• CSA ! Poil au doigt !

    Vous ne connaissez sans doute pas Jean-Eric Valli. Normal, il est discret, et œuvre à le rester. Un effort de tous les instants, quand on est l'un des hommes les plus puissants du paysage radiophonique.

    PDG de Vibration – micro-réseau qui détrône sans difficulté NRJ dans la région d'Orléans –, il est aussi PDG du groupe START, qui s'est annoncé prêt à acheter toute radio indépendante qui serait à vendre. Dans son escarcelle sont déjà tombées Ado FM, Voltage, Wit FM et Sud Radio, Black Box, etc... Et on ne parle que de celles qui ont officiellement « rejoint le groupe » (terme que Jean-Eric Valli préfère à « a été racheté »). Il est nettement moins aisé de parler de celles qu'il contrôle en sous-main, en vue d'un rachat prochain. Mais de fait, quelque soit la méthode, START est en passe de devenir l'un des plus gros groupes radio de France. Un groupe d'un genre nouveau, complètement délinéarisé, sans ligne éditoriale, sans même une enseigne à mettre en avant. Une sorte d'anti-NRJ. Seule ligne directrice commune : une méthode de management « à l'américaine » ; mais avec cette vision étrangement féodale de l'atlantisme patronal que défend si ardemment le MEDEF. L'arrivée du groupe START dans une radio s'annonce par celle de ses redoutables cost-killers. Sorciers comptables qui rebalancent les comptes en berne par la seule grâce d'un puissant coup de machette dans la masse salariale.

    Ce qui est intéressant, c'est de s'interroger sur ce qui motive une telle frénésie d'achats. La plupart de ces radios sont en difficultés financières, et certaines œuvrent même sur des formats qui ne suffiront pas à leur assurer une rentabilité suffisamment attractive pour un groupe tel que START.

    À l'inverse de Jean-Paul Baudecroux, le patron de NRJ, lorsqu'il se lance dans l'aventure de la FM, en 1983, Jean-Eric Valli est un passionné de radio. Assez rapidement, il parvient à assoir la notoriété de Vibration, et à l'étendre jusqu'aux limites de Paris. Il devient un homme avec qui il faut compter. Un homme qui a suffisamment de poids pour créer en 1992, le G.I.E. des Indépendants. L'idée est lumineuse. Regrouper une douzaine de petites radios locales privées, et vendre une partie de leur espace publicitaire à de grosses centrales d'achat, qu'individuellement, aucune n'aurait eu assez de poids pour démarcher. Du temps d'antenne au kilo en quelque sorte.

    Quinze ans plus tard « le GIE » est plus que florissant. Il rassemble aujourd'hui 490 fréquences, couvre 88.5 % de la population et touche journellement 7.8 millions d'auditeurs. Commercialisé par la régie de Lagardère, il a fait trembler le puissant groupe au moment de la renégociation de contrat, il y a quelques années, en brandissant le spectre d'aller voir ailleurs. C'est toujours Jean-Eric Valli qui le préside, et qui en a fait un puissant levier de contrôle. Car pour la plupart de ces indépendantes, les revenus issus du GIE oscillent entre 40 et 60% de la totalité de leurs rentrées publicitaires. C'est énorme, car même les poids lourds de son bouquet, comme Alouette en Vendée, Scoop à Lyon, ou Contact à Lille, en dépendent presque entièrement pour leur survie.

    Une formidable réussite qui ne doit pas faire oublier un point important. Comment se fait-il que l'homme qui a la main-mise sur « la première offre radio nationale », puisse aussi être celui qui rachète pour son propre compte les stations qu'il propose dans son bouquet offert aux annonceurs ? Et surtout, comment le CSA, qu'on connaît plus vétilleux sur des questions, il est vrai, de bien moindre importance, parvient à ne trouver aucune contradiction (au moins déontologique) au fait que la même personne vende aux grosses centrales d'achat, les espaces publicitaires de ses propres radios. Espaces sur lesquels – donc – il sera rétribué une seconde fois ?

