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Le concept de Société peut se définir soit à partir de sa dimension subjective et idéologique (intériorisation de normes et valeurs, sentiment d'appartenance, identité, etc.), soit par sa dimension objective et institutionnelle (organisation du travail, de la production et de la distribution, sécurité sociale, etc.)
Il ne fait ainsi pas confondre le stade communautaire, qui se caractérise par une forte incorporation de normes et valeurs, une solidarité directe, une production en fonction des besoins, et un système d'échange pas nécessairement médiatisé par la monnaie; avec le stade sociétal, qui marque le début de la modernité (Croissance de l'Etat, institutionnalisation massive, solidarité indirecte (Etat entre les corps, atomisation), division et scientifisation du travail, décomposition du lien plus ou moins direct entre production et consommation, développement de la monnaie, standardisation) [cf:les réflexions de durkheim sur la solidarité et la division du travail]
Si le développement de la société s'appuie sur l'idéologie dans un premier temps, il ne s'agit que d'un accélérateur qui n'a plus lieu d'être lorsque le processus devient autonome [cf:la théorie de la cage d'acier de Max Weber dans l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme]
Il est néanmoins vrai que le stade des ensembles techniques, des machines communicantes, de la cybernétique marque le passage dans la gesion politique du stade idéaliste au stade pragmatique et technicien, des valeurs aux dispositifs (bien que ce projet technicien soit en germe depuis le début du XXeme siècle [cf:Weber sur la question de la rationalisation et de la bureaucratie]). Celà ne signifie pas pour autant que les dispositifs se substituent à l'idéologie, mais simplement qu'ils prennent une place prépondérante, l'idéologie pouvant resservir dans les contextes de crise de confiance envers le système.
Le processus de fragmentation, d'atomisation, la dissolution de la société civile, de la communauté humaine, est un trait spécifique qui est inscrit dès le début de la modernité, du stade sociétal libéral (citoyenneté=atomisation, république libérale individualiste) la société est la capacité de se prémunir collectivement contre les dangers de la nature par le fait que chacun remplisse un ensemble d'obligations (travail, respect des lois, pour le citoyen, sécurité pour l'Etat) qui garantissent le bon fonctionnement de l'ordre établit et une indépendance individuelle plus marquée dans la sphère privée. En gros c'est la théorie du "contrat social", même si entre bourgeois et prolétaire, il y à une différence temporelle de plus d'un siècle relative à l'atteinte de ce stade (années 70 et Etat Social).
On à également opposé dans la question sur la société centralisation et décentralisation, hiérarchie et réseaux. Mais les réseaux ne s'opposent ni ne remplacent la Société ou l'Etat, ils coexistent. Pour que les réseaux fonctionnent, que les flux circulent, une structure sociale est préalablement nécessaire, afin de constituer un ensemble de canaux, et de réguler cette circulation (il n'y a qu'a observer la conception économique de Keynes sur le rôle de régulation de l'interventionnisme étatique sur l'économie). La société ne se pose ainsi en unité que lorsqu'elle comprend l'ensemble des réseaux comme faisant partie de son fonctionnement.
La société peut exister indépendament de ceux qui la pensent, en tant que forme d'organisation des activités humaines. Si le sentiment d'appartenance à une communauté humaine (sociale, territoriale, historique) s'est affaiblie, on remarque néanmoins que le besoin d'intégration à ce système social est d'autant plus fort (travail, institutions). L'"exclu" doit ainsi soit attirer le regard des institutions sur lui, soit s'organiser avec d'autres exclus de manière communautaire. Ainsi, dans la société capitaliste avancée, seule la subjectivation collective, le lien et la reconnaissance mutuelle entre les "hommes" s'efface, tandis qu'objectivement la société n'a jamais été aussi intégratrice et totalitaire. Totalitaire au sens ou le développement conjoint du Capital et de la Tehcnique tendent à générer une "société close", un monde sans en-dehors; que ce soit au niveau matériel (les tentatives d'autonomie totale se soldent toujours par des échecs, que se soit par la marchandisation ou la contamination des terres, de l'eau et de l'air) ou "spirituel" (l'imaginaire est colonisé par la religion, la technoscience, le spectacle). Dans d'un système régi par le biopouvoir, (où on laisse vivre la conformité et mourir ce qui n'est pas conforme au système), La liberté d'appartenir à la société est aussi fausse et illusoire que ne l'était celle du Juif entre les mains du Bourreau dans l'existentialisme Sartrien.
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Nous pensons l’économie, non au sens des classiques et néoclassiques comme un ensemble de lois naturelles, mécaniques, immuables et nécessaires, mais comme un ensemble de rapports symboliques [1] entre les hommes (ce que Marx appelait la valeur d’échange), médiatisés par des représentations (des images, des idées, des systèmes de valeurs) qui servent de vecteurs à l’action et en déterminent ainsi la forme. De ce fait, l’ordre économique, et plus largement l’ordre matériel, qui comprend entre autre l’architecture et les productions technologiques, induit un certain nombre de rapports médiateurs de valeurs ; réciproquement c’est à partir de ces normes et valeurs, de ces représentations, de ces cultures (Kultur), de ces formes de vies, dont les activités humaines sont déduites, que se reproduisent alors les formes concrètes que prennent les systèmes économiques. La reproduction de l’une entraîne la reproduction de l’autre, les altérations de l’une entraînent les transformations de formes de l’autre.
Si Marx attribuait le primat à la Matière sur l’Esprit (pris ici au sens de la Pensée, de l’imagination), c’est parce que n’est possible de se réaliser que ce qui est inclus dans les possibilités (finies mais qu’il reste encore à explorer) de la matière, et non les possibilités infinies de l’Esprit [2]. Il donnait ainsi le primat à la matière, dans le cadre d’une théorie performative du changement social, parce que le développement des forces productives engendrait une économie de la force qui permettrait aux hommes de rendre le temps de travail marginal et de libérer du temps pour se consacrer à l’organisation par la base de la politique et de l’économie, à l’étude des sciences de l’homme et de la nature, à l’art et aux joies de l’existence.
Ceci n’empêchait pas Marx de situer l’économie dans une relation dialectique et non dans un déterminisme pur, mécanique et réducteur. La superstructure idéologique et culturelle constitue ainsi la forme servant de vecteur de développement, afin d’opérer une sélection contingente en ce qui concerne les possibilités finies mais multiples de développement ultérieur de l’infrastructure matérielle. Ainsi, ce n’est qu’avec des idées compatibles avec les possibilités de la matière que l’on peut exercer une volonté à même de modeler la réalité suivant un ensemble de désirs déterminés [3].
L’économie capitaliste, outre ses mystifications physicalistes et évolutionnistes [4], est soutenue par la promotion d’un ensemble de valeurs introjectées : esprit d’entreprendre, compétitivité, autonomie et liberté économique, individualisme, gloire et succès, mérite, rendement, rigueur, accomplissement de soi dans le travail, etc. Ces valeurs constituent autant des principes de légitimation de l’ordre économique établit que des idées à caractère performatif, disposant les sujets à la reproduction de rapports préétablis.
On pourrait nous rétorquer que le capitalisme à changé qu’il y à une différence qualitative indéniable entre capitalisme industriel et capitalisme postindustriel. Bien évidemment la réalité n’est pas si inerte, il ne s’agit pas d’une reproduction stricte, exacte. Le capitalisme subit un ensemble de modification au fur et à mesure des innovations techniques, institutionnelles et des réactions socioculturelles. Cependant, nous soutenons que ces changements n’altèrent en rien la tendance fondamentale du capitalisme, que toutes les innovations techniques institutionnelles et sociales intervenues vont dans le sens de son renforcement. En effet, s’il en était autrement, elles auraient effectivement transformé radicalement l’ensemble du système. Ce qui veut dire que les innovations qui ne s’inscrivent pas dans cette tendance fondamentale du capitalisme sont généralement abandonnées.
En cela, il n’y a pas de discontinuité entre modernité et postmodernité, puisqu’il n’y a pas de postmodernité. Le passage à une postmodernité impliquerait à notre avis un point de rupture, c'est-à-dire le passage à un système global ou l’ensemble des fondements économiques, politiques, socioculturels, et techniques seraient bouleversés. Ce que l’on constate en observant les évolutions de la seconde moitié du XXème siècle, c’est un certain nombre d’innovations qui ont modifié qualitativement l’ordre des choses, sans entrer pour autant en contradiction avec la logique fondamentale du système, mais plutôt s’inscrivent dans sa continuité [5].
Les développements du capitalisme, de la technique, de la structure sociale et institutionnelle, marquent bien davantage l’amplification de tendances contenues au sein de la modernité, qui, en arrivant à maturité chacune de leur coté, entrent en synergie, et donnent lieu à tout un ensemble de bouleversements flagrants et rendent visible ce qui était dans sa phase de genèse quelques décennies plus tôt.
