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I Les fondements socioculturels d’une remontée de l’extrême droite
1 Caractéristiques de la raison moderne
2 Evolution sociales durant les 30 glorieuses
3 La récession et le développement d’une culture de l’insécurité
4 La crise de la modernité tardive et la remontée de l’extrême droite
II Les extrêmes droites : différences et similitudes
1 Extrême droite politique et extrême droite sub-politique
2 Comment expliquer cette diversité ?
3 Quelles similitudes ?
III Les mutations des extremes droites contemporaines
1 Du déclin du racisme pur...
2 ...à la théorie du choc des civilisations...
3 ... et à l'assimilation du langage technocratique
4 La tendance à se donner une image propre
5 Redorer le blason en retournant les stigmates
IV Pourquoi l’extrême droite constitue-t-elle une impasse et une imposture ?
1 La répression n’est pas une solution
2 L’impasse d’une démondialisation de droite
3 Les intérêts particuliers des élites d’extrême droite : ni antilibérale, ni anticapitaliste, ni socialiste, ni écologiste
4 La posture la plus adaptée pour mener une politique de rigueur
5 L’extrême droite à-t-elle une chance de devenir le centre de l’économie mondiale ?
6 l’extrême droite populo « progressiste »: manipulateurs ou manipulés ?
7 Réception du discours de l’extrême droite et consentement
8 Le sexisme et l’homophobie
9 Le choc des civilisations
10 L’extrême droite et l’absolutisation de la technocratie
11 l’extrême droite et les théories du complot contemporaines
12 L’antifascisme
V Quelles réponses apporter à l’extrême droite ?
1 l’extrême droite ne peut être combattue à partir d’une posture « anti »
2 De la critique de la réification à l’avènement de la reconnaissance
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I Les fondements socioculturels d’une remontée de l’extrême droite
Pour comprendre la remontée actuelle de l’extrême droite, il nous faut comprendre à la fois ce qui, dans la situation récente, est à l’origine d’une telle évolution, mais aussi ce qui, dans les tendances profondes de nos sociétés, de nos cultures, a constitué un élément structurant, dont l’entrée en crise tend à justifier un retour à des cadres institutionnels rigides, autoritaires et traditionnels.
1 Caractéristiques de la raison moderne
Nous distinguerons ainsi, dans un premier temps, l’émergence et l’hégémonie d’une certaine forme de la raison, qui a progressivement pénétré l’ensemble des activités humaines, et qui s’est imposée comme force motrice de la « modernité ». Il s’agit de ce que l’on nommera la raison instrumentale-stratégique. Cette rationalité sépare le monde entre d’un coté le sujet agissant, et de l’autres les choses à sa disposition. Elle s’appuie sur le calcul rationnel, la prévision, la planification. Elle ne reconnait d’autres valeurs que l’efficacité d’une action en fonction du résultat attendu. C’est une rationalité dont le but est la maitrise, la domination des choses. Elle trouve son origine dans un certain développement des sciences de la nature en vue de l’application technique. Cette raison technique s’est ensuite appliquée à l’industrie, aux finances, à la gestion politique, notamment sous l’impulsion des modèles bureaucratiques, et elle a progressivement pénétré la vie quotidienne. Elle est devenue un trait fondamental de la culture occidentale. La science à progressivement occupé la place de la religion, dont elle a provoqué la disgrâce, et contribué au désenchantement du monde. Du fait du développement de la science, de la technique et de la logique de la planification, ce qui constituait l’inconnu est devenu connaissable, ce qui relevait du hasard est devenu le fuit de la raison, ce qui était « danger » est devenu « risque » (Ulrich Beck, dans La Société du risque distingue en effet le risque qui est calculable et peut être anticipé, du danger qui est imprévisible, qu’il n’est pas possible d’anticiper).
2 Evolution sociales durant les 30 glorieuses
Pour que cette rationalité puisse s’exercer, il est nécessaire que les données de départ soient prévisibles, que le système soit relativement stable. Les événements majeurs de la seconde moitié du XXème siècle sont à l’antipode de cet impératif de stabilité. Tout d’abord, la sortie de la guerre marque le début d’un bond technologique considérable (développement de la production, des systèmes de communication à grande échelle, accélération des échanges et du rythme de la vie), qui va transformer de manière radicale l’existence, et ce, non d’une génération à l’autre, mais à l’intérieur d’une même génération. Par la suite, les mouvements socioculturels des années 60-70 vont ébranler de manière radicale l’hégémonie des cadres institutionnels traditionnels telles que l’autorité patriarcale, la famille, le mariage, la place de la femme dans la société, et revendiquer davantage d’autonomie existentielle. A cette période, la raison instrumentale peut encore s’exercer sans dégâts, car la structure économique et sociale conserve une certaine stabilité. Les hommes peuvent planifier leur vie, car ils disposent de cardes sécurisants, et car le progrès se traduit en amélioration de leurs conditions d’existence. Il se développe à partir de cette possibilité de construire sa vie propre, libérée des impératifs de la normativité, une culture de l’individualité qui dissout progressivement les grandes communautés et institutions intégratrices.
3 La récession et le développement d’une culture de l’insécurité
A partir du milieu des années 70, l’histoire va prendre un autre tournant. La crise de 74 marque la fin des 30 glorieuses et le début d’une période de récession. Le marché de l’emploi, jadis ouvert par l’évolution technique, administrative et des activités de service, arrive à saturation. Les préoccupations écologiques se font progressivement grandissantes, notamment par la perception des limites énergétiques, des effets de la pollution industrielle sur la nature, et des catastrophes technologiques. En France, à partir de 1982, débute sous le gouvernement socialiste les politiques de rigueur. D’un autre côté, on constate depuis les années 80-90 une augmentation constante du nombre de divorces, de recompositions familiales. On observe aussi, sur le plan sanitaire, une élévation du nombre de cancers, de dépressions chroniques, de suicides, de maladies liées à l’alimentation, ou aux évolutions climatiques. De l’autre, après l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, le néolibéralisme se développe sans aucune limite : « flexibilisation » du travail, délocalisation et chômage croissant, autonomisation et responsabilisation répressive des travailleurs, destruction des systèmes de protection sociale. Dans ce contexte de moins en moins stable au niveau économique, social, environnemental et existentiel, il devient de plus en plus difficile de planifier son existence, afin de se prémunir du danger et de réaliser ses désirs. Il n’est plus possible non plus de s’accrocher à une quelconque justification transcendante : nous ne souffrons plus pour un paradis, pour la réalisation du Communisme ou quoi que ce soit d’autre. Si l’Altermondialisme a pu un temps tenir se rôle comme perspective d’un autre possible, les années 20xx ont marqué son déclin progressif, nous laissant dans un présent sans perspective de changement, et pire encore, avec une crise financière qui semble durer et s’approfondir. Nous souffrons sans raison, sans sens, et nous ne pouvons rien faire, rien planifier. Nous sommes dépendants d’un mouvement qui se fait sans nous, contre nous, où nous sommes responsables de notre réussite et le plus souvent laissés seuls face à notre propre échec, où l’avenir est source de crainte et de délitement, plutôt que de bonheur et de réalisation.
