant cheminement de peintre:
    Citer les Beaux-Arts de Prague, les Arts Décoratifs de Paris, parler de son association d'artistes de la Côte Basque, des toiles que lui acheta l'état, de celle qui entra au musée d'Alger, de sa collaborations avec Robert Naly, avec lequel il développa de façon véritablement alchimique sa science de la gravure et de la couleur. Il aurait fallu parler de ses autres collaborations, Paul Eluard, dont il fit le portrait, de sa rencontre avec Marcel Aymé, d'un portrait qu'il fit de Georges Brassens, lorsque celui-ci chantait à Montmartre, ou encore du père de Johnny Halliday qu'il hébergea dans son atelier, rue Caulaincourt, de Claude Nougaro qui le recevait Avenue Junot....
    Et tout à coup voilà notre Millien, toujours à la porte du bar, qui lève le poing et se met à beugler en allemand:
    " Ein Volk! Ein Reich! Frankreich! ... Chirac!" (Un peuple! Une nation! La France! ...Chirac!)
    Jean Millien, anarchiste inclassable, se fichait complètement de la politique mais ce nom de Chirac, encore Maire de Paris à l'époque, avait un son qui lui convenait: ça déchirait bien le silence! Si on pouvait parler de silence, avec cette cacophonie radiophonique qui de toute évidence, émanait du pneu. Le Gaulois - un intrépide celui-là - osa interrompre notre héros en colère en lui demandant de baisser la musique. Jean Millien, l'air menaçant, le fixa, plongea la main dans le pneu... et ... offrit le transistor toussotant au perturbateur avant de s'engager dans l'allée centrale du café.
    " Petit fumier, fit Millien en plissant les yeux ."
    En fait, on ne savait pas trop à qui ça s'adressait, Millien arpentait les lieux en nous dévisageant l'un après l'autre.
    " Petit fumier! répéta-t-il deux fois encore "
    S'approchant d'une jeune femme, pas très rassurée, il sortit sèchement une rose du pneu et, sans quitter son rictus menaçant la lui offrit. Mais bientôt, le visage de l' " homme au pneu " se métamorphosa en sourire radieux. Il entonna, la main sur l'épaule de sa nouvelle copine " Bal, petit bal " de Francis Lemarque. En version " Millien ", ça donnait:
    " Quand je t'ai connue,
    Tu montrais ton cul,
    A tous les passants... "
    Cela fit beaucoup rire la jeune femme. Mais déjà Millien s'était retourné, et avait repris son air " terrifiant ".
    Le pneu était pleins de trésors. Jean offrit une boîte de pastels a un enfant attablé avec son père, un livre à une mamie, une boîte de clous à son conjoint... Il distribua ainsi toutes les autres babioles qu'il possédait, jusqu'à ce que le pneu soit vide.
    Le Père Noël avait fini sa tournée. Il posa son pneu au pied du bar et commanda un verre de rouge.
    Le Gaulois allait partir. Au moment de payer: " J'prend le verre du " p'tit fumier " dit-il en désignant Millien. Puis il sortit, oubliant sur le bar le transistor éteint.
    Millien, silencieux, était accoudé au bar devant son verre. La nuit tombait.
    C'était sa pause, en attendant d'aller " terroriser " un autre versant de Montmartre.


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  • Témoignage bien représentatif du personnage: un des acheteurs réguliers de Millien, furieux de subir ses « sales blagues », lui renvoya, lacérée, l'une de ses toiles. Millien rassembla les morceaux et en fit cette oeuvre originale qui figure toujours chez Elyette, « Au Rêve ».

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  • Jean Millien est né en 1918 dans l'Oise. Fils de boulanger, il part, après la séparation de ses parents, vivre avec sa mère à Prague où il étudiera les Beaux-Arts. Ce sera là le tremplin qui le conduira jusqu'à l'Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Paris d'où il sortira diplômé en 1939. Sa période « basque » sera ensuite son envolée vers le début d'un « âge d'or ». Jean Millien a vécu à Montmartre de1947 à 1993.
    Il est mort à 79 ans à la Maison des Artistes de Nogent-sur-Marne le 14 avril 1997, le jour même de son anniversaire.
    Dans l'esprit des habitants de la Butte, s'il a laissé le souvenir du peintre « des marines apaisantes » il aura en revanche marqué les mémoires en tant que « provocateur » ingérable et farceur. Il faut tout de même citer un évènement qui aura compté dans sa vie et son oeuvre: la sismothérapie (électrochocs ) aux alentours de 1947.
    Au cours de sa vie, se dessinent 3 périodes où Millien, d'abord peintre aux couleurs fortes et au dessin très «expressionniste », deviendra le peintre de marines que l'on connaît.


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  • Biarritz - 1942

    En 1939, il est déjà un jeune peintre plein d'audace. A peine sorti, diplôme en mains, des Arts Décoratifs de Paris, Jean Millien devient en 1941 l'un des fondateurs des " Saltimbanques", mouvement artistique qui dépasse largement le cadre de la peinture. Le noyau fort de ce groupe culturel qui marquera longtemps la Côte Basque est composé entre autre du peintre et graveur Robert Naly - qui amènera Millien à Montmartre - du maître-verrier Jean Lesquibe et plus tard, du romancier François-Régis Bastide.
    1945 voit la naissance de son fils Frank. Mais lorsqu'on est habité d'un pouvoir imaginaire aussi puissant et fécond que Jean Millien, il y a fort à penser que son univers familial n'ait eu à en souffrir. Deux ans plus tard, Colette Mill, la mère de Frank, artiste elle aussi, le quitte pour s'installer avec son fils en Savoie.
    Jean Millien, en même temps que Antonin Artaud a connu les services du Docteur Ferdière qui, on le sait, s'est penché de près sur le cas des artistes contemporains, du surréalisme jusqu'à l'art brut.
    Les électrochocs, à l'époque s' administraient  sans anesthésie. Le malade assistait aux préparatifs et en finale, le cerveau du patient était plongé dans un bain d'électricité. Il ne s'agit pas là de faire le procès de la sismothérapie qui, est toujours pratiquée aujourd'hui dans des cas exceptionnels. Le traitement est administré à présent sous anesthésie générale et, comme toute opération sous anesthésie, il nécessite, fort heureusement, le consentement du malade.
    Si le Docteur Ferdière a cité longuement Antonin Artaud, il parlera également de Jean Millien en novembre 1949 lors d'une conférence intitulée « L'art et le rêve face à la psychanalyse » Il y rapporte les similitudes qu'il a décelé dans les rêves de plusieurs artistes et voit en Millien celui qui a su « apparenter humour et poésie »


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