    La réponse est hélas d'une simplicité biblique. Pour discret qu'il soit, Jean-Eric Valli n'est pas un homme à qui on dit non. J'en veux pour preuve l'insolite odyssée du rachat par le groupe START de Radio Latina, à Paris.

    Dans le courant de l'été 2006, le groupe annonce le rachat de la station. Les préparatifs à la cession vont bon train, lorsqu'en septembre – coup de théâtre –, le CSA émet un avis défavorable, et casse la vente, au motif que START, déjà propriétaire de Voltage et d'Ado à Paris, initierait un processus de concentration néfaste à la diversité de l'offre radiophonique sur la capitale. Le CSA, ne fait ici que son travail d'autorité de régulation, en permettant à Paris de garder l'une de ses quatre dernières stations authentiquement indépendantes. Mais en décembre, nouveau revirement, la vente est rétablie. Des garanties auraient été négociées. Du coup, nous voilà rassurés.

    Évidemment, on ne saura pas grand chose des dessous de cette reculade piteuse du CSA. On se contentera de prendre la chose avec un certain fatalisme. Personne ne doute de l'inutilité embarrassante de cette institution grassouillette qui vit des deniers de l'Etat pour entretenir à grand frais l'insigne privilège de lui servir de bonne conscience. Car le CSA est un peu comme un paratonnerre souterrain, une poubelle sans fond ou une valise sans poignée. Il n'est que le cache-honte d'un pouvoir qui n'a finalement jamais réussi à se défaire de ses mauvaises habitudes d'ingérence dans le domaine de l'audiovisuel. Le CSA n'est guère qu'un contremaitre mesquin, léonin avec les modestes, servile avec les puissants. Lui, si prompt à ratiociner et rappeler à l'ordre la moindre petite radio qui faillirait au respect inconditionnel des fameux 40% de chansons françaises, s'accommode sans grands états d'âme du sort en rouleau triple épaisseur que TF1 réserve à ses mises en demeures régulières pour non respect de la durée des écrans pub.

    Pusillanimité, collusion, vassale génuflexion... Jean-Eric Valli et ses semblables peuvent dormir tranquilles. Les courbeurs d'échines veillent au grain.