4 La crise de la modernité tardive et la remontée de l’extrême droite
La crise que subit la « modernité » est à la fois une crise économique, sociale et environnementale, mais elle est aussi une crise de la capacité d’agir et de conduire son existence rationnellement et volontairement, crise de la possibilité d’une vie heureuse dans un monde sécurisant, ou l’on pourrait expérimenter, prendre des risques, se donner le droit à l’erreur, et finalement avancer et s’épanouir. Dans ce contexte anomique et incertain, l’extrême droite gagne en popularité car, à défaut d’une alternative immédiatement crédible à gauche, ses réponses simples impliquent la mise en place immédiate de carde sociaux rigides et stables qui semblent permettre à la raison instrumentale-stratégique de s’exercer, à l’homme de planifier sa vie. Aux problèmes sociaux engendrés par l’émancipation de la femme sont proposés la restauration du modèle familial et de la répartition sexuée des rôles à l’ancienne. Aux problèmes d’incivilités urbaine et de magouilles financières est proposée la réaffirmation de la souveraineté Etatique dans les rues et face au monde de la finance, à la casse des acquis sociaux est opposée la restauration de la protection sociale. Au désenchantement du monde est opposé le retour de la tradition et de la religion. Au risque d’évolution de ces institutions par le contact avec d’autres cultures, et par conséquent de perte de pouvoir des leaders de ces mouvements, est opposé l’hermétisme culturel et le choc des civilisations. Enfin, à la responsabilité non identifiable dans un système chaotique et dépersonnalisé de jeux d’influence et d’imitation réciproque, est opposé la désignation d’Ennemis intérieurs (les étrangers, principalement maghrébins et noir africains) et extérieurs (l’Hyper classe « apatride » des industriels et banquiers internationaux, les Etats Unis, la Chine) comme responsable du malheur collectif. Voici qui explique, en partie et selon nous, la remontée de l’extrême droite. Le défi qui se pose aujourd’hui à la gauche sera de trouver de nouvelles modalités de réponse aux problèmes sociaux impliqués par le capitalisme tardif sans pour autant tomber dans le piège de la « Lepénisation ». Il s’agira de répondre au délitement des cardes sociaux, à l’incertitude et à la fragilité qui en découle, par autre chose que la restauration de l’autorité et de la tradition. Pour terminer, n’oublions pas de rappeler que la raison instrumentale-stratégique à laquelle l’extrême droite tente de donner un second souffle, est à l’image de la culture qui la fait naître. Elle est inhumaine et cynique. Lorsqu’elle devient prééminente, qu’elle nie l’humanité en raison d’une quelconque nécessité, elle peut donner lieu aux pires horreurs. Ce n’est pas pour rien qu’elle est la rationalité des managers, des chefs militaires, des banquiers et des politiciens, ni qu’elle fut le fer de lance du Nazisme et du Stalinisme. L’extrême droite est à l’image de tous ceux qui manipulent cette raison, elle est cynique, inhumaine et par conséquent dangereuse. Par conséquent, si la raison instrumentale-stratégique est rationalité de la domination, qu’elle constitue une forme d’agir dont nous ne pouvons cependant nous passer, une forme d’agir en crise dans nos sociétés chaotiques et incertaines, alors, une autre raison, une autre forme d’agir doit se développer et limiter, canaliser cette raison instrumentale. Une autre raison qui ne sera pas celle du calcul cynique, de la stratégie, et de la négation de l’Homme, de la désignation de coupables et de l’usage de la force imbécile, mais celle de la reconnaissance mutuelle et de la réflexivité concertée. La crise de la raison instrumentale-stratégique, et le développement d’une autre rationalité, seront peut-être les clés qui nous permettront de nous sortir d’une logique de gestion immédiate, de pouvoir envisager la possibilité d’une autre politique et d’un véritable avenir.
II Les extrêmes droites : différences et similitudes
1 Extrême droite politique et extrême droite sub-politique
Il est tout d’abord nécessaire de distinguer l’extrême droite politique (institutionnelle) de l’extrême droite sub-politique (non-institutionnelle). Cette différence est importante dans la mesure où si l’extrême droite institutionnelle semble conserver une ligne politique (plus ou moins) stable (ce que nous verrons ensuite, et ce malgré ses prétendues évolutions), l’extrême droite non institutionnelle se compose de mouvements très divers et parfois difficilement identifiables en tant que tels. Cette extrême droite « d’en bas » comprend une série de groupuscules ouvertement néo-nazis, catholiques intégristes, traditionalistes, nationalistes, régionalistes, ainsi que des groupes composites qui, tout en se revendiquant de certaines de ces positions, intègrent des problématiques beaucoup plus progressistes. Ils peuvent défendre des problématiques écologiques, altermondialistes, socialistes, anticapitalistes, ou encore libérales/libertaires. Ainsi, certain se prononcent en faveur de la relocalisation de la production, de la sortie du tout technologique, du nucléaire, du développement des énergies alternatives, des projets de fermes bios, collectives, des pratiques de gratuité, organisent des soupes populaires, s’opposent à la publicité, à la société marchande, défendent le développement du service public, l’auto-organisation, la diversité d’opinion et la liberté d’expression, le « ni de droite ni de gauche » des anarchistes, l’abolition de la dette, l’éviction de la technocratie, la fin des grands monopoles, la sortie du capitalisme, la réduction du temps de travail, le passage au socialisme, la lutte des classes. Il existe également des mouvements nationalistes féministes et nationalistes gays, même si ces postures demeurent marginales au sein de l’extrême droite. La liste est potentiellement infinie. Cette diversité implique que l’extrême droite peut faire acte de présence dans de nombreuses associations, de nombreux mouvements et réseaux de lutte sociale. Auraient-ils mis au point leur stratégie de lutte en s’inspirant des thèses sur l’ « Empire » et les « Multitudes » de Negri et Hardt ?!
2 Comment expliquer cette diversité ?
Ce phénomène de multiplicité tient d’une part dans l’effondrement du stalinisme et du mouvement ouvrier. Ainsi, de nombreux autoritaires de gauches ont rejoint les rangs de l’extrême droite (ce que l’on appelle dans le jargon les rouges-bruns) avec laquelle il existait un terreau commun, et qui pour bonne partie, à su de manière opportune se saisir de cette problématique ouvrière, et exploiter ses lacunes (racisme, xénophobie, stakhanovisme, machisme, mépris de la réflexion sous couvert d’anti-intellectualisme). Cette multiplicité tient d’autre part dans le développement du libéralisme culturel, et de ce que ce phénomène à produit au niveau de la construction des parcours de vie et des identités. Il n’y a plus de communautés aussi fortement intégratrices que par le passé, ce qui favorise une démarche d’exploration ouverte de la constellation sociale afin de donner du sens à son existence, de construire son identité, ses engagements. L’extrême droite se compose alors de personnes aux parcours composites et aux opinions très divers. On peut ainsi se demander ce qui constitue le fond commun de tous ces groupes, ce qui est caractéristique d’une posture d’extrême droite. Pour parvenir à s’en saisir, il est d’abord nécessaire de mettre à l’écart l’ensemble des revendications progressistes, et de se concentrer sur les problématiques et les solutions finales communément avancées par ces groupes.
3 Quelles similitudes ?
Le fond de ce qui constitue le positionnement de type extrême droite reste significativement le même, bien qu'il puisse se décliner sous des formes, des argumentaires, des justifications différentes. Ces thèmes sont ceux de la préférence nationale, la restauration de l’Etat fort, autoritaire et souverain, la restauration d’une morale intransigeante, l’usage prioritaire de la répression, notamment par l’usage de la force physique et armée, la lutte contre l’insécurité civile et l’immigration. A cela s’ajoute la thèse de la distinction ami/ennemi (K.Schmitt), c'est à dire cette tendance à désigner des ennemis intérieurs et extérieurs, comme boucs émissaires responsables de tous les maux de la société ; ainsi que l’usage d’une rhétorique républicaine populiste et contestataire voire révolutionnaire, en guise de stratégie de mobilisation, en vue de restaurer un république de petits propriétaires, contre la coalition d’une oligarchie de technocrates et de grands capitalistes prétendument apatrides. Certains groupes mobilisent à cet effet l’imaginaire du complot (judéo-maçonnique, illuminatis, lords anglais, etc.).