Si la société a changée, elle reste malgré tout une société régie par les modalités d’accumulation, d’échange et de répartition capitalistes, ainsi que par l’impératif de rendement propre à la logique productiviste [6]. Elle se reproduit, diffuse et amplifie un ensemble de rapports, de comportement, de valeurs qui sont celles du capitalisme. Ainsi, la critique de ces rapports, de ces comportements, et de ces valeurs conserve toute sa validité. Les enjeux sociohistoriques de la modernité persistent et demeurent du domaine du possible, bien que leur réalisation semble pour le moment différée dans le temps.
Notes
[1] Nous entendons le terme symbolique en son sens de étymologique. « Sumbolon » en grec signifie objet coupé en deux servant de signe de reconnaissance. La notion de symbole est employée dans le présent texte pour désigner une reconnaissance mutuelle impliquant des formes de réciprocité)
[2] Il est malgré tout nécessaire de prendre en compte que l’inadéquation d’une idées avec les possibilités matérielles n’est parfois qu’affaire de temps, et dépend du niveau d’avancée des recherches scientifiques. La réalisation de l’idée n’est ainsi pas abandonnée, mais différée dans le temps.
[3] Si nous employons le concept de désir plutôt que la notion de besoin, c’est parce que cette dernière est plus facilement réductible à la question de la stricte nécessité mécanique, à la survie, tandis que le désir implique davantage une dimension qualitative de l’existence, une question de forme. Pour ne pas sombrer ici dans l’analyse positiviste, il est nécessaire de rappeler ce fait important développé dans la pensée de Spinoza, que le déterminisme exercé par la matière s’inscrit dans un rapport où l’homme, en tant que sujet affectif, est traversé par un ensemble de passions joyeuses et de passions tristes qui façonnent ses besoins, ses désirs, sa volonté. La rationalité est le mode de connaissance des lois universelles issue de la pratique et de l’expérience qui permet à l’homme de se sortir du règne des passions, de faire acte de volonté, de se diriger vers ses passions joyeuses plutôt que vers ses passions tristes. La rationalité prise en ce sens est pour Spinoza ce qui permet à l’homme d’augmenter sa puissance d’agir. Une fois en pleine possession de sa puissance, l’homme peut intervenir sur lui-même et son monde, afin de le transformer suivant ses désirs. On peut ainsi en déduire que le rapport du sujet affectif-rationnel à l’objet s’inscrit alors dans une relation dialectique, positive et négative, incluant l’être et son devenir, et que ce sujet n’est pas irrémédiablement soumis à un ordre naturel et social implacable et immuable, mais peut agir selon sa volonté pour construire son devenir en fonction monde qui lui est donné.
[4] Outre la théorie Smithienne de la main invisible, il se développe dans le discours de l’économisme libéral tout un argumentaire d’inspiration Darwinienne sur la conformité essentielle de l’économie capitaliste à l’état de nature, et notamment la « nature humaine », sur l’état de guerre de tous contre tous, pacifié sur le plan politique (la théorie du Léviathan de Thomas Hobbes), et transposée sur le plan de la concurrence économique, dont il se dégage une « sélection naturelle » des plus forts, des plus adaptés. Ce discours tente de se légitimer en se basant sur le présupposé que ce qui est conforme à la nature humaine est nécessairement bon, et ce qui ne l’est pas nécessairement néfaste, en faisant preuve d’un déductivisme historique idiot ne s’interrogeant pas sur le rapport entre conditions matérielles d’existence et comportement humain, qui balaie sans conteste cette idéologie.
[5] On pourrait citer, pour les innovations techniques, comme cela à été relevé dans de nombreux ouvrages sur la question, l’application généralisée de systèmes automatisés, la technologie numérique, le développement et la généralisation des communications à distance. Au niveau du système social, économique et politique, l’interventionnisme étatique dans la régulation économique et la concrétisation de l’Etat social. Enfin au niveau socio culturel, la pacification et la mise en sommeil de la lutte des classes, par la redistribution des bénéfices de la croissance des 30 glorieuses, et l’arrivée sur le plan politique de tout un ensemble de mouvements socioculturels (mouvements des femmes, reconnaissance ethnique, libéralisation de la sexualité, etc.)
[6] Nous soutenons et démontrons à ce propos dans « sur la question de l’environnement » que l’environnementalisme (hormis les mouvements les plus radicaux et anarchisants de la décroissance) ne s’inscrit pas en opposition avec la logique productiviste, mais bien dans sa continuité. La nécessité de gestion technoscientifique de la diminution ou de la transformation qualitative (technologies et marchandises vertes) de la production matérielle implique la nécessité de production de nouvelles normes, règlementations, de nouveaux contrôles, d’expertises, de recherches scientifiques, de technologies, d’infrastructures, dans un laps de temps très limité, qui entraîne dans ce cas l’ensemble de la société dans une course contre la montre imposant l’impératif de rendement. Pour pallier le déclin nécessaire d’un productivisme industriel et marchand, on projette la mise en place d’un ensemble de correctifs qui amplifient potentiellement un productivisme infrastructurel, institutionnel et technoscientifique.
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« Le paradoxe présent de l’écologie, c’est que sous prétexte de sauver la terre, elle ne sauve que le fondement de ce qui en a fait cet astre désolé »
L’insurrection qui vient, Comité Invisible
(sixième cercle « l’environnement est un défi industriel »)
La question fondamentale de l’écologie n’a jamais été la sauvegarde de la Terre, de la Nature, de la Vie en tant que telle. La planète possède la capacité de se régénérer, de s’autoréguler, de produire de la vie. Elle n’a pas besoin de l’humanité ni des autres espèces pour exister. Si la question de l’écologie se pose aujourd’hui, ce n’est que dans la mesure ou le développement des activités humaines tend vers l’anéantissement d’un certain nombre d’espèces. Cependant, en dehors d’une poignée d’écologistes radicaux affectés par le sort animal et végétal [1], l’écologie politique ne se soucie de la sauvegarde des autres espèces que dans la mesure où leur existence constitue la condition de survie de l’espèce humaine. Ce qu’il s’agit alors, c’est de sauver une catégorie abstraite qu’est l’Humanité. Abstraite parce que dans ce cadre réflexif, l’Humanité est considérée comme une catégorie homogène, indifférenciée. Cette réduction de l’Humain à sa simple dimension mécanique et fonctionnelle est la pirouette héritée de la pensée occidentale, du christianisme au scientisme, qui permet d’isoler les corps et d’envisager la transposition de l’être dans n’importe quelles conditions d’existences, sans lui faire subir de dégât. L'interprétation politique de la théorie de l’évolution darwinienne est une catastrophe envisagée sur le plan humain, dans la mesure où elle fait de l’homme une entité passive, qui évolue dans un milieu sans jamais chercher à interférer sur son monde. A vrai dire, toute évolution des conditions d’existence d’un groupe d’hommes est une destruction de sa forme de vie antérieure, une décomposition de certains de ses rapports. Il est néanmoins nécessaire de distinguer évolution de type volontaire et désirée d’une évolution subie et imposée, notamment en ce qui concerne le plan politique. L’évolution volontaire se pose sur le plan éthique, elle est la détermination d’un groupe à se diriger vers des formes de vie plus en phase avec ses besoins. L’évolution imposée se constitue soit sur le plan matériel, dans le rapport avec la matière, ses nécessitées, ses potentialités, soit sur le plan de la domination politique, et dans ce cas sur le plan moral, c'est-à-dire sur le plan du traitement des corps abstrait des conditions économiques, sociales, culturelles, psychologiques. L’écologie politique tend ainsi aujourd’hui vers un traitement des populations qui implique la possibilité de les abstraire de leur dimension éthique afin de les soumettre à une nouvelle moralité et à un mode de vie contraignant, au nom de prétendues nécessités matérielles, bien qu’il s’agisse, dans le cadre de l’écologie capitaliste, de préserver les intérêts des classes dominantes [2].
I Productivisme et Environnement
Les problèmes fondamentaux de la question écologique sont : le changement climatique, la pollution de l’eau, de l’air, des sols, ainsi que la diminution des ressources énergétiques. Les conséquences de ces problèmes sont la manière dont ils affectent les corps, entraînent leur décomposition. Bien évidemment, pour l’écologie politique, la question est en réalité inversée. Fondamentalement c’est cette décomposition des corps qui est la véritable source des problématiques environnementales, et donc la cause de son existence. Tous ces problèmes ont en commun qu’ils prennent leur source dans l’activité industrielle de production intensive, modèle développé et diffusé par les sociétés Nord Occidentales. La question de l’environnement est indissociable des autres problèmes liés à la société industrielle, et se situe au cœur de la problématique du capitalisme, et de manière plus globale du productivisme [3].