    inédit





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  • Commentaires

    1
    J-E VALLI
    Dimanche 26 Août 2007 à 02:01
    Start, Les Indépendants et la liberté !
    C’est une sensation un peu grisante que de trouver un article qui vous est consacré sur un blog anonyme ... Un peu comme une Star qui lirait son nom dans Voici. Sublime et terrible à la fois. Redouté et rêvé ... J’ai lu beaucoup d’intelligence dans votre texte. Si seulement tous nos concitoyens mobilisaient la leur pour refuser ce qui les choque, exiger le respect pour tous, que les engagements pris soient tenus, et pas seulement par Darty, mais surtout par ceux à qui on a confié la sublime tache d’organiser la cité ... Je nous ai redécouvert dans votre définition de Start “Un groupe d'un genre nouveau, complètement délinéarisé, sans ligne éditoriale, sans même une enseigne à mettre en avant.” Ne croyez vous pas avoir écrit une belle définition de ... la Liberté ? C’est cela que partagent les “gens de Start”. Mais qu’est ce qui nous motive ? Etre léger quand tout le monde feint l’austérité. Etre rigoureux plutôt que sérieux. Et ... contribuer à faire gagner ceux que tous donnaient perdants : ces 113 radios qui font des “Indépendants” la première offre radio face aux groupes. Au motif de “pureté”, l’indépendant doit-il rester sans influence ? Juste pittoresque ? Une LCR tellement divertissante face à une UMP ou un PS bienveillants, mais aux commandes ? Et pourquoi devrions nous ne pas avoir l’ambition de peser ? Pour disparaître inexorablement ? Faut-il absolument laisser le champ au seuls groupes ? Je parle des “vrais groupes”, les “Word Compagny” omniprésentes dans notre vie à travers tous les canaux possibles, ceux de la pensée, de l’alimentation, de la médecine, des déplacements, des loisirs, de la guerre (dont ils se dispensent), ... de la Loi qui nous est appliquée, à nous ! Est-ce bien raisonnable ? Pour revenir à Start, je voulais préciser que nous n’avons pas repris des “radios en difficultés financières” : Voltage, Sud et Latina fonctionnaient correctement, appartenaient à des groupes prospères (Glem, Fabre et Prisa), et n’ont d’ailleurs pas été bradées à Start ! Cela dit en quoi serait-ce un délit que de reprendre une entreprise en échec et de la redresser ? Faut-il tellement que ses fréquences tombent dans l’escarcelle des radios nationales (60% des fréquences privées) ? Quant aux radios historiques de Start, Ado, Blackbox, Forum et Vibration, se sont celles que les associés de Start ont apportées justement pour créer Start ... et avec une dizaine d’autres radios, le Gie Les Indépendants. Pour ce qui concerne le chapitre Csa, ce dernier a refusé son agrément préalable à la cession de Latina au seul motif que l’actualisation de la Convention que nous proposions à l’occasion ne lui convenait pas. Nous sommes revenus à la Convention en vigueur à l’époque et en conséquence le Csa a été en mesure de donner son agrément à la cession de Latina par Prisa - groupe international et non “authentique indépendant” - à Start. Je vous sent un peu déçu, mais c’est ainsi. Alors, si nous le pouvons, nous continuerons à nous développer, tout comme nos confrères indépendants, tout comme nos confrères des groupes médias. A vous je vous souhaite de persévérer dans votre réflexion et de quitter le conditionnement qui vous fait militer - en creux mais quand même bien réellement - pour les Word Compagny ! Amicalement, Jean-Eric Valli
    2
    GonzoBonzo Profil de GonzoBonzo
    Dimanche 26 Août 2007 à 18:25
    Waooo ! Flatté...
    La sensation de se savoir lu par le principal protagoniste d'un de mes posts n'est pas moins grisante, et si jamais je n'ai douté de votre intelligence, je dois admettre être admiratif de votre sportivité. Je répondrai par voix de commentaire(s), vous laissant vous consoler de mon anonymat très relatif, par la certitude que vous comprenez que sur ces nouveaux médias que vous pratiquez d'évidence, l'identité aussi tend à se délinéariser, sans pour autant se désincarner. Comme vous l'avez bien remarqué, START et ici plus un prétexte à vilipender la servilité dispendieuse d'un organisme comme le CSA. Néanmoins, j'admets avoir à l'encontre de votre groupes des réserves certaines, que j'ai d'ailleurs largement exprimées dans mon post. Ainsi, là où vous parlez de liberté, même si je salue l'habileté du twist sémantique, je ne vois pour ma part qu'une forme nouvelle de concentration horizontale. Pour avoir eu l'occasion de parler avec nombre de personnes ayant connu, avec une enthousiasme mitigé, la joie d'intégrer votre groupe (le plus souvent assez brièvement, d'ailleurs), vous ne me tiendrez pas rigueur, j'espère, de ne vous trouver qu'assez moyennement convaincant dans la posture du guerilleros des ondes. Vous noterez en revanche que je ne vous reproche en aucun cas les