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III Les mutations des extrêmes droites contemporaines
1 Du déclin du racisme pur...
Le racisme, au sens premier du terme, ne constitue plus une posture fondamentale de l'extrême droite. Ce n'est dorénavant plus la question de la race, de la haine ou de la suprématie raciale qui est en jeu. En ce sens, le concept de racisme est devenu dans une certaine mesure inadapté pour développer une critique de l'extrême droite. Bien évidemment, l'extrême droite reste nationaliste, défend la préférence nationale, la fermeture des frontière, l'expulsion des sans papiers et des étrangers, la destitution de la nationalité française, et ainsi de suite. Elle reste xénophobe, marquée par la peur et la haine de l'étranger, mais pas pour des raisons spécifiquement raciales, car ce n'est pas la race qui constitue le socle de légitimité qu'elle tente d'apporter à cette posture. Cependant, la logique reste sensiblement la même sur le plan des faits et de la pratique.
2 ...à la théorie du choc des civilisations...
Ses outils de légitimation s'inspirent tout d'abord de la théorie du « choc des civilisation » (Samuel Huntington). Selon ce dernier, l'effondrement du mouvement ouvrier n'a pas marqué la fin de l'histoire, comme le défend Francis Fukuyama. Nous sommes depuis lors entrés dans une nouvelle ère caractérisée par le conflit entre les cultures, les civilisations. Cette théorie a notamment suscitée un grand intérêt suite aux attentats du 11 septembre 2001. Depuis, l'expression de « choc des civilisations » constitue un mot d'ordre et une source d'inspiration pour l'extrême droite, car elle lui permet, sans faire preuve de racisme, de s'inscrire dans une perspective politique identique, en déplaçant le problème de la question de la race à la question des différences culturelles, et à l'incompatibilité qu'elles sont censées contenir. Ainsi, ce discours permet de renforcer sa position sur la question de l'intégration, qui prend alors davantage la forme d'un impérialisme culturel exigeant une assimilation totale de la personne aux normes, valeurs et tradition de l'espace social qui l'accueille.
3 ... et à l'assimilation du langage technocratique
L'extrême droite se distingue continuellement par son hostilité marquée envers la technocratie, pourtant c'est au sein de la novlangue technocratique qu'elle a pu trouver l'argumentaire ultime en terme de légitimité pour défendre ses positions xénophobes. Qu'est ce que la novlangue technocratique ? Il s'agit d'une forme de discours gestionnaire, en apparence formel, objectif, scientifique, mathématique, logique, positiviste, historiquement et émotionnellement neutre, et qui, en éludant toute question de sentiments, de valeurs, d'idéologies, semble faire appel à la justesse de la raison quant aux exigences de la réalité. Cependant, ce discours en plus d'être extrêmement cynique, n'est pas totalement rationnel. Les exigences qu'il pose dissimulent toujours des présupposés indiscutables, tels que le contenu de la réalité dont il est question, ainsi qu'un ensemble d'intérêts particuliers et une volonté de défendre la conservation d'un certain ordre des choses. Par exemple, la logique capitaliste, (la « concurrence économique » ou l'« économie de marché », termes de la novlangue pour ne pas dire capitalisme), constitue, dans le discours technocratique des libéraux, un présupposé de départ indiscutable, à partir duquel tout doit être aménagé. Les populations migrantes sont ainsi considérées comme « surnuméraires ». Ils sont de trop par rapport à la quantité de travail disponible sur le territoire. Il est dès lors impossible de satisfaire une demande qui excèderait les capacités territoriales, conduirait à une phase de dérégulation, de chômage, et contraindrait les travailleurs à verser des prestations sociales pour les sans emplois. Ainsi, à travers le langage technocratique, la fermeture des frontières apparaît rationnelle.
4 La tendance à se donner une image propre
Dans la lignée du lissage sémantique apporté par le discours technocratique, les partis d’extrême droite européens, ainsi que certains mouvements agissant au sein de la société civile, ont adopté une attitude visant à se distancier de leurs images extrémistes. Cela se traduit par la mise à distance des groupements radicaux, des discours scandaleux et provocateurs, et le fait d’apparaître plus respectable, politiquement correcte, tout en adoptant une posture de justiciers héroïco-populaires, « anti-élitistes » « proche des préoccupations des gens ». Il s’agit en réalité d’une tournure beaucoup plus stratégique de la politique des partis d’extrême droite. A la marge depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les partis d’extrême droite se sont limités à un rôle d’agitation dans le but de se créer une base radicale solide et fidèle, et de conquérir une hégémonie culturelle au sein de la société. Cette stratégie se traduisait aussi dans le fait de tenter de rendre leurs thèmes de prédilection et leurs positions incontournables au sein du débat politique. L’illustration la plus significative de ce fait réside dans la manière dont le FN a réussi à faire de l’insécurité le thème principal de la présidentielle de 2002, au point que la gauche, sans véritable idée sur la question, n’a pu que concéder la nécessité d’une politique répressive. A présent, les partis d’extrême droite tentent leur chance à un autre niveau. Profitant d’une crise qui ne cesse de s’approfondir, ces partis se sentent en mesure de prendre le pouvoir, et font le pari du lissage idéologique afin de brasser large, de s’introduire dans les parlements, de gagner les présidentielles. Parallèlement, les groupuscules extrémistes continuent leur action pour constituer une base radicale plus massive, une sorte d’avant-garde de terrain utile dans le cadre de groupes action et de l’expérimentation des ouvertures et des limites de ce qui est socialement acceptable en ce qui concerne les positions que peut tenir le parti officiel. Il ne faut ainsi pas se leurrer à propos du prétendu détachement entre le parti « propre » et les petits groupes « sales ». Même s’il n’y a pas de communication directe entre le parti et les groupuscules, les passerelles et les ramifications, elles, existent bel et bien.
5 Redorer le blason en retournant les stigmates
La victimisation est une stratégie rhétorique bien connue de l’extrême droite Française. Nous avons tous entendu les complaintes de lepen père vis-à-vis de la censure médiatique ou de la question des 500 signatures nécessaires à la présidentielle. Cependant, l’extrême droite contemporaine qui se veut lavée de ses pêchés passés a trouvé de nouveau terrains de victimisation. Le premier est le « racisme anti-blanc ». Depuis leur apparente mise à distance du racisme pure au profit d’une conceptualisation culturaliste et d’un vocabulaire objectivant, certains groupements d’extrême droite tentent de devenir les chantres de l’anti-racisme, notamment en condamnant un prétendu « racisme anti-blanc » développé par les migrants africains et soutenu par la gauche. De plus, du fait de leur tentative de mise à distance vis-à-vis des aspects sombres de leur histoire, certains militants d’extrême droite (ouvertement ou non), semblent dénoncer un fascisme se dissimulant derrière l’antifascisme. Ils y perçoivent une forme de répression de la liberté d’expression trahissant les aspirations libertaires des mouvements antifascistes et dévoilant leur vrai visage de staliniens autoritaires, de « rouges bruns ».
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IV Pourquoi l’extrême droite constitue-t-elle une impasse et une imposture ?