Il n’est à notre avis pas nécessaire de faire un exposé approfondi sur le rapport du capitalisme à l’environnement, tant les recherches abondent à ce sujet [4]. Nous tenons simplement à rappeler que la dynamique fondamentale du capitalisme, l’accroissement constant du taux de profit, impose la production et la consommation de masse, et par conséquent la consommation immodérée (le pillage, le gaspillage, la destruction) des ressources naturelles [5]. Cette dynamique de « destruction créatrice », dont on doit la parenté terminologique à ce cher Schumpeter, ne peut conserver sa dimension productive que dans la mesure où la nature peut encore se régénérer. Dans l’éthique capitaliste, cela signifie que cette dynamique ne reste productive que dans la mesure où il est encore possible de puiser les ressources nécessaires pour pérenniser la création de la valeur, de la marchandise. La question environnementale suppose une autre éthique que celle qui est à la base du capitalisme. Elle en appelle selon nous à un besoin urgent de « communisme ».
On pourrait nous rétorquer que le communisme est également un système qui tend vers la consommation immodérée des ressources, qui pollue à outrance, et contribue au réchauffement climatique. Cependant, l’exemple historique du Socialisme Russe [6] ne permet pas selon nous de statuer sur ce propos, et ce pour la raison que la situation de coexistence pacifique, de course au progrès, de concurrence Est/Ouest, ressemble davantage à une situation de type capitaliste que communiste. Pour notre part, nous estimons que si le capitalisme, du fait de sa dynamique fondamentale ne peut être que productiviste, a contrario, la question du communisme est ambivalente [7]. Le communisme envisagé exclusivement au niveau socioéconomique peut tendre vers le productiviste, tandis que considéré dans une configuration sociale et environnementale, il est possible d’envisager une limitation de la production matérielle à la stricte nécessité, et ce dans une configuration plus égalitaire.
Ainsi, si le capitalisme est indissociable du productivisme, il n’en va pas de même pour le communisme. Le communisme véritable implique en effet, dans la théorie Marxienne, une capacité des sociétés humaines à prendre en compte les limites de leur milieu, afin de se développer dans une configuration de préservation mutuelle. Cependant, la possibilité de réalisation du communisme, au sens où Marx l’entendait, ne se limite pas à l’égalité socio-économique et la préservation environnementale. Il implique l’autonomie des hommes ainsi que la sortie du travail aliéné, la diminution du « règne de la nécessité ». Or le développement d’un gigantesque complexe technoscientifique que suppose aujourd’hui l’impératif environnemental risque fort de renforcer la nécessité du travail aliéné et de rendre impossible toute autonomie humaine [8].
II Progrès Technique et Environnement
Reconnaissance du risque et impératif technoscientifique :
Le problème actuel de la politique gestionnaire, de l’anarchisme [9] au fascisme, consiste en un consensus admis autour de la reconnaissance d’un risque systémique, dont l’unique réponse constitue un appel à l’accroissement du complexe technoscientifique [10]. Seul un nouveau progrès technique peut nous sauver de la catastrophe provoquée par le progrès technique. Le paradoxe se pose alors en vue du fait que le risque technoscientifique protège et rend nécessaire la dynamique du progrès, et sous tend ainsi la nécessité d’une organisation économique, sociale et culturelle qui puisse l’accueillir [11]. L’impératif du progrès présuppose donc l’absolutisation de la science et de la technologie ainsi qu’une organisation totalitaire de la société, une subordination des besoins humains aux nécessités du complexe technoscientifique.
Vers l’établissement d’une nouvelle Technocratie
S’ils n’ont pas de hauts revenus et ne possèdent pas de moyens de production, les scientifiques et les techniciens prennent une importance sociale de plus en plus déterminante dans le cadre de la problématique environnementale. Qu’ils travaillent pour le compte des industriels, de l’Etat, du parti, d’associations militantes, ou à leur compte, les techniciens et scientifiques deviennent de plus en plus incontournables. Si l’idéologie ne disparaît pas pour autant, comme on a pu le croire il y a quelques décennies, sa base discursive s’est profondément modifiée. Le discours idéologique se justifie et s’énonce aujourd’hui sur le plan technoscientifique et tout discours qui ne comprend pas cette dimension est immédiatement invalidé. Le degré de technoscientificité est ainsi devenu l’échelon de la valeur de tout discours politique [12]. Scientifiques et techniciens jouissent d’une reconnaissance symbolique indéniable dans la société (qui peut s’accompagner de gratifications matérielles conséquentes) [13]. Ils deviennent un modèle social, culturel et idéologique désirable. Ils sont vecteurs de leurs propres systèmes de normes et valeurs qui sont celles de la science et de la technique, de l’organisation du complexe technoscientifique [14].
L’absolutisme technoscientifique et l’impossibilité de la démocratie
L’exercice du politique se constitue de plus en plus sur une base experte. L’information, le savoir, l’expertise y prennent une place de plus en plus importante. La démocratie ne peut plus exister qu’à l’état formel : il s’exerce toute une propagande en amont de la délibération pour la faire infléchir dans le sens que requiert la technoscience. La démocratie n’a définitivement plus pour fonction que de garantir auprès de la population une illusion de liberté qui masque cette domination experte [15]. La démocratie véritable dans le cadre d’une société technoscientifique supposerait d’une part une scientifisation du politique, comme il a été précédemment expliqué, et d’autre part une modification radicale de la pensée du citoyen. En effet, en fonction de la technicisation et de la scientifisation du discours politique, la réflexion citoyenne et militante doit pouvoir s’appuyer sur un savoir technoscientifique approfondi pour être reconnue comme valide. Ceci implique que pour saisir les enjeux du débat politique et délibérer en connaissance de cause, le citoyen doit nécessairement avoir suivi une formation scientifique approfondie, sans quoi cette délibération est arbitraire et sans valeur au regard des nécessités du système. Ainsi, traiter les problèmes environnementaux de manière démocratique, implique la nécessité de modifier la pensée collective, la culture, en fonction des impératifs de la technoscience, par conséquent de conformer la pensée, l’imaginaire, les affections de chaque citoyen à l’univers technoscientifique. D’une part, ce projet de démocratie prend des airs de totalitarisme, d’autre part, il est irréalisable. En effet, se tenir informé du développement et des avancées des recherches demande beaucoup de temps, ce qui entraîne une colonisation du temps libre par la technoscience, de plus, la délibération démocratique, qui implique une connaissance du monde assez large, est incompatible avec un système fortement spécialisé et fragmenté [16]. Ce qui signifie que soit nous nous soumettons à la domination effective des experts, soit à une domination idéologique et culturelle qui entraîne l’ensemble de la société dans un univers clos se réduisant au monde technoscientifique.
La reconnaissance de risques systémiques est un appel à l’inflation illimitée du contrôle et de la répression
Le concept de risque en sciences est par définition une méthode d’évaluation scientifique qui a pour objet de définir les probabilités d’une catastrophe. Cette méthode contient de ce fait une finalité qui est la gestion, le contrôle, la maîtrise, et l’élimination des risques [17]. Dans le contexte des sociétés industrielles avancées, le risque n’est plus un élément exogène à la société, mais il prend sa source dans la société même [18]. Par conséquent, la gestion des risques environnementaux implique à la fois un contrôle des systèmes productifs, mais également, un contrôle disciplinaire des corps [19], c’est à dire à la fois une surveillance systémique des comportements, un conditionnement psychosocial, et le déploiement d’un ensemble de dispositifs techniques, juridiques et policiers de répression.
Hans Jonas proposait quant à lui d’établir une nouvelle éthique, basée sur le « principe de responsabilité », et qui pourrait se fonder sur une « heuristique de la peur » afin de soumettre le sujet à l’impératif environnemental [20]. Il va sans dire que le discours politique sur la responsabilité constitue une forme de culpabilisation qui contribue à affaiblir la volonté des sujets, les rendants ainsi plus vulnérables et manipulables. La récupération du discours responsabiliste par la droite, comme par les sociaux-libéraux, n’est qu’une manière hypocrite de masquer la responsabilité effective de ceux-là même qui, il y a quelques décennies, incitaient la population à la consommation de masse. Si le « principe de responsabilité » a donné lieu à un certain nombre de pratiques de répression écologique contre les industriels (tels que le principe de pollueur payeur), ou de moralisation contre la population, (discours sur le tri sélectif, l’eau à ne pas laisser couler, les lumières à éteindre), c’est un autre principe qui s’est institué au niveau juridique et légal : le « principe de précaution ». En apparence moins répressif et moralisateur que le « principe de responsabilité », nous soutenons tout de même que ce « principe de précaution » n’en est pas moins un nouveau dispositif dont peuvent potentiellement émerger un ensemble de pratiques répressives. En effet, si ce principe, constitué à la base pour favoriser une certaine réflexivité en ce qui concerne la prise en compte des effets pervers relatifs à l’application de nouvelles technologies, a été invoqué pour justifier un certain nombre de pratiques de désobéissance civile (par exemple les fauchages d’OGM), il peut très bien donner lieu à un ensemble de pratiques policières de types « préventives », à l’instar de celles employées dans le cadre de l’antiterrorisme, et contribuer à justifier l’extension de dispositifs de surveillance et de contrôle comportemental.
