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Définir un sujet révolutionnaire aujourd'hui ?
Avant Propos
Au regard de la situation présente, il apparaît clairement que la notion de prolétariat à été évidée de son sens et incroyablement réduite à la seule classe ouvrière; que la classe ouvrière ne constitue plus véritablement une classe pour soi, mais un ensemble fragmenté et atomisé idéologiquement et culturellement, implacablement soumis à la dictature du capital qu'elle ne perçoit que sous sa forme spectaculaire; que les marges ne constituent pas une entité suffisante pour entraîner un mouvement révolutionnaire ; et que la multitude pêche par imprécision, contradiction et inconsistance. Par conséquent, nous tenterons d'esquisser quelques analyses afin de tenter de reposer la question du sujet révolutionnaire sous une forme couplant postures sociales, type de pratiques, analyse réseau et intentionnalité.
I Perspectives et intentions: Quelle Révolution?
Le terme Révolution en soi ne veut rien dire. C'est un concept à nu. Il ne révèle rien en ce qui concerne les formes sociales et les types de rapports envisagés à travers ce processus. Par conséquent, le cas qui nous intéressera ici sera celui de la Révolution Socialiste/Communiste. Il convient ainsi de définir ce que nous entendons pas Socialisme et Communisme. Tout d’abord, Socialisme et Communisme sont ici entendu dans un sens qui ne renvoie nullement au Parti Socialiste et au Parti Communiste, ni aux dictatures Staliniennes et Maoïstes. Nous partons de la dimension étymologique des deux termes : ils renvoient à l’association des hommes entre eux et à la mise en commun, ils impliquent une logique de réciprocité ainsi qu’une existence qui soit orientée vers le partage et la solidarité. Nous gardons de Marx l’idée que le Communisme implique la diminution du règne de la nécessité sur le plan de la vie matérielle, mais nous rompons cependant avec certaines tendance prométhéennes de la théorie marxienne, c’est à dire sur la question de la croissance illimitée des forces productives, au profit d’une logique sélective visant une forme d’équilibre dans la relation Homme/Nature. Nous rompons également avec les tendances à la réification et à l'exploitation humaine caractéristiques des vieilles orthodoxies marxistes.
II Brève généalogie des concepts en matière de sujets révolutionnaires
1-Marx et le prolétariat
Marx définit le prolétariat comme le sujet révolutionnaire qui s’oppose à la classe capitaliste, et tend, par son action révolutionnaire, à s’abolir en tant que classe en abolissant, dans le même temps, toutes les autres classes. Le prolétaire marxien est, au sens le plus strict, celui qui ne possède pas les moyens de production et qui doit vendre sa force de travail pour survivre, et qui, dans le cadre de la concurrence capitaliste, de la course au profit, se fait voler une partie de son temps et de son travail (voir par exemple : Marx, Salaires, prix, profits). De ce qui s’apparentait à une définition de rapports de type socioéconomique, la définition du prolétariat à ensuite été remaniée à plusieurs reprises.
2-Marxisme orthodoxe : classe ouvrière, parti et syndicat
Elle fut d’abord réduite par le marxisme orthodoxe à la classe ouvrière, (et étendue par Lénine à la paysannerie), ceci pour des raisons principalement démographique : le travail en usine et dans les champs représentait en effet l’écrasante majorité du travail social accompli jusqu'à l’ère de l’automatisation. Les ouvriers n’étant pas tous révolutionnaires, le sujet révolutionnaire des partis communistes était bien plus son "avant garde", la classe ouvrière marxisée, inscrite au parti.