1 La répression n’est pas une solution
Contre la criminalité, le viol, la pédophilie, et le meurtre, l’extrême droite adopte une posture d’impunité totale, et revendique des mesures comme la castration ou la restauration de la peine de mort. Il s’agit d’une forme de démagogie s’appuyant sur le pathos et tentant de diriger l’insatisfaction contre ceux qui sortent des schémas conventionnels et normatifs. Cette logique répressive et punitive correspond parfaitement avec la conception de l’Etat de l’extrême droite. Elle permet de désigner de nouveaux ennemis du peuple en contexte de crise et de diriger contre eux la vindicte populaire. En créant la « figure du monstre », en l’acceptant, on entre aussitôt dans une logique de catégorisation réifiante. L’autre n’est plus reconnu comme un Homme à part entière, mais uniquement sous l’angle de sa différence, de ce qui le sépare du reste de l’humanité. L’Homme étant considéré de manière naïve comme totalement libre et responsable, indépendamment du contexte dans lequel il évolue et de l’histoire qui le constitue, il ne reste plus qu’à le punir pour son écart de conduite. Cette réponse punitive envers la criminalité relève de la profonde bêtise humaine. On évite ainsi de s’interroger sur les processus psychosociaux générant ces formes de destruction et la manière dont il faudrait agir pour que ces processus deviennent inopérants. On omet de reconnaître qu’il ne s’agit pas, par exemple, d’une question de prédisposition génétique, mais que quelque chose de présent au sein de la dynamique interne de la société produit ces manifestations de comportements destructeurs, et que c’est cette même société qui, au lieu de rectifier ses défaillances à la source, nie la responsabilité propre à sa dynamique en réprimant purement et simplement ces manifestations. Ainsi, le problème n’étant pas résolu à sa source, la dynamique sociale continue de reproduire ces phénomènes puis de les réprimer. A l’intensification de ces phénomènes, elle répond par l’intensification de sa répression. Ceci arrange bien l’extrême droite, car ainsi, l’Etat autoritaire et répressif se trouve perpétuellement légitimité dans son existence. Plus le crime perdure, plus il y a besoin d’un Etat répressif, et plus l’Homme opprimé est amené à commettre des crimes, et plus il y a besoin d’un Etat répressif. Il se génère toujours plus d’ennemis intérieurs à combattre, ce qui arrange bien l’extrême droite qui trouve ainsi un marché inépuisable à travers elle puise sa légitimité à prétendre à l’exercice du pouvoir. Au bout du compte, il se pourrait très bien, si la répression s’intensifie, que la criminalité diminue quelque peu, mais cela se ferait alors au prix d’une augmentation de la clientèle psychiatrique ou du taux de suicide. La manifestation du problème aurait été réprimée, mais le problème de fond existerait toujours, sous des formes différentes, d’autodestruction plutôt que de destruction de l’autre. Pour autant, c’est oublier un peu vite d’une part, que de nombre « délits » sont directement liés à la structure inégalitaire que produit la société capitaliste, à la vulnérabilité que celle-ci implique sur le plan socioéconomique, et d’autre part, en ce qui concerne les « déviances » non immédiatement liées à la société capitaliste, que l’on ne choisit pas de devenir un meurtrier, un violeur, un pédophile. Il s’agit d’un processus à long terme, qui commence dans la structuration de la personnalité en interaction avec d’autres personnes, dans certaines situations. Un processus composé de souffrances et de frustrations. Généralement, le passage à l’acte n’est pas le fruit d’une décision, mais l’affirmation spontanée, et parfois éphémère, chez une personne d’un désir plus fort que celui d’intégration, une barrière franchie dont il est difficile de revenir. Nous ne connaissons que la répression comme réponse à la criminalité. Elle constitue la seule réponse qu’a trouvée la société répressive pour faire face à ses propres monstruosités, car cette société est incapable de s’interroger sur ses fondements sans s’abolir elle-même en tant que société répressive. Afin de se sortir de la nécessité répressive, il faudrait faire connaître et développer les recherches et les expérimentations sur les manières alternatives de faire face à la criminalité. La répression perdurerait un temps, mais elle serait progressivement supplantée par de nouvelles manières, plus intelligentes, de faire face à l’émergence de nos tendances sociales destructrices.
2 L’impasse d’une démondialisation de droite
Contre le développement de la mondialisation économique, l’extrême droite revendique une démondialisation. Elle souhaite une régression du capitalisme à l’échelle nationale, une sorte de relocalisation de l’économie à l’échelle locale sur la base utopique d’une république de petits propriétaires dans le cadre d’une concurrence saine. Cependant, la concurrence économique ne peut être saine. Le fait que cette concurrence économique implique directement un rapport physique à l’existence, constitue une question de survie, suppose qu’elle soit, en dernière instance, nécessairement étrangère à toute forme de morale. Il en découle une forme de libéralisme conduisant à la dissolution des règles qui seraient posées par une instance (l’Etat, l’Union Européenne), une logique (le social, l’écologie) qui lui serait étrangère. De surcroît, la dynamique de la concurrence économique, qui pousse les acteurs à s’unir pour faire face aux autres, ou les dépasser, entraîne la création de monopoles ou d’oligopoles. Ainsi, la logique de l’extrême droite n’aboutirait qu’à une situation de régression temporaire du capitalisme, et non à une forme d’anticapitalisme.
3 Les intérêts particuliers des élites d’extrême droite : ni antilibérale, ni anticapitaliste, ni socialiste, ni écologiste
Il est important de comprendre qui sont les chefs de file de l’extrême droite et quels sont leurs intérêts pour comprendre les objectifs de leurs partis. L’extrême droite ne sert pas les intérêts du peuple, de la nation ou autre. Ceci relève du mensonge ou d’une manière extrêmement distordue de concevoir l’intérêt des gens. Ce que défend l’extrême droite c’est la reconquête de la souveraineté d’une bourgeoisie nationale de plus en plus lésée par le capitalisme international, et de surcroît jalouse de ne pas être de cette élite économique transnationale. Ainsi, l’extrême droite n’est pas anticapitaliste. Elle ne s’oppose pas à l’accumulation privée des moyens de production, du moment que ce sont des bourgeois nationaux de souche qui les possèdent. Elle ne s’oppose pas non plus au libéralisme, du moment que la liberté concurrentielle va en la faveur des agents économiques nationaux. Elle se soucie de la misère que provoque le libéralisme sur la nation seulement parce que celle-ci touche la bourgeoisie nationale. Son souci du sort du peuple ne se manifeste que dans la mesure où l’insatisfaction populaire constitue une opportunité pour gagner le peuple à sa cause afin de prendre le pouvoir. En revanche, elle se fiche que le libéralisme provoque de la misère ailleurs. Sa logique sur le plan économique n’est pas de sortir de l’économie mondiale mais de devenir sa nouvelle place forte. En cela, l’extrême droite ne s’oppose pas à la logique de prédation capitaliste, et n’est pas plus écologiste que n’importe quel parti politique de pouvoir visant le maintient d’une économie de marché. Il est ainsi nécessaire de ne pas confondre l’Ecofascisme, le totalitarisme vert à la H.Jonas, avec le discours vaguement écologique de l’extrême droite. Si ces deux discours partagent un certain fétichisme de la nature et une forme d’antihumanisme vitaliste, le but du totalitarisme vert est une décroissance technologique radicale, basée sur un scepticisme exacerbé à l’égard de toute innovation, tandis que l’extrême droite institutionnelle ne s’occupe que des petits propriétaires terriens lésés par l’Europe, et quelque fois des énergies renouvelables pour tenter de séduire un électorat écologiste. Mais le moteur de l’extrême droite étant l’économie de marché, elle est nécessairement favorable à l’innovation technologique, l’économie extensive, et ne se préoccupe guère du sort de la planète, des populations humaines et des autres espèces vivantes.