Si l’on récapitule attentivement les éléments constituants de ce projet, à savoir: usage de la science à des fins disciplinaires, contrôle des corps, surveillance généralisée, perfectionnement de la police, moralisation et instrumentalisation de la peur constituent les outils indispensables à l’émergence d’un nouveau type fascisme.
Gestion technoscientifique de l’environnement et impératif de rendement
Ce qui se dessine, à droite comme à gauche, dans les perspectives de gestion technoscientifique de la question environnementale, n’est rien d’autre que le maintient d’une tendance spécifique inhérente à la civilisation Occidentale : le principe de rendement [21]. La logique productiviste se transfère de la production illimitée de marchandises à la production illimitée de savoirs scientifiques, de recherches, de technologies, de contrôles, de règlementations juridiques et administratives. Qu’il y ait décroissance ou non du système de production de marchandises, n’empêche alors pas l’accroissement exigé de complexes technoscientifiques. S’il y a décroissance du système productif, alors l’effort social sera concentré sur le développement plus rapide de ce complexe, tandis que si le système persiste et tente de développer de la marchandise verte [22], ce développement sera ralenti, mais il n’en demeurera pas moins que la quantité de travail exigée restera identique. Ce qui veut dire qu’à la répression capitaliste présente, la nécessité de « gagner sa vie », se surajoute une autre répression [23]: la nécessité de restreindre ses déplacements, sa consommation en eau, en énergies, en marchandises. Or la fuite dans la consommation de spectacles marchands constitue la seule source de plaisir tolérée par le capitalisme, la seule compensation concédée à une existence consacrée au labeur et l’administration de son existence. Ainsi, la répression environnementale pourrait très bien retirer le peu de joie compensatrice possible à l’intérieur du capitalisme et donner lieu à une situation potentiellement explosive. Il est par conséquent possible d’envisager que soit l’insatisfaction du désir provoque une exaltation des pulsions destructives, et par conséquent une situation de guerre totale qui entraîne la civilisation vers son anéantissement, ou bien l'entrée dans une ère de répression totale, d’affaiblissement de la volonté des sujets, de dictature fascisme, ou encore que le désir redevienne une puissance de subversion, générant un élan révolutionnaire qui puisse faire exploser l’ordre établit.
Conclusion
Dans cette analyse, nous avons soulevé le fait que les problèmes environnementaux étaient liés à la logique productiviste, c’est-à-dire croissance illimitée de la production par la voie de l’industrialisation, ainsi qu'à l’idéologie occidentale du progrès technologique. Si le capitalisme implique nécessairement une forme de productivisme, le socialisme, historiquement, ne doit cette logique qu’à l’état de retard en terme d’industrialisation qu’avait la Russie du début du XXeme siècle, à la foi aveugle dans le progrès technique caractéristique des cultures occidentales de ce début de siècle, et à la situation de concurrence qui l’opposait aux société capitalistes. Cette logique, qui est une aberration du point de vue de la théorie marxienne, permet donc d’envisager la possibilité de réalisation d’une société communiste qui ne soit pas productiviste et tienne compte des nécessités environnementales. Cependant, bien qu’ayant élaboré une réflexion sur le machinisme, Marx ne pouvait prévoir la nouvelle aliénation que suppose le déploiement sans limite d’un système technoscientifique, ainsi que l’impossibilité d’une démocratie et d’une autonomie dans la décision que suppose ce modèle, c'est-à-dire au final, l’impossibilité de l’autogestion dans ce cadre systémique, à moins que l’ensemble des membres de la société ne se résolve à ne consacrer son existence qu’à la technoscience, ce qui ne constitue en rien une libération. Là où il était possible d’entrevoir l’émancipation humaine vis-à-vis du « règne de la nécessité » se glisse progressivement, à chaque défaillance du système, un appel à l’accroissement du complexe technoscientifique, qui nous éloigne petit à petit de cette émancipation, et tend à nous maintenir dans un état d’asservissement. Pire encore, ce que présuppose la future gouvernance environnementale, qu’elle soit capitaliste ou socialiste, à travers la problématique du risque ainsi que le « principe de responsabilité », à savoir renforcement du contrôle systémique, de la discipline des corps, instrumentalisation de la peur et de la contrainte, n’est ni plus ni moins que le retour de l’autoritarisme et l’entrée de la civilisation dans une nouvelle ère, celle de l’écolofascisme.
Ainsi, l’abandon de tout espoir vis-à-vis d’un système qui n’en comporte pas, ne fait que nous détacher de son emprise, et nous permet ainsi d’entrevoir une autre porte de sortie. L’expérience de la précarité nous a démontré que nous n’avons pas besoin d’une abondance de marchandise pour vivre. Nous estimons qu’il n’y a pas non plus besoin d’un accroissement du complexe technoscientifique qui aurait pour but de trouver comment maintenir le même niveau de production, mais version verte. Ce dont nous avons besoins aujourd’hui, au-delà des nécessités matérielles minimales, c’est de se réapproprier du temps, non exclusivement du temps consacré à l’oisiveté, mais du temps consacré à la politique, à l’amour, à l’amitié, au jeu, à l’art, à la compréhension du monde. Si ce projet semble de prime abord Utopique, nous soutenons que les projets pragmatiques proposés par les différents aspirants à la gouvernance ne constituent qu’un ensemble de supercheries garantissant le prolongement de la misère existentielle caractéristique de l’existence capitaliste. Notre projet n’est pas gestionnaire et technocratique, nous ne prétendons pas participer à l’accompagnement de ce système en pleine nécrose. Seul un soulèvement révolutionnaire peut rendre possible une existence qui serait débarrassée du surtravail, de la sur-répression, et qui laisserait libre cours à la joie et au développement autonome de la personnalité et des potentialités de chacun.
Collectif-Pensée-Critique
Notes
[1] Nous entendons « affectés par le sort animal et végétal » comme une disposition éthique, c’est à dire une conception de l’être pris dans un ensemble de rapports dont il n’est objectivement et subjectivement pas dissociable, qui composent son monde, son existence, sa vie. Georgio Agamben explique que les grecs avaient deux termes pour désigner la vie : « Zoé », qui désigne la vie abstraite, réduite à sa dimension mécanique, et qu’il désigne par le concept de « vie nue », et « Bios » qui est la vie entendue dans un ensemble de rapports qui la constitue, et qu’il désigne par « forme de vie ». Ainsi ce que nous entendons ici, c’est que cette affection est partie prenante d’une forme de vie, d’une existence indissociable des rapports matériels, symboliques et affectifs qui la compose, ou l’être et son milieu ne peuvent exister indépendamment l’un de l’autre, mais forment une seule entité.
[2] On assiste en outre, du fait de la destruction progressive des milieux, à l’émergence de « réserves naturelles », à la constitution de la Nature en tant que « patrimoine », ainsi qu’en tant que marchandise. La Nature ainsi réifiée n’est désormais plus reconnue comme un autre avec lequel le sujet coexiste, mais comme un capital, une vulgaire chose à gérer.
[3] Voir Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité et la dynamique politique de la société mondiale du risque (conférence), Hans Jonas, le principe de responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique,manifeste unabomber, la société industrielle et son futur, John Zerzan, point de rupture et futur primitif, bien qu’il faille émettre quelques réserves au sujet de ce dernier en ce qui concerne son manque de rigueur au niveau de certaines analyses (à ce propos : Alain C. John Zerzan et la confusion primitive). Ces quatre auteurs, comme beaucoup d’autres, soutiennent chacun à leur manière, et avec des différences au niveau de l’interprétation et des perspectives d’action, ce propos soutenu dans le texte concernant le lien entre productivisme et environnement. ou encore les théoriciens de l’anarchisme primitif : Theodore Kaczynski,
[4] Pour cela, il n’y a qu’à regarder les critiques sur l’écologie produites par de la nouvelle gauche anticapitaliste et altermondialiste.
[5] Voir Herbert Marcuse, Eros et Civilisation, L’Homme Unidimensionnel et Vers la Libération
[6] Voir Herbert Marcuse, Le Marxisme Soviétique, et Vers la Libération
[7] Voir les écrits de Marx sur la question environnementale. Pour aller plus vite, Voir Michael Lowy, Progrès destructif : Marx, Engels et l’écologie, paru dans J. M. Harribey & Michael Löwy ed., « Capital contre nature », PUF, 2003.