succès des Indépendants. Mieux même, j'y souscris. Créer une telle structure, à l'époque où vous l'avez créée, était non seulement gonflé, mais de plus nécessaire. Je ne vous reproche pas non plus de vider de toute substance, un média – la radio FM – qui en est déjà largement dépourvu (pour ça, voir mon post DJ Excel et Radio Vaseline). Et finalement, rien de criminel non plus, à tenter de tirer profit d'un média moribond qui, dans sa forme actuelle, n'a pas plus d'une dizaine d'années devant lui. Non, ce qui me gêne aux entournures, c'est l'inquiétante concentration des pouvoirs. Le fait que vous puissiez tout à la fois vendre de la pub au kilo à des régies comme Carat, et être à la fois rétribué sur leurs diffusions, au pro rata des audiences, sur des radios qui vous appartiennent. Certes le procédé est courant dans le monde de l'industrie, mais choque dans un secteur prétendument régulé par des autrorités de tutelle qui ne le sont pas. Ne vous en déplaise, mais le rachat massif de radios par ailleurs indépendantes, ne me semble pas être la meilleure garantie de diversité de l'offre radiophonique. Spécialement, lorsque, dans une optique (logique) de réduction des coûts, les programmations de vos diverses radios sont toute faites par les programmateurs de Vibration. Autre sujet d'inquiétude, comment garantir la survie des marché locaux, lorsque, là encore très logiquement, votre principal intérêt est de gonfler l'audience de vos antennes pour avoir une meilleure rétribution des campagnes nationales signées par... les Indépendants. Mais là encore, il est dans l'ordre naturelle libéral des choses que vous tiriez parti au maximum d'un système fautif. Bien plus largement, la faute en incombe au CSA, qui, en vous laissant les coudées franches, ne fait pas son travail. Maintenant, sur un plan plus personnel, je vous remercie de cette réponse, qui vous honore. Jolie brin de plume qui plus est, si vous m'autorisez de profiter encore de mon identité délinéarisée, pour me permettre un soupçon de pédanterie. Je ne doute pas que, petit comme est ce monde, nous ne tarderons pas à nous croiser.
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    J_E VALLI
    Dimanche 26 Août 2007 à 22:25
    Le devoir d'existence ...
    “Tirer parti d’un système fautif” ... Il s’agit malheureusement moins de tirer parti d’un “système fautif” que simplement de faire vivre nos radios ... Vivre en s’adaptant à la situation et aux règles RÉELLES. Que faire pour ne pas être marginalisé ? Veiller à ce que la distance entre les concurrents et les Indépendants ne soit pas trop grande. Tant en terme de savoir faire qu’économiquement ; et aussi en terme de règles applicables et appliquées. Ne pas se laisser berner par les paroles, mais regarder les actes. Il y a les belles déclarations de principes, les Lois et règles qui les traduisent, ... et leur application concrète. Les privilèges des uns, les rappels à l’ordre pour les autres. Beaucoup d’efforts quotidiens. Je suis toujours “épaté” de voir qu’on demande aux plus “petits” d’immenses devoirs, et qu’on ne parle même de ce que devraient faire les “grands”. On ne parle jamais du grand business. Mais ce système fautif ne permet-il toutefois pas aux indépendants d’offrir une centaine de programmes au public ? ... Une belle alternative aux ex-radios monopole. Ce n’est pas le cas des radios associatives si politiquement correctes mais créditées de seulement 2% d’audience nationale. Que pèsent elles face aux radios nationales et du service public ? Une voix virtuelle mais peu entendue. Choyée par le pouvoir car elles gèlent un parc de 25 % des fréquences privées sans faire d’ombre à qui que ce soit. Une caution démocratique pour notre pays aussi ... Un mot pour finir sur le Gie Les Indépendants. Il est contrôlé par les radios qui le compose (et non par Start), ces radios choisissent ensemble en AG une régie extérieure pour commercialiser leur espace publicitaire national. Donc ni Start, ni le Gie ne vendent la publicité. Les radios contractent directement avec la régie choisie en commun et les budgets, répartis au prorata de leur audience, leur sont directement versés. Cela dit, là encore, je ne vois pas pourquoi il serait réclamé à Start, ou à l’un quelconque des opérateurs dynamique du Gie de restreindre ses compétences et son développement au motif qu’ils seraient actifs dans la fondation ou le management du Gie ... Start a beaucoup donné à la collectivité des indépendantes. En temps, en idées, en initiatives concrètes, en transfert de savoir faire. En rigueur aussi. Depuis 15 ans le Gie existe en ayant su faire face sans dommages à tous ses interlocuteurs, régies, concurrents, pouvoirs publics, et tout récemment le Conseil de la Concurrence qui a validé nos statuts et nos règles de fonctionnement.
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