4 La posture la plus adaptée pour mener une politique de rigueur
Du fait de son rapport au travail et à l’autorité, de sa conception de l’Etat, de la république et de la nation, l’extrême droite apparaît comme la force politique la plus adaptée pour imposer une politique de rigueur drastique. A travers toutes ces notions, l’extrême droite est porteuse de la notion de sacrifice. Le sacrifice de soi ou de l’autre pour le bien de la communauté constitue un des piliers de son idéologie. Dans le travail, cela se manifeste par l’ardeur à la tâche et l’acceptation de conditions extrêmement difficiles, voire dégradantes, l’abandon du temps libre, et le renvoi des étrangers. Au niveau de l’autorité, cela prend la forme du renoncement au droit et à la capacité de contestation. En ce qui concerne l’Etat, cela prend la forme de l’exigence d’abandon d’un certain nombre de libertés et de la désignation d’ennemis intérieurs et extérieurs à sacrifier pour améliorer la qualité de la vie. Au niveau de la république et de la nation, cela prend la forme du renoncement à la singularité et au jugement critique, la capacité de définir l’identité et le jugement de ce qui est bon et mauvais étant remis à une instance supérieur, déconnectée des gens, et s’imposant à eux. Mais la république et la nation (l’intérêt général ou national) ne sont que des fétiches spectaculaires agités par lequel on tente de dissoudre les intérêts contradictoires s’exprimant sur un territoire au profit des classes sociales qui y sont dominantes. Une fois l’idéologie nationaliste intégrée, ce sont les gens eux même qui vont désigner comme responsables des maux de la société ceux qui n’adhèrent pas théoriquement et pratiquement à cette idéologie. Le capitalisme libéral national continuera à produire de la misère du fait de sa dynamique concurrentielle, mais la dynamique qui génère cette misère ne sera jamais mise en cause, et ceux qui la défendent et en profitent resteront bien à l’abri en pointant du doigt en compagnie de leurs larbins les mauvais patriotes pas assez volontaires, trop hédonistes ou trop faibles pour tenir la concurrence et permettre à la nation de se développer, et qui seront alors réprimés sans ménagement. Ainsi, l’idée de nation ou de république n’efface pas la misère. Mais en n’interrogeant pas la dynamique interne qui la génère dans le cadre de l’économie concurrentielle, elle en élude volontairement la cause réelle. Elle permet en revanche de disposer la population à une attitude hostile, la préparant par exemple à la guerre, pour aller défendre sous couverts des intérêts de la nation, les intérêts des élites nationales. L’extrême droite ne constitue par conséquent pas une solution face aux crises économiques, mais trouve dans la crise économique une opportunité de prendre le pouvoir et de réaliser ses ambitions. De plus, elle n’aura aucune difficulté à mener des plans de rigueur du fait de son rapport totalement décomplexé à l’autorité et à l’usage de la force armée à des fins répressives.
5 L’extrême droite à-t-elle une chance de devenir le centre de l’économie mondiale ?
A l’échelle du seul Etat nation, il est peu probable que l’extrême droite réussisse à devenir une place forte de l’économie mondiale. Poursuivre les intérêts d’une nation seule, mettre en place des politiques protectionnistes, conduirait à animer l’hostilité des autres Etats et aboutirait à une forme d’enfermement de la nation sur elle-même, au risque d’approfondissement de la misère matérielle. Pour éviter cette crise, il devra être en capacité de se fournir les ressources nécessaires au fonctionnement du système technologique, ressources généralement absentes de son territoire. Pour disposer de ces ressources, l’Etat nation devra faire face à une concurrence internationale accrue, d’autant plus s’il représente une menace pour les autres Etats, qui pourront se coaliser pour offrir des prix bien avantageux pour obtenir ces ressources. La seule solution de l’Etat nation sera alors l’annexion par la guerre des territoires bénéficiant des ressources qu’il convoite. Il n’est ainsi pas étonnant que l’extrême droite défende les politiques de développement de l’armement, les recherches militaires et souhaite rétablir le service militaire. Dans cette tentative, il devra cependant faire face à l’opposition de forces armées bien supérieures aux siennes et sera inéluctablement perdant. Ainsi, contrairement à la propagande de certains nationalistes, il n’existe aucune issue à la crise à l’échelle nationale. Soit l’extrême droite ne sera que l’idiot utile du capitalisme qui ne sera présent que temporairement pour mettre en place des politiques de rigueur, soi elle sera l’agent d’une perspective d’effondrement que provoquerait l’encerclement capitaliste. La seule issue pour l’extrême droite serait de prendre le pouvoir dans tous les Etats et de créer des coalitions à l’échelle continentale. C’est une stratégie qui semble se dessiner lorsque l’on prête attention à certaines positions de l’extrême droite en ce qui concerne l’Europe, et surtout au fait que les extrêmes droites européennes font preuve d’une certaine coopération stratégique, et sont de plus en plus présents dans les parlements. Si l’extrême droite parvient à cette prise de pouvoir continentale, et à mettre en place une forme de coordination temporelle et politique, elle pourrait se sentir en mesure de contester la suprématie des blocs américains et chinois sur le plan économique (et culturel). Cette issue, heureusement, n’est pas donnée. Pour cela, l’extrême droite devra gérer les intérêts particuliers de chaque territoire et veiller à ce que ceux-ci ne soient pas lésés par cette coalition, ne s’affrontent pas entre eux. Cependant, cette montée de l’extrême droite se ferait au prix de nombreux sacrifices sociaux, et, n’excluant pas la possibilité de guerres internationales ou intercontinentales, au prix de nombreux sacrifices humains.
6 l’extrême droite populo « progressiste »: manipulateurs ou manipulés ?
Il est évident que les groupuscules d’extrême droite « progressistes » jouent le jeu d’une dynamique qui les dépasse complètement. Les revendications progressistes, surtout les plus radicales, n’aboutiront pas dans le cadre d’une perspective de coalition avec des partis et groupuscules véritablement de droite. De manière générale, et d’autant plus en prenant en compte la structure idéologique des partis d’extrême droite contemporaine, seules les postures les plus droitières, moralisatrices et répressives prendront de l’effectivité, tandis que le postures les plus gauchistes seront mises à la marge. Elles seront évacuées, abandonnées, ou éventuellement relégués au rang d’utopies, de perspectives non valables immédiatement, mais que l’on fera miroiter dans le cadre d’une éventuelle possibilité d’un futur toujours plus éloigné. Dans ce cadre, l’extrême droite conservera ses forces « gauchistes » comme idiots utiles servant ses intérêts. Il est certainement des personnes parmi ces « gauchistes de droite » qui agissent en toute bonne foi, mais aussi un bon nombre de rabatteurs opportunistes faisant le jeu de l’extrême droite authentique. Cependant, le fait que certains agissent de bonne foi et que d’autres agissent par opportunisme n’est pas déterminant du point de vue politique. Ce qui est déterminant sur le plan politique, ce ne sont pas les différences entre groupuscules, mais le commun d’une position et les intentions spécifiques des courants dominants en sein. Pour que cette différence devienne déterminante, il faudrait que les « gauchistes » expriment une dissociation claire vis-à-vis de l’extrême droite. Ceci impliquerait alors d’adopter un point de vue de classes, de défendre le prolétariat, la classe ouvrière, et d’abandonner ou d’opérer une reconceptualisation des concepts de peuple, de nation, de république, qui dissocierait clairement toute élite économique de la base sociale des travailleurs. Si un tel retournement s’opérait, nous n’aurions plus affaire à des groupuscules d’extrême droite, mais à des autoritaristes de gauche, des sortes de post-staliniens teintés d’un vernis alternatif. Ce ne serait pas gagné mais l’avancée serait énorme.