[8] A ce propos, Jurgen Habermas explique dans La Technique et la science comme « idéologie » que : « Marx fait coïncider le jugement pratique d’une opinion publique qui est d’ordre politique avec une maîtrise technique efficace. Entre-temps nous avons appris que même une bureaucratie planificatrice fonctionnant bien (ainsi qu’un contrôle scientifique de la production des biens et des services) ne représente pas une condition suffisante pour que se réalise de manière harmonieuse l’ensemble des forces productives à la fois matérielles et intellectuelles dans la jouissance d’une société émancipée. Marx n’a en effet pas prévu qu’entre le contrôle scientifique exercé sur les conditions d’existence matérielles et la formation de la volonté démocratique, à tous les niveaux, il pouvait naître un hiatus – c’est la raison philosophique pour laquelle les socialistes ne s’attendaient pas du tout à la possibilité d’un Etat autoritaire garantissant la prospérité, c'est-à-dire que le bien être d’une société soit relativement assuré au prix de la liberté politique. »
[9] Nous dissocions cependant l’anarchisme primitiviste des autres formes d’anarchisme. En effet, si l’anarchisme primitiviste reconnaît l’existence d’un risque systémique lié à l’activité industrielle et technoscientifique, il n’en appelle pas à un nouveau progrès, mais plutôt à l’éradication de tout progrès.
[10] « La technique pose des problèmes, entraîne des difficultés, et il faut plus de technique, toujours plus de technique pour les résoudre. Il y a bien autoaccroissement. » Jacques Ellul, Le Système Technicien
[11] « Pour diagnostiquer les menaces et lutter contre leurs causes, il faut souvent recourir à tout un arsenal d’instruments de mesure, d’expérimentation et d’argumentation scientifique. Il faut posséder des connaissances spécialisées poussées, une disposition et une capacité d’analyse non conventionnelle, ainsi que des installations techniques et des instruments de mesure globalement coûteux. » Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité. Pour ce qui est de la question culturelle et de l’idéologie, voir : J.Ellul, le système technicien, H. Marcuse, l’homme unidimensionnel, J. Habermas, la technique et la science comme idéologie.
[12] « La scientifisation réflexive ouvre donc de nouvelles possibilités d’influence et d’action (…), permet à la pratique sociale de s’émanciper de la science par la science ; dans le même temps, elle immunise les idéologies et points de vue d’intérêts socialement institués contre les visées strictement scientifiques, et ouvre la voie à une féodalisation de la pratique sicentifique instrumentalisée par les intérêts économico-politiques et la « puissance des nouvelles croyances » ; « On en arrive alors à une forme de scientifisation des protestations contre la science. C’est cette scientifisation qui distingue la critique du progrès et de la civilisation que nous connaissons aujourd’hui de celles des deux cent dernières années : les thèmes de la critique sont généralisés, la critique est – au moins potentiellement – scientifiquement fondée, et elle affronte désormais la science avec toutes les armes de la science. (…) on voit donc naître des formes de « contre-sciences » et de « science plaidoyer » qui ramènent toutes les « jongleries de la science » à d’autres principes, à d’autres intérêts – et parviennent ainsi à des résultats diamétralement opposés. (…) Les experts scientifiques adoptent de nouvelles formes d’activités orientées vers l’opinion publique (…). Un grand nombre de sciences se retrouvent exposées, dans les domaines où elles touchent à la pratique, à un « test de politisation » d’une ampleur sans précédent. » Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité
[13] Voir Herbert Marcuse, l’homme unidimensionnel, préface
[14] « La technique exige de l’homme un certain nombre de valeurs : précision, exactitude, sérieux, réalisme, vertu du travail, et une certaine attitude de vie : modestie, dévouement, coopération, des jugements de valeur claire : sérieux, efficace, utile. », « La technique est neutre, hors du champ de la morale, elle détruit la morale, et produit sa propre morale. », « Le discours moral qui s’y ajoute est une autre justification de celui qui se sait objectivement justifié au préalable. (…) Ce ne sont pas les valeurs qui nous autorisent à juger la technique, mais la technique qui est créative de valeurs. (…) C’est parce que la technique à supprimé l’esclavage et le servage que l’Homme a pensé et parlé de Liberté » Jacques Ellul, Le Système Technicien
[15] « La politique de type ancien était tenue de se déterminer par rapport à des buts pratiques, ne fut-ce qu’en raison de la forme de légitimation qui était celle de la domination : l’idée d’une « vie bonne » faisait l’objet d’interprétations qui étaient tournées vers des relations d’interaction. Cela est encore vrai également pour l’idéologie de la société bourgeoise. En revanche, la programmation du remplacement qui prévaut aujourd’hui ne concerne plus que le fonctionnement d’un système faisant l’objet d’un guidage. Elle évacue les problèmes d’ordre pratique et, avec elle par conséquent, la discussion concernant l’adoption de critères qui ne deviendraient accessibles qu’avec la formation démocratique d’une volonté politique. La solution des problèmes techniques échappe à la discussion publique. Des discussions publiques risqueraient en effet de mettre en question les conditions qui définissent le système au sein duquel les taches incombant à l’action de l’Etat se présentent comme des tâches techniques. C’est pourquoi la nouvelle politique de l’interventionnisme étatique exige une dépolitisation de la grande masse de la population. Dans la même mesure ou sont éliminés les problèmes d’ordre pratique, l’opinion publique perd sa fonction politique. » Jürgen Habermas, la technique et la science comme idéologie
[16] « Dans la mesure où le processus technique dépend de sa propre structure, la qualification de l’homme y est impérieuse. Il faut un Homme à la fois beaucoup plus compétent dans sa spécialité, et beaucoup mois apte à une réflexion. Plus il y a de facteurs, plus il est aisé de les combiner, plus l’urgence dans chaque progrès est claire, plus le progrès est évident, mois il y a d’autonomie humaine. » Jacques Ellul, Le Système Technicien
[17] Marcuse parlait à ce propos dans l’homme unidimensionnel de « technologie de la domination », ce à quoi il opposait une « technologie de la libération ». Cette seconde se distingue de la première par le fait qu’elle ne considère plus la nature et les hommes comme des choses à gérer mais comme des partenaires. Jürgen Habermas conteste cette affirmation, dans la technique et la science comme idéologie, en séparant la « rationalité en finalité » de ce qu’il appelle la « rationalité communicationnelle », médiatisée par des valeurs, des symboles. Cependant, la démonstration d’Habermas nous paraît insuffisante pour statuer a priori, et dans le cadre d’une société sur-répressive, de l’impossibilité d’une technologie libératrice. Cette hypothèse posée par Marcuse il y a plus de 40 ans reste à vérifier dans le cadre de l’expérimentation pratique d’un mouvement qui serait animé par une réelle volonté émancipatrice.
[18] Voir Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité et la dynamique politique de la société mondiale du risque (conférence)
[19] Voir les cours de Michel Foucault au collège de France sur le lien entre biopolitique et pouvoir disciplinaire, ainsi que surveiller et punir et La Volonté de savoir
[20] Hans Jonas, le principe de responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique
[21] Voir : Herbert Marcuse, Eros et Civilisation. Herbert Marcuse explique dans cet ouvrage que le trait spécifique du principe de réalité dans la civilisation occidentale productiviste, trait que l’on peut retrouver tant dans la société soviétique, que dans la société capitaliste, est le principe de rendement. Si ce principe est inhérent à la logique capitaliste, l’accroissement constant du taux de profit, il ne s’applique au socialisme qu’en fonction de trois caractères : l’état de retard en terme d’industrialisation de la Russie du début du XXeme siècle, sa conception du progrès imposée par le regard porté sur le développement du capitalisme occidental, et la situation de concurrence, imposé par la coexistence pacifique. Pour Marcuse, ce principe de rendement n’est pas une fatalité. Il considère en effet que les progrès techniques en terme d’automatisation permettent d’envisager une réduction générale du temps de travail et d’émanciper la société de la nécessité du travail aliéné. Cette réduction des activités humaines est également prise en compte par l’auteur dans le sens ou celles-ci sont en train de détruire progressivement toute possibilité d’existence. Elle constitue ainsi une nécessité environnementale.
[22] « Marchandise verte », appellation « bio », ne sont bien évidemment que des termes ironiques qui masquent en fait la volonté de maintenir prioritairement un mode de vie spécifique jusqu’à ce qu’il soit impensable que celui-ci puisse encore être maintenu. Il s’agit de repousser de quelques années la catastrophe, dans l’intérêt, bien évidemment de la domination capitaliste.
[23] la sur-répression est la forme répressive issue de l’ordre social, de la domination de classe, qui se surajoute à la répression nécessaire des instincts. Herbert Marcuse distingue trois couples antagoniques dans le cadre de la civilisation industrielle : principe de réalité/principe de rendement, répression nécessaire/sur-répression, et sublimation/ désublimation répressive. La désublimation répressive constitue la manière dont la société de consommation détourne les instinct libidinaux, non vers des activités réalisatrices, permettant d’atteindre un stade supérieur de développement, mais vers des activités de satisfaction directe mais détournée des instincts, qui ont pour effet l’affaiblissement de la pulsion de vie, d’Eros, et par conséquent la suprématie de l’instinct de mort, Thanatos. Cet instinct de mort est sublimé en destructivité et est employé par le capitalisme à des fins productives dans le cadre de la concurrence, de la lutte pour l’existence, de la course au profit.
Bibliographie pour approfondir le propos
-Herbert Marcuse, L’Homme Unidimensionnel / Quelques conséquences sociales de la Technologie / Le problème du changement social dans la société technologique / Vers la libération : au-delà de l’homme Unidimensionnel / La Fin de l’Utopie / Contre-révolution et Révolte / Eros et Civilisation / Le Marxisme Soviétique
-Jacques Ellul, le Système Technicien / la technique ou l’enjeux du siècle / le bluff technologique
-Jürgen Habermas, la technique et la science comme idéologie
-Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité / la dynamique politique de la société mondiale du risque (conférence)
-Hans Jonas, le principe de responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique
-Theodore Kaczynski / Unabomber, la société industrielle et son avenir (manifeste)
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Tout d’abord nous allons revenir sur les déclarations de la majorité des médias, avant de discuter véritablement du sujet à proprement parler. Le discours de ces médias se compose des éléments suivants:
Manifestations anti-carcérale/Environ 250 manifestants/Destructions de biens marchands/dégradation de monuments religieux/Ultra Gauche/Anarcho Autonomes/Organisés/Armés/Dangereux
Généralement, les articles s’accompagnent des pleurnicheries du Maire sur la mauvaise image donnée à Poitiers et le coût des réparations. Bref, c’est assez maigre. Peut-on se prétendre informé ? Cela dépend de ce qu’on appelle une information.
Si être informé consiste à :
1/ ne pas parler de la cause de ce rassemblement, c'est-à-dire la question anti-carcérale, mais se limiter à parler des « débordements », des « casseurs », des « dégradations »
2/ ne pas faire d’analyse sur les acteurs en présence et en faire une totalisation que l’on regroupera sous la désignation : « anarcho autonome d’ultra gauche »
3/ ne pas faire de lien entre la question de la prison et les questions de société, la question du capital, la question de la morale judéo-chrétienne.
4/ recueillir les propos du maire, c'est-à-dire d’une seule des parties, qui pose d’emblée des jugements moraux pré admis sur les événements, notamment en employant des termes comme « grave », « dangereux ».
5/ prétendre que les manifestants sont venus armés, et ne pas faire de différence entre un fumigène et un explosif, qu’ils sont « très bien organisés », (face à un dispositif de police ultra minime au départ, et donc facile à déborder, même s’il s’était agit d’une manif de 30 grand mères) alors que tous prétendent que c’était le bordel, et que tout s’est fait de manière spontanée.
6/ se faire son jugement dans son canapé sans avoir pris part à la situation, sans connaître les acteurs, leurs histoire, leurs objectifs, et en ayant subit depuis l’enfance une propagande unilatérale qui vend les mérites du capitalisme, du libéralisme, du christianisme, et du consumérisme
Alors vous regardez TF1 !
Sinon, vous pouvez également prêter attention à ce qui suit: Vers une analyse compréhensive de la situation
Civilisation et Destructivité
Il n’est pas possible de comprendre les actes des dits « black blocks anarcho autonomes d’ultra gauche », comme bien d’autres événements similaires, sans prendre en compte la structure sociale et la dynamique de la civilisation dans lesquelles ils s’expriment. Cette analyse est bien connue et tient son point de départ dans la Métapsychologie Freudienne, et son développement dans l’analyse Marcusienne de la civilisation (Eros et Civilisation). La révolte, la violence, la destructivité, les psychopathologies qui s’expriment dans, par et contre la civilisation ne sont ni des éléments qui lui sont exogènes, ni des anomalies, elles sont le reflet des traits fondamentaux de la civilisation elle-même, de sa dynamique propre, de sa dialectique. Les individus révoltés, violents, destructeurs ou psychopathes sont positifs au sens où ils adoptent une réponse conforme à leurs conditions objectives d’existence, qui sont le produit de la civilisation et de l’organisation capitaliste de la société. Ils sont positifs dans leur antagonisme, dans leur négation déterminée de l’ordre dominant. La civilisation occidentale capitaliste à pour réflexe de traiter ces êtres comme des anomalies qu’il faut neutraliser pour perpétuer son existence. Son réflexe n’est donc pas l’autocritique, la remise en question de son fonctionnement, de ses réalisations, la réflexion sur ses potentialités, mais bien plutôt l’élimination pure et simple du problème. L’élimination prend des formes diverses suivant la période historique et le degré de nuisance du problème en question, et va de l’élimination directe de la vie, à des formes disciplinaires de redressement moral et physique, à l’enfermement et à la surveillance.
La civilisation occidentale se base sur le principe de rendement comme principe de réalité. Ce principe de réalité est constitutif du capitalisme, de la course à l’accroissement du taux de profit. Il est le principe de réalité des classes dominantes capitalistes, au niveau national comme mondial, introjecté par une série d’institutions qui s’inter-déterminent : la Famille, l’Ecole, la Télévision, la Publicité, le Travail, l’Eglise.
Le principe de réalité consiste en un report constant du principe de plaisir, c'est-à-dire sur une répression de l’instinct de vie (Eros). Si le report de la satisfaction immédiate du désir consiste en un instinct de conservation de l’Humain, permettant le développement de formes de sublimation, de détournement des pulsion et de réinvestissement de celles-ci dans des activités permettant la transformation du monde objet, de la réalité matérielle, dans le sens de l’apaisement de la lutte constante pour l’existence, cet affaiblissement d’Eros provoque de manière conséquentielle un déséquilibre entre l’instinct de vie et l’instinct de mort (Thanatos). Le progrès de la civilisation est ainsi surinvesti par l’’instinct de mort, qui est sublimé en instinct de destruction. L’instinct de destruction est alors parti prenante des réalisations humaines, de sa transformation du monde objet. Il s’insère dans l’appareil productif sous la forme de destructivité méthodiquement organisée. Il se manifeste dans les activités destructrices de l’homme, c'est-à-dire d’une part la destruction et le pillage de la nature, et d’autre part dans la guerre et la répression Etatique. Il s’incarne de la manière la plus flagrante dans les fonctions policières et militaires.
En tant que surdétermination de l’être par le social, par la classe dominante, ses normes, ses valeurs, ses affects, son éthique projetée dans l’universel, érigée en morale, le principe de rendement consiste en une restriction du principe de réalité, et s’appuie sur la réification, c'est-à-dire une conception du monde objet qui fait abstraction de ses détermination, de ses processus constituant, de sa dynamique interne et de ses antagonismes.
Le capitalisme avancé est totalitaire au sens où il est en capacité d’absorber les instincts de destruction et les instincts de vie, d’administrer Eros et Thanatos dans la dynamique du système productif. Les instincts de vie non satisfaits et réprimés par l’impératif de rendement son d’une part détournés de leur objet dans des activité compensatrices, sublimatoires tels que l’art, la science, ou bien dans des activités désublimées telles que la consommation de produits de luxe investis des valeurs joyeuses, prestigieuses, valorisantes, glorifiantes du système lui-même. C’est ce que Marx appelait le fétichisme de la marchandise. Dans le capitalisme avancé et sa tendance à la dématérialisation, la consommation porte autant sur des productions matérielles que sur des productions immatérielles. La société capitaliste avancée devient alors Spectaculaire Marchande, et pose alors un voile idéologique sur une réalité fétichisée. La répression des instincts de vie entraîne d’autre part un déséquilibre exaltant la destructivité. Cette destructivité est également canalisée dans des activités compensatrices de plusieurs ordres. D’une part, il s’agit des activités de répression physiques, policières et militaires. D’autre part, cette destructivité productive est réinvestie dans des activités compétitives, c'est-à-dire concurrence scolaire, économique, sport, jeux de société. Tandis que les activités professionnelles, et celles de sélection sociale, mettent en jeu la compétition dans le cadre d’enjeux réels, c'est-à-dire qui concernent des situations matérielles d’existence ; la compétition ludique dans le cadre de sports amateurs et de jeux de société fait office de défouloirs, elles permettent la décharge de pulsion agressives dans le cadre virtuel de la destruction simulée. Eros et Thanatos ainsi pris au piège de la machine capitaliste contribuent alors au développement et à l’équilibre de l’appareil productif.
L’appareil productif ne peut intégrer l’ensemble de la population, et d’ailleurs les capitalistes n’en ont pas besoin, bien au contraire : au niveau économique, le maintient d’une population non intégrée permet la perpétuation et l’exaltation du principe de rendement, puisqu’il contraint les salariés à se conformer aux normes de ce principe, et d’accepter n’importe quelle contrainte de travail, au risque de mettre en péril leurs conditions matérielles d’existence, et qu’il maintient une partie de la population dans la pénurie, ce qui permet en cas de crises, de grèves, de se débarrasser des premier salariés, et de puiser dans ce vivier potentiellement prêt à accepter n’importe quel travail, dans n’importe quelle condition, afin de reconstituer ses effectifs nécessaires, et même d’accroître la puissance numérique de l’Etat protecteur du Capital au niveau policier et militaire. C’est en quelque ligne l’analyse marxiste sur la fonction sociale du lumpenprolétariat pour la bourgeoisie dans l’économie capitaliste. Ainsi, maîtriser les conditions d’intégration totale de la population au sein du système productif constituerait pour ses acteurs un effort considérable et superflu de contrôle des déterminations, des conditions spécifiques d’existence qui constituent chaque corps. De plus le développement d’une population non intégrée à l’ordre dominant permet à la domination de disposer d’un vivier constant de boucs émissaires, dont la fonction consiste alors dans l’attribution du port de la responsabilité des disfonctionnements du système. Ces populations constituent alors la figure de l’antisocial, et subissent des formes de désignation stigmatisantes, les constituant alors comme l’Ennemi commun à abattre, ce qui permet alors au groupe dominant de détourner l’attention de l’opinion publique, quant à sa responsabilité relative aux différentes crises du système. Si ce processus se manifeste de manière parfaitement involontaire et mécanique chez de nombreux politiciens et idéologues, d’autres son plus avertis de ce fait, et en usent très habilement pour défendre leurs intérêts et leur position sociale.
Ce mécanisme de désignation de l’Ennemi, qui répand la peur chez les sujets de l’Empire et les rend ainsi docile et malléables, les dispose à la servitude est bien antérieur à l’avènement du la société capitaliste. Il était déjà présent dans la Rome Antique, avec l’opposition entre Barbares et Civilisation. Il repose sur le mythe du chaos et de la destruction relatif aux invasions barbares, qui serait la fin de la civilisation. Ce mécanisme s’est également perpétué sous des formes plus mystiques avec la religion chrétienne. L’Ennemi est alors constitué par la représentation du Diable, Satan, Lucifer, l’invasion barbare par le mythe de l’Apocalypse, et du règne de l’Antéchrist. La figure de Dieu représente l’ordre, l’Empire. Le chrétien est alors le sujet servile de cet ordre, qui est l’expression de la volonté divine, mais qui est en réalité celle de la classe dominante, du clergé et de la noblesse. Cette structure de la soumission s’incarne dans les différentes institutions que sont la Famille, l’Ecole, l’Entreprise, l’Etat. Dieu est le père, le maître, le patron, le président, bref, la figure de l’autorité. Tout ce qui n’est pas conforme à la volonté de Dieu est l’expression du Diable, ainsi, toute révolte contre une autorité injuste est considérée comme défi lancé à Dieu, et comme manifestation du Démon. Servir Dieu conduit à la félicité, désobéir à Dieu conduit à la damnation. La religion chrétienne se base également sur le principe de culpabilité : l’Homme porte la culpabilité du péché originel et Dieu donna en sacrifice sont fils le Christ pour racheter ce pêché. L’Homme, responsable de ce sacrifice devant Dieu lui doit ainsi obéissance, sous peine de damnation. Voici en quelques lignes comment la religion construisit et instrumentalisa la peur et disposa l’être à la culpabilité et la soumission, et par conséquent comment elle occupa la fonction sociale de contrôle idéologique de la population, répandant la tristesse et empêchant le développement vital d’une Humanité joyeuse.
Si la religion à perdu de son influence face à la poussée scientifique et positiviste, qui s’est accompagnée de nombreuses remises en question philosophiques, économiques et sociales, elle à été d’une part réintégrée au système capitaliste, à l’état de patrimoine, et par conséquent de marchandise, et d’autre part à l’état de moralité abstraite et surimposée par la classe dominante, qui avait alors pour justificatif le monde objet qu’elle avait préalablement établit. Cependant, la crise de légitimité des sciences et techniques, précédemment érigées en croyances transcendantales contre la religion, a rouvert une brèche au sein de la modernité permettant une résurgence du christianisme, notamment aux Etats-Unis. Les Etats-Unis ayant bien souvent été précurseurs de tendances fondamentales dans le développement de la civilisation depuis leur avènement en tant que puissance dominante au niveau mondial, il est nécessaire d’y constater un symptôme potentiel de basculement du monde vers l’obscurantisme religieux, et d’affronter la religion au moment ou elle n’a pas totalement recouvré sa puissance. Ce dont il s’agit ici n’est pas tant de croire ou ne pas croire en Dieu, mais de dissocier la question de Dieu de celle du Politique, la question de la croyance de la question morale, et ainsi de dépouiller la religion de ces fonction de dispositif de contrôle social à la solde de l’ordre établit. En effet, la morale religieuse à encore récemment fait office de prétexte pour contribuer à la justification de la guerre impérialiste, et au massacre de populations civiles dans le but de d’accaparer les ressources naturelles d’un territoire et d’y implanter de nouveaux marchés.
La civilisation occidentale capitaliste, judéo-chrétienne, spectaculaire marchande, impérialiste et répressive ainsi démasquée, que représente alors la destruction de quelques vitrines de boutiques, de quelques biens marchands, et la dégradation de quelques monuments religieux face à la répression de la vie caractéristique de l’ordre dominant, face à la morale chrétienne qui anéantit de nombreuses vies durant divers croisades, qui maintint la population durant des siècles dans la peur, la culpabilité, la misère et l’ignorance ; face au système de production capitaliste qui détruit progressivement l’ensemble de l’écosystème et les ressources du milieux naturel, qui maintient objectivement une majeure partie de la population dans la frustration psychique, la souffrance physique, l’impuissance, la pénurie, et la haine ; face à l’impérialisme qui détermine des populations entières à la guerre pour des intérêts qui leurs sont étrangers ; face au protectionnisme national qui expulse des millions de sans papiers, les condamnant ainsi à la misère et souvent à la mort ? Que cela représente-t-il, sinon la manifestation de la révolte d’Eros, puissance animée par la volonté de répandre la vie et la joie, contre ce qui tend à sa décomposition ? Ce que l’Etat désigne par « black blocks anarcho autonomes » et « cellule d’ultra gauche à vocation terroriste», c’est en réalité cela. C’est un ensemble d’êtres sensibles désillusionnés des mystifications et obscurantismes de l’idéologie dominante, et animés par un désir de répandre la vie et la joie dans et contre une civilisation qui répand peur et terreur, qui est animée par l’instinct de mort et qui tend vers sa propre destruction ; un mouvement déterminé par la civilisation destructrice à détruire la destruction elle-même, pour la sauvegarde et le développement d’Eros.
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1/ Les limites de l’objectivité : la réception subjective
Une information objective consisterait à produire un récit des faits sans y glisser de jugement de valeur ni d’élément interprétatif. Cependant, la réalité de l’entendement humain étant essentiellement subjectif, bien qu’interagissant avec le monde objet dont l’homme se sert comme support pour exister, il ne peut y avoir de réception objective, neutre des faits. L’être recevant l’information est ainsi affecté par celle-ci et se construit alors des représentations en fonction de cette affection. Or généralement, cet entendement est limité, puis que le sujet réceptif est passif. L’Homme face à son poste télé, radio, sur Internet, ne peut appréhender les affections que du point de vue d’une rationalité limitée : la combinaison particulière des élément constituant son expérience singulière, son histoire, c'est-à-dire son processus de socialisation. Or si l’on considère que ce processus est déterminé par la vie dans la famille, à l’école, par les émissions de télévision, la publicité, force est d’admettre que l’entendement de chacun est en partie ou totalement déterminé, de manière médiatisée, par l’Etat et le Capital. En ce sens nos affections sont, dans le cas d’une attitude de positivité parfaite vis-à-vis de cette détermination, celles que l’Etat et le Capital attendent de nous. Ainsi l’objectivité du journalisme, même si elle se contente d’une description pure, se rallie toujours au parti de l’Etat et du Capital, puisqu’elle ne s’oppose pas aux processus sociaux de construction des subjectivités, qui déterminent l’a priori de la réception de l’information.
2/ Idéologie et réception de l’information : critique de la réification comme autolégitimation
L’activité journalistique instituée, en ne traitant que des faits, et par conséquent en éludant les processus déterminants, produit généralement une analyse réifiée, chosifiée. Elle révèle plus la fixité de la situation que sa dynamique propre, et par conséquent procède de l’inversion entre l’effet et la cause. Elle part de la réalité établie sans en expliciter les mécanismes, et se fait organe de légitimation et de diffusion des normes, des valeurs, de la morale (de la classe) dominante. En cela, les médias constituent un des dispositifs de reproduction de l’ordre établit. Cependant, cette erreur méthodologique n’est pas volontaire, elle n’est pas la manifestation d’un mégacomplot visant l’asservissement de la population. Il s’agit d’une conjonction d’éléments et de processus plus complexes : le processus de socialisation de l’individu, et les processus de sélection inhérents à l’activité journalistique. En ce qui concerne le premier processus, nous naissons tous dans un monde préétablit, qui nous préexiste. Nous sommes initialement tous soumis à la détermination de ce monde, et cette détermination initiale se combine à un ensemble de déterminations hétérogènes et constantes qui composent progressivement notre manière d’être affectée, de nous représenter le monde, l’existence, la vie, ainsi que, de manière conséquentielle, notre manière d’agir, notre orientation politique et notre prise de parti dans l’action. Sur ce point, le manifestant, le flic, le journaliste, le politicien, l’ouvrier, et l’entrepreneur capitaliste ne diffèrent pas. Ils diffèrent au niveau qualitatif, c'est-à-dire que les expériences qui composent leurs déterminations ne sont pas semblables, elles ne partent ni n’aboutissent aux mêmes positions dans la société. Le Capitaliste, en tant qu’appartenant au groupe social dominant ayant réalisé, matérialisé sa propre Utopie, ayant transformé le monde à l’image de sa propre idéologie, de ses désirs et de ses intérêts, et ainsi produit une unité entre subjectivité et objectivité, a la réalité pour lui. Il n’a point besoin de justification, car le monde existant, fruit de sa domination, expression de sa volonté, fait office pour lui de justification, d’où la récurrence dans le discours de la droite de l’expression « réalité objective ». En ce qui concerne le journalisme, le processus d’entrée dans la profession est à la fois un apprentissage de méthodes, de compétences, et un processus de normalisation. C'est-à-dire que le journaliste apprend les méthodes, les compétences, et les normes de la profession, puis lorsqu’il se présente pour une embauche, se trouve face à face avec une ligne éditoriale avec laquelle il doit partager une certaine représentation du monde, pensée par les employeurs comme étant objective, et qui est le fruit du façonnement du monde par la classe dominante. En cela, le journaliste animé par une disposition positive à l’égard de l’idéologie dominante et du monde préétablit ne subit pas de pressions et se sent totalement libre dans sa profession. Simplement, s’il n’est pas contraint dans l’exercice de sa profession, il n’en est pas moins libre pour autant. Il est seulement déterminé positivement dans une posture spécifique qui lui confère sa place, et dont il ne peut se défaire. Il est libre de suivre, mais pas de s’écarter, car dans cas, il se ferait renvoyer et devrait changer de journal, ou pointer à l’ANPE. En ce sens, sa liberté n’est qu’un subterfuge.
3/ Projection de représentations dans le traitement de l’information : le référentiel connoté des journalistes
Partant de ce qui précède, tout journaliste pense qu’en relatant les faits, il révèle la réalité et la vérité, et que tout ce qui le contredit n’est qu’idéologie. En ignorant sa propre subjectivité, le journaliste réinjecte dans sa retranscription des fais des jugements qui sont ceux de l’idéologie dominante. Il s’appuie de plus sur un ensemble de représentations et de catégorisations préétablies, qu’il estime neutres, mais qui ne le sont pas, et agissent de manière performative sur les représentations des récepteurs de l’information. Ces représentations et concepts sont en fait la production intellectuelle des idéologues passés et présents de la domination, qui font de ce fait office d’autorité, et contribuent à l’établissement du statu quo. S’ils ont pour but de produire des représentations adéquates à l’appréhension du monde objet, ils ont bien davantage pour effet de produire un masquage de cette réalité objective, sous forme de moralité ou de spectacle, et par ce biais, une disposition non éthique de la population administrée à la servitude. Ces intellectuels prédéterminés par les normes et valeurs de la domination, contribuent ainsi à sa défense et à sa reproduction. Le journaliste adoptant ces concepts et représentations pour tenter de décrire le réel perd ainsi sa neutralité et se fait alors malgré lui le médiateur de normes et valeurs dominantes. C’est un entrepreneur de morale qui s’ignore. Pour se sortir de cette posture, et ainsi justifier sa prétention à la vérité, le journalisme devrait alors se soumettre à une profonde autocritique, à une remise en question radicale de ses présupposés moraux et intellectuels hérités de la civilisation occidentale, ainsi que de sa méthodologie positiviste au caractère profondément réifiant.
4/ Le journalisme contre le positivisme et l’idéalisme bourgeois : vers l’Intersubjectivité et l’Analyse Compréhensive
A partir de là, il s’avère impossible et illusoire de produire une information neutre et objective. Le nihilisme et le relativisme absolu que l’on pourrait être tenté de revendiquer afin d’obtenir une information de qualité se révèlent alors sous leur jour le plus chimérique puisqu’ils demeurent impuissant face au système de représentation et d’affectation du récepteur. En effet, celui-ci, prédéterminé, y projettera alors ses normes et valeurs et ne dépassera alors pas sont degré d’entendement limité. Si le discours journalistique à pu prétendre relater une vérité et une réalité objective, en ignorant l’effet que cette information pouvait produire sur le récepteur, c’est parce que l’épistémologie journalistique s’est basé sur deux postulats erronés : le premier réside dans l’illusion de produire de l’objectivité à travers la simple description des faits, sans nécessairement s’intéresser aux causes, aux subjectivités ou du moins de manière limitée et superficielle : erreur caractéristique du positivisme et de l’empirisme, car aboutissant à la réification. Le second postulat concerne la conception libérale de l’individu libre et autonome dans sa pensée. Cela supposerait un individu non déterminé au niveau social, politique, intellectuel et moral, c'est-à-dire qui n’appartiendrait et n’aurait jamais appartenu à aucune famille, à aucune classe sociale, qui n’aurait jamais entendu parler de citoyenneté, de république, de démocratie, de bien, de mal, et qui se serait construit son jugement dans une expérience directe et immédiate au monde, en en comprenant les relation de causalité, les processus et les modes de détermination. C'est-à-dire que cette posture nécessiterait à la fois le sujet Ethique de Spinoza, ainsi que le sujet a-classiste de l’Utopie Communiste de Marx. Or, dans la réalité effective, on est très loin d’un tel sujet Utopique. Le sujet dont on parle est un sujet surdéterminé au plan intellectuel et affectif. Son affectivité et sa morale sont celles de l’ordre établit, de la classe dominante, elles lui sont introjectée, par le médium de structures institutionnelles telles que la famille, la télévision, l’école, le travail. A partir de cela l’Utopie objectiviste de l’activité journalistique devient instrument de domination à la solde de la civilisation occidentale capitaliste, puisqu’elle se base sur les fondations de l’idéalisme abstrait et ne tient pour le coup plus compte de la réalité matérielle et effective. Pour réaliser pleinement et véritablement sa prétention à la neutralité, le journalisme doit disposer de récepteurs non surdéterminés, et doit par conséquent contribuer à l’avènement d’un tel sujet. En cela, le journalisme véritable sous-tendrait une démarche profondément révolutionnaire. Cependant, les journalistes sont généralement très bien intégrés à la société, au capitalisme, à l’ordre établit, et n’ont dans la majeure partie des cas pas intérêt à un basculement révolutionnaire qui pourrait modifier leur situation de classe privilégiée. Cela signifie alors que leur Utopie de neutralité et d’objectivité n’est pas tenable dans la situation présente et qu’elle doit être abandonnée. Ainsi, le journalisme, au lieu de fuir éternellement une subjectivité et une idéologie dont il ne peut se défaire, devrait bien plus remettre en cause sa propre méthodologie, et se concentrer sur l’éthos, l’intersubjectivité, les processus et les déterminations des sujets, plutôt que sur la morale, l’objectivité, les faits et les effets. Il devrait abandonner le positivisme et l’empirisme, et proposer des analyses compréhensives approfondies sur les groupes et les mécanismes sociaux, afin de développer un niveau d’entendement supérieur à l’idéalisme obscurantiste et périmé de la philosophie humaniste des lumières. Pour cela il faudrait alors que les journalistes soient préalablement initiés aux bases indispensables des sciences humaines et sociales, au matérialisme et à l’éthologie. Dans ce cas, le journalisme deviendrait une institution profondément différente, critique et pertinente, qu’il serait difficile d’instrumentaliser. Ce ne serait plus un dispositif de façonnement des subjectivités, de contrôle de la pensée et des affections, mais un véritable outil d’ouverture vers un niveau d’entendement supérieur. Ainsi distancié de ses fonctions de contrôle social, il constituerait le plan fixe d’affrontement de l’intersubjectivité, et deviendrait potentiellement un des médiums d’une remise en question fondamentale de la civilisation.
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