3-Herbert Marcuse : les mutations du capitalisme et l’engourdissement du mouvement ouvrier, les marginaux comme catalyseurs, la place centrale de la classe ouvrière et les crises futures du capitalisme
Ensuite, le développement de l’automatisation entraîna le passage à la postindustrialisation, c’est à dire la diversification des activités socioéconomiques caractérisé par le développement de « l’économie immatérielle », de la production de services. Cette évolution intervint dans le cadre des 30 glorieuses, ou l’on constata « l’engourdissement de la critique du système capitaliste » et l’embourbement du « mouvement ouvrier » dans le syndicalisme et le réformisme. Certain penseurs ont alors suggéré que la révolution pourrait venir d'autres catégories sociales : tiers-monde, ghettos, étudiants, hippies, émigrés, chômeurs, sans-papiers, artistes, c’est à dire de catégories en marge du processus de production premier, permettant la reproduction stricte de l’existence sur le plan matériel. Ce fut entre autre le cas de Marcuse qui développa une analyse articulant classe ouvrière et ce qu’il nomme groupe catalyseurs (Herbert Marcuse, Vers la libération : au delà de l’homme unidimensionnel, III une période de transition pour les forces subversives, 1969). Si Marcuse continuait d’attribuer une place centrale à la classe ouvrière en ce qui concerne la question de fond, c’est à dire le passage du capitalisme au socialisme, puis au communisme, Il se retrouvait également face à une classe ouvrière qui, bénéficiant des progrès de la technique et des fruits de la croissance économique (notamment grâce aux luttes sociales, et à la pression « socialiste » exercée par le bloc de l’Est), commençait à perdre de sa combativité et à s’accommoder à l’existence dans les sociétés capitalistes. Marcuse remettait surtout en cause le rôle hégémonique des organisation politiques et syndicales de la classe ouvrière dans ce processus de résignation, plus que la classe ouvrière elle même. Il considérait en effet celle-ci sous sa dimension interactive, c’est à dire affectée par un ensemble d’influences multipolaires (mass médias, libéraux, organisations réformistes) à la source de son engourdissement. Les organisation politiques et syndicales ne jouant plus leur rôle émancipateur, Marcuse à cherché parmi les groupes sociaux lesquels pouvaient alors apporter et répandre ce souffle émancipateur qui faisait défaut aux organisations de gauche. L’agitation politique sur les campus, les mouvement noirs américains, les mouvement hippies, les mouvements de libération dans le tiers monde, les mouvement des femmes, attirèrent ainsi son attention. Il envisagea ces mouvement comme étant potentiellement émancipateurs. Même si ceux si ne s’orientaient pas (de manière primordiale) vers une transformation fondamentale des rapports socioéconomiques, il pouvaient néanmoins diffuser un certain nombre d’élément qui définiraient la forme, une forme alternative du socialisme à venir. Ces mouvements étaient ainsi envisagées comme un ensemble de luttes périphériques qui pouvaient influer sur la subjectivité de la classe ouvrière, et modifier ses aspirations. Marcuse n’ignorait cependant pas la difficulté de la tache, et ne pensait pas qu’un changement social conséquent puisse advenir sur le court terme. Il soulignait ainsi que tant que les systèmes capitalistes demeureraient stable, les classes ouvrières demeureraient agents de cette stabilité, et leur rôle social ne diffèrerait que si le capitalisme commençait à entrer en crise. A ce moment là, il se référait aux thèses marxistes sur la différence entre intérêt réel et intérêt immédiat, et léninistes sur l’impérialisme, pour souligner que face à la crise, deux voies se dessinaient : la voie socialiste, et la voie impérialiste-fasciste. Tandis que la voie du socialisme sous tendait un processus à long terme, l’impérialisme constituait la solution immédiate de sauvetage du capitalisme. L’enjeu était donc de savoir si les classes ouvrières préfèreraient garantir leur intérêt immédiat et s’allier à leurs bourgeoisies ou si celles-ci s’orienteraient vers la solidarité avec l’ensemble des forces socialistes dans un processus à long terme.
4-Negri et Hardt : la Multitude, forces et faiblesses du concept
La dernière trouvaille en date en matière de sujet révolutionnaire fut bien sur la Multitude, proposée par Negri et Hardt. L’usage de ce concept à soulevé bien des débats et continue d’interroger ceux qui se penchent sur la question. Les auteurs d’Empire (2001) et Multitudes (2004), définissent la multitude comme l