7 Réception du discours de l’extrême droite et consentement
Jusqu’ici, nous nous sommes intéressés aux émetteurs du discours d’extrême droite et à ce que ce discours impliquait en termes de présupposés et de perspectives d’action. A présent nous allons nous intéresser à la réception de ce discours. Pour cela, il est d’abord nécessaire de faire un détour par les bases élémentaires des théories du langage et de la communication. Les termes énoncés sont généralement investis par celui qui les énonce d’un ensemble de conceptions particulières se rapportant à une certaine idéologie, mais aussi à une manière d’envisager un certain nombre de réalités concrètes, surtout lorsqu’il s’agit de politique. Cependant, dans la médiation, les concepts sont pour ainsi dire vidés de leurs sens, ce ne sont que des fétiches. Ils le sont parce que, en fonction du processus de construction de la pensée de chaque personne, ils peuvent prendre des sens très différents. Ainsi, nous ne comprenons pas la même chose lorsque l’on va parler de république, de démocratie, de liberté, d’autonomie, de solidarité, etc. La liberté peut être le fait de jouer le jeu de la concurrence économique ou bien le fait de vivre sans se plier à cette contrainte, elle peut être le fait de travailler plus pour gagner plus ou de travailler moins sans perdre quoi que ce soit, elle peut concerner la pensée, les meurs, l’économie, l’écologie. Il n’existe pas de consensus prédéfini sur l’objet et l’implication du concept, c’est en ce sens que dans la médiation, il est à la fois vide de sens, mais aussi terrain de confrontation pour en définir le sens. Cependant, cette seconde étape nécessite, d’abord, de reconnaître que nous n’entendons pas la même chose lorsque l’on parle, par exemple, de liberté. Ignorer ce fait implique la projection de sa propre subjectivité sur le discours des autres, la non prise en compte de la spécificité de l’expérience de celui qui parle, tout autant que celle de celui qui écoute. User de cette incertitude, de cette confusion autour du concept constitue une attitude caractéristique du discours politicien. Ce procédé implique la possibilité de manipulation (cependant relative et temporaire) de l’opinion. Il s’agit ainsi d’un procédé très fréquent utilisé par l’extrême droite. Les concepts de nation, de république, de France, de liberté, de social, de solidarité, ou encore les discours sur la démondialisation, la critique du capitalisme ou la technocratie, sont énoncés à partir d’une position particulière, et ne correspondent pas nécessairement aux attentes de celui qui, en les entendant, y perçoit l’espoir que ses désirs puissent se réaliser. De cette manière, l’extrême droite (tout comme les autres politiciens) parvient à produite une forme de consentement lui permettant de gagner une légitimité à exercer le pouvoir. Cependant, il ne faut pas s’y tromper, ce consentement ne signifie pas une adhésion idéologique totale envers un projet de société. On touche ici à la grande limite d’une politique de partis proposant chacun une sorte de « politique totale » et cristallisée, qui s’oppose à la multiplicité des compositions de points de vue existant dans la société. L’adhésion n’est donc jamais totale, mais davantage soumise aux aspirations qualitativement et intensivement variables d’une personne. Elle se détermine en fonction de l’histoire personnelle, des événements récemment survenus, de préoccupations et d’intérêts ponctuels d’une personne, de ce à quoi elle va, à un moment donné, accorder plus ou moins d’importance. Le consentement envers le nazisme n’a jamais été le seul fait d’adhérer à la volonté de créer une race supérieure et glorieuse, de se lancer dans une politique de conquête, d’élimination et de soumission des autres races. Tout ceci n’était que du folklore afin de construire une avant-garde radicale prête à tout pour prendre le pouvoir. Le consentement au nazisme, c’était aussi le fait du fonctionnaire ou petit commerçant allemand subissant la crise et heureux de récupérer la place laissée vacante par son homologue juif récemment renvoyé ou exproprié. L’extrême droite actuelle table sur le même type de phénomène, elle tente de gagner l’adhésion de l’ouvrier désabusé du PC risquant le licenciement pour cause de délocalisation, de la famille bien sage vivant en banlieue et ayant peur de la victimisation, du petit paysan victime de l’agriculture intensive et sceptique vis-à-vis des bobos écologistes, de la femme qui à peur de sortir de chez elle à cause du violeur exhibitionniste, qui a peur pour ses enfants à cause du pédophile qui traîne à la sortie des écoles, du jeune révolté trouvant la politique ringarde et inefficace, et ainsi de suite. Que les jeunes soit athée, aiment le rock’n’roll, le porno, les tags et les kebabs, que les familles soient friandes d’Hollywood et de produits high-tech fabriqués en chine et de la malbouffe, que les paysans soient braconniers, que les ouvrier soient par ailleurs autogestionnaire et anti-bourgeois, etc. n’importe pas par ailleurs. Ce qui compte pour l’extrême droite, c’est de brasser le plus large possible afin de prendre le pouvoir et de mener son programme de fond. Pour cela, elle n’a donc pas besoin d’une adhésion idéologique totale, mais seulement d’un consentement partiel et ponctuel.
8 Le sexisme et l’homophobie
L’extrême droite est composée de courants et produits des discours très divers dont certains apparaissent antisexistes. L’exemple le plus flagrant étant le discours de soutien de marine lepen envers Nafissatou Diallo, contre un DSK représentant les penchants les plus atroces et les plus répugnants de la domination masculine. L’extrême droite n’en reste pas moins, pour sa large majorité véritablement sexiste. De surcroît, ce sexisme ne concerne pas seulement le rôle des femmes, mais aussi celui des hommes. Il relève d’une forme d’essentialisation biologique des genres et des rôles sociaux. Il s’agit d’un sexisme qui tente d’apparaître sous un jour positif. Ainsi, on va défendre les femmes battues, les femmes qui auraient des problèmes au travail à cause de leur maternité, qui désireraient rester au foyer, les mères célibataires devant élever leurs enfants, les femmes agressées et violées. Mais, à aucun moment, on envisage que des hommes puissent être battus, élever leurs enfants seuls, désirer rester au foyer, se faire agresser ou violer, où encore désirer également des congés parentaux pour s’occuper de leurs enfants. Il est considéré comme normal que l’homme soit fort, puisse se défendre seul, travaille pour nourrir la famille, il est supposé normal que la femme soit faible, aie besoin de protection, puisse ne pas travailler pour s’occuper des enfants. Ceci est d’une part biologiquement et anthropologiquement faux, et d’autre part, constitue également une restriction du champ de la liberté. Ne préfèrerions nous pas, par exemple, que chacun des parents travaille moins et soit autant présent, attentif à leurs enfants ? L’homophobie est également une de ces composantes de la pensée traditionaliste et nationaliste de l’extrême droite, qui rejoint, dans une certaine mesure, celle du sexisme. Elle la rejoint parce que dans cette conception, la famille est une composante centrale de la nation. La famille traditionnelle est l’endroit où l’on apprend la répartition sexuée des rôles et le respect de l’autorité patriarcale. Elle est le lieu ou naissent et grandissent les futurs patriotes. Ainsi, les arguments énoncés contre l’homosexualité sont dirigés vers le fait que sa finalité n’est pas la procréation. D’où le refus du mariage homosexuel, car, dans la logique traditionaliste, pourquoi des homosexuels auraient ils la possibilité de se marier s’ils ne comptent pas procréer ? On oublie ainsi que les couples hétérosexuels ne comptent pas tous procréer, même lorsqu’ils se marient. On omet également la possibilité de la fécondation par assistance ou l’adoption. La raison est simple. Comment un enfant pourrait-il apprendre le rôle social correspondant à son sexe si les parents prennent alternativement le rôle de l’homme et de la femme ? L’homosexualité est ainsi tolérée, mais à condition qu’elle ne donne pas lieu à des situations analogues à celles de l’hétérosexualité. A croire que l’extrême droite ne craigne le développement d’une société gay et lesbienne qui marquerait la fin de l’humanité. Ceci relève pourtant de l’ineptie. D’une part, même si on assiste à un développement de la bisexualité, ceci n’implique pas que chaque sexe ne soit à l’avenir attiré l’un par l’autre, et, même si cela était le cas, il existe malgré tout des moyens de procréation qui n’impliquent pas un rapport direct entre l’homme et la femme. Enfin, la société évoluera sur le plan de la sexualité comme elle le voudra, et cela ne marquera pas nécessairement la fin de l’espèce.
9 Le choc des civilisations
L’usage par l’extrême droite de la thèse du « choc des civilisations » est caractéristique d’un hermétisme culturel totalement infondé et irrationnel en terme d’évolution au regard de l’Histoire. La civilisation européenne s’est constituée notamment grâce aux échanges avec les autres civilisations. Des civilisations arabes, nous avons appris sur la médecine et adopté le système numérique, des civilisations asiatiques, de nombreuses connaissances sur l’anatomie et les techniques thérapeutiques. Nous avons également découvert de nombreux aliments, dont certains ne sont pas qu’exotiques et mangés de manière occasionnelle, mais font maintenant partie de notre quotidien. Mais, bien plus important, le rapport à d’autres cultures est une occasion de nous interroger sur nous-mêmes, nos manières de percevoir le monde, de trouver des réponses qui nous apparaissent insolubles à partir de nos prismes culturels. Les nationalistes, régionalistes, traditionalistes voudraient bénéficier des progrès des technosciences, ou des biens exotiques, mais ils ne voudraient surtout pas que leurs cadres de pensée et leurs modes de vie ne soient mis en cause. Ils craignent qu’à travers cela, nous soyons totalement assujettis à d’autres cultures, par exemple, la culture maghrébine ou asiatique. Cette peur est symptomatique d’une conception impérialiste des rapports interculturels. L’occident colonisateur et ethnocentriste, projette sur les autres cultures sa propre subjectivité, ses propres réflexes et catégories de pensée, et craint ainsi, dans une période de faiblesse, que les autres civilisations ne lui réservent le même sort. La xénophobie de l’extrême droite n’est donc que le reflet de son egophobie. En se fermant de cette manière aux autres cultures, la civilisation ne peut que mourir sur elle-même ou se lancer dans la conquête impérialiste. Mais dans les deux cas, la culture ne résiste jamais aux phénomènes d’évolution. Elle ne peut rester pure et intacte de toute éternité, d’autant plus qu’elle ne la jamais été. Ce phénomène est d’autant plus porteur d’espérance en ces temps de crise des rapports entre les Hommes et avec la Nature. Il se peut que nous trouvions des pistes de réponses à ces problèmes grâce à l’inspiration que pourrait nous apporter le contact avec les cultures Africaines, Sud-Américaines et Océaniennes.
10 L’extrême droite et l’absolutisation de la technocratie
Nous avons précédemment expliqué que la novlangue se caractérise par la production d’énoncés anhistoriques, symboliquement neutre de valeurs et vides sur le plan affectif, La novlangue est le langage de la technocratie, de la croyance (ou du mensonge) selon laquelle la technicité pourrait se substituer à une réflexion éthico-politique au sein de la société qui mettrait en jeu nos valeurs et nos sentiments dans la définition de ce qui est juste, l’idée selon laquelle la réflexion éthico-politique constituerait un frein à la bonne marche du système. En réalité, derrière la novlangue technocratique se dissimule toujours les présupposés, les croyances et les intérêts des classes dominantes qui s’en servent. Ce type de langage permet ainsi de faire apparaître, par exemple, la fermeture des frontières comme une logique objectivement rationnelle en fonction de la saturation du « marché de l’emploi ». Or ce discours est limité. Dans cette logique instrumentale, ni les effets de la concurrence à toujours exclure des gens du processus de production, ni la répartition sociale du travail ne sont interrogées. Ne pas mettre en cause la logique économique, et prendre en compte les modifications sociales que cela suppose, mais trouver des solutions, parfois même parmi les plus inhumaines, afin de permettre aux acteurs économiques de capitaliser encore, constitue le trait le plus caractéristique d'une posture « de droite ». Ceci reflète exactement ce qu'est la logique des Sarkozy, Hortefeux, Besson, celle du Front National, et explique en partie le fait que les socio-libéraux du PS éprouvent des difficultés à ne pas y céder également. Le lien entre la raison instrumentale et les politiques xénophobes a été démontré depuis longtemps. Il s’agit du phénomène de « réification », de considération du vivant en tant que quantité de choses, dépossédées de ce qui les constitue qualitativement. Celui-ci s’exprime dans la négation de l'autre (et de soi) en tant qu'Homme. La « réification », sur le plan de la subjectivité, ne constitue pas une constante, mais un phénomène soumis à une forme de « variation continue ». Elle intervient dans les situations particulières faisant appel à la raison instrumentale. Or la raison instrumentale est le type de rationalité qui est mise en œuvre dans le cadre de dispositifs ou ce qui est déterminant pour le pouvoir, la domination, entre en jeu. C’est à cet instant que l’Humanité (le fait que l’autre aussi éprouve des sentiments, est porteur de valeur) est niée autant pour celui qui agit que pour celui qui subit l’action. Le manager capitaliste ni les salariés en tant que personnes qui sont elles aussi contrainte à travailler pour assurer leur survie, lorsqu'il les vire lors de plans de restructuration d'entreprise. Le fonctionnaire d'Etat nie le sans-papier en tant que personne, lorsqu'il participe directement ou non à son expulsion. Le nationaliste xénophobe nie l'étranger en tant que personne avec laquelle il pourrait partager du commun. C’est dans les dispositifs produits par le pouvoir que cette rationalité s’exprime sur le plan politique, et en premier lieu, dans le travail « fonctionnel », en tant qu’ensemble d’opérations formelles. Les fonctionnaires nazis n’étaient pas (tous) des monstres inhumains, mais le dispositif travail (nécessité d’appliquer le règlement, méconnaissance de l’ensemble du processus, déresponsabilisation quant aux conséquences néfastes des finalités de l’action) contribuait à les placer dans une situation où l’instrumentalité prenait le pas sur la reconnaissance d’un commun avec l’autre. La logique technicienne entraîne la mise en veille temporaire du sentiment d’humanité. En ce sens, l'extrême droite, nationaliste, xénophobe, et tant hostile à la technocratie, représente paradoxalement ce qui est le plus en phase avec le cynisme de la logique technocrate vis-à-vis de l’Homme.
11 l’extrême droite et les théories du complot contemporaines
Le lien entre l’extrême droite et la majorité des théories du complot est en fait simple à saisir. Tout d’abord, il s’agit de diviser le monde en deux catégories d’hommes dans le monde : les bons et les méchants, les amis et les ennemis. Les bons sont purs mais opprimés, les méchants sont impurs et sont les oppresseurs. La figure de l’Ennemi consiste généralement en une communauté ethnique, religieuse ou spirituelle, ou simplement des groupes sociaux, généralement oligarchiques, qui conspire à organiser la misère et la domination des peuples à son propre profit. A cet Ennemi doit s’opposer le peuple, la nation, la république, qui aura pour mission de restaurer sa souveraineté sur le territoire. Il s’agit en outre d’une conception de la révolte et de la lutte sociale qui s’appuie bien souvent sur l’imaginaire de la révolution Française de 1789, ou Américaine de 1776, comme illustration de soulèvement contre une tyrannie oppressive. Cependant, les révolutions de 1776 et 1989 étaient des révolutions en ce sens qu’elles permettaient de concrétiser et d’amplifier un ensemble de changements sociaux émergeants, face à une domination constituant un frein à ces changements. C’était des révolutions progressistes. La logique révolutionnaire développée par les théoriciens du complot en question et par l’extrême droite est tout l’inverse. Elle est réactionnaire et conservatrice. Elle ne cherche qu’à préserver ou restaurer un passé « mythique », idéalisé, et par ce moyen le pouvoir d’une petite élite déclassée. L’emploi du terme « peuple » est pour le moins ambigu et loin d’être neutre. On ne sait pas de qui il s’agit, sa posture sociale, les valeurs et les intérêts qu’il défend, les pratiques qu’il adopte et les moyens qu’il se donne. Ce terme fait bien plus écho au sein d’une structure affective au sein de laquelle a été incorporée dans la famille et à l’école l’amour d’une certaine conception de la république et de la démocratie. Il appelle à quelque chose de positif, de bon, de rassurant. Mais par absence de réflexion sur sa composition sociale et ses intérêts particuliers, on tombe dans la mystification d’une société unie, dans laquelle les rapports de pouvoir et les conflits sociaux latents sont passés sous silence au profit d’une unité métaphysique contre un ennemi venant d’ailleurs. C’est à partir de ce manichéisme que se développe la manipulation, la démagogique et le populisme des théoriciens du complot et de l’extrême droite. En effet, si les intérêts d’une très grande partie de la population divergent de ceux des élites économiques transnationales, ils ne convergent certainement pas non plus avec les aspirations à la domination politique, sociale, économique, culturelle des multimillionnaires lepen ou de leurs valets et chiens de garde petits bourgeois, ni ceux de gourous fortunés à l’ego en mal de pouvoir et de reconnaissance.
12 L’antifascisme
La question de l’antifascisme est en réalité plus complexe qu’un vulgaire tour de rhétorique, pouvant se résumer au fait que les libertaires désirant supprimer la liberté d’expression seraient en réalité des autoritaires répressifs crypto-staliniens (et milice du capital de surcroît aux yeux de ceux qui se targuent de défendre des postures progressistes) se donnant bonne conscience. L’extrême droite, en défendant la liberté d’expression, défend surtout sa propre liberté d’expression, notamment celle d’exprimer le fait d’abolir certaines libertés d’expression, ou libertés d’agir, ou encore d’exprimer des propos cyniques, voire négationnistes. Face à cela, certains intellectuels comme Chomsky estiment qu’il est nécessaire que ces propos soient exprimés, afin qu’ils soient apparents et puissent être ouvertement combattus par la contre argumentation. Ces penseurs nourrissent l’espoir qu’a travers la communication, la vérité historique et la raison philanthrope triompheront de la barbarie. Cependant, en défendant l’idée (ou l’espoir ?) d’une nature humaine nécessairement bonne, ils sous estiment ici la puissance de séduction du fascisme, de ses énoncés simples, de ses réponses faciles, de sa manière de s’appuyer sur la structure répressive de la société, de pénétrer la sensibilité, de s’inscrire dans des pensée et d’activer des comportements réflexes générés socialement au sein d’une société historiquement marquée par la répression. La discussion, l’argumentation, et donc l’expression des postures contradictoires constituent effectivement des étapes nécessaires dans la lutte contre le fascisme et les points de résurgence à travers lesquels il pourrait se reconstituer (nationalisme, traditionalisme, populisme, xénophobie, racisme). Cependant, le fascisme constitue une menace bien trop grande pour prendre le risque que ce phénomène n’existe de nouveau. Ainsi, d’autres intellectuels comme Marcuse plaidaient, contre la fausse tolérance accordée par le pouvoir politique aux postures « extrêmes » (éloignées du statu quo gauche/droite) dans l’accès à l’arène politique institutionnelle, allant nécessairement en défaveur de la gauche, pour une intolérance et une répression pure et simple du fascisme. La question du fascisme et de l’antifascisme ne se pose pas en termes de liberté d’expression en soi, sans s’interroger sur le bien fondé ou non de ce qu’exprime une position politique. L’antifascisme constitue en ce sens un garde fou, une garantie que l’horreur et la barbarie ne se reproduisent plus. L’argumentation est nécessaire en première instance, cependant, il est des situations ou la discussion vire au débat, se transforme en une suite d’arguments sans fin ou aucun des interlocuteurs ne parvient à prendre l’ascendant sur l’autre, car ce qui détermine leur posture n’est pas la pertinence de l’argument, mais la sensibilité à l’égard du monde et des autres. Il est aussi des situations ou le fascisme ne laisse pas d’autre choix que l’affrontement frontal. A ce moment, et en fonction des conséquences dramatiques d’une possible résurgence du fascisme, il devient nécessaire de le réprimer et de l’interdire (d’autant plus que les fascistes, une fois au pouvoir, ne s’embarrassent pas de la liberté d’expression pour faire taire leurs opposants). Il pourrait en être de même en ce qui concerne les tendances stalinistes de certaines postures de gauche, qui dans un sens, concernent largement la problématique anti-fasciste, en tant que lutte contre le « fascisme rouge ». A ce moment là, il convient, dans les discours de distinguer ce qui relève de la pure barbarie de ce qui relève du conflit social et politique.
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V Quelles réponses apporter à l’extrême droite ?
1 l’extrême droite ne peut être combattue à partir d’une posture « anti »
L’extrême droite ne pourra être combattue à partir d’une simple posture négative, une posture « anti ». Cette critique ne pourra être menée, devenir véritablement consistante et effective, qu’a partir du moment où elle s’interrogera sur le fondement de ce qui constitue les postures d’extrême droite et sur la manière dont ces postures s’articulent avec la dynamique sociale des sociétés capitalistes. Elle devra distinguer ce qui, d’une part, relève de la dimension économique, ce qui fonde la différence gauche/droite, et ce qui, d’autre part, relève du phénomène autoritaire. C’est là le véritable enjeu de cette critique, et la source de dissensions possibles au sein d’une lutte qui place parfois côte à côte des libéraux humanistes, des sociaux libéraux, des communistes autoritaires et des anarchistes libertaires. La réponse ne sera pas nécessairement à trouver en première instance sur le plan d’une vérité philosophique, mais certainement davantage à partir d’une réflexion sociohistorique et anthropologique sur les processus constituants de la civilisation occidentale, sur la dynamique sociale de ses modèles culturels et économiques, et sur l’articulation entre le capital et les phénomènes d’autorité.
2 De la critique de la réification à l’avènement de la reconnaissance
La théorie de la « réification », qui a été précédemment évoquée, semble constituer une des pistes permettant de saisir ce que pourrait être un des points de jonction possible entre l’accumulation du capital et le phénomène autoritaire. Réduire le monde à une quantité de choses qui nous sont étrangères, ne pas les comprendre, les craindre, et vouloir en devenir maître constitue un trait symptomatique de la culture occidentale, que l’on retrouve autant dans le fascisme que dans le stalinisme ou la logique capitaliste. La négation de l’être en tant qu’être et sa réduction a l’état de chose qu’il faudrait dominer ou détruire constitue aussi, au fond, une posture produisant un sentiment d’indignation. Ce sentiment constitue ainsi la principale raison qui pousse de nombreuses personnes à se mobiliser contre l’extrême droite, mais aussi contre le capitalisme ou encore jadis contre le stalinisme. Comme nous l’avons affirmé précédemment, cette lutte ne pourra aboutir que par l’affirmation d’une posture positive à partir de laquelle cette réalité pourrait être combattue et non simplement dénoncée ou repoussée. Si le refus de la négation de l’être en tant qu’être constitue véritablement ce que nous combattons et qui nous pousse à nous rencontrer, l’idée de « reconnaissance » de l’être en tant qu’être constituerait ainsi le point de départ d’une posture positive en mesure de s’opposer au cynisme et à la barbarie de nos sociétés. La politique et les actions de l’Homme ne seraient alors plus jugées à partir du seul critère de l’efficacité technique, mais en prenant en compte ce que ces actions implique pour l’existence de l’autre. Cette reconnaissance ne devra pas exister seulement au plan juridico-légal, mais devra se développer au cœur même des rapports sociaux. Si ce phénomène se développe à l’avenir, alors nous pourrions dire que nous aurons véritablement triomphé de l’extrême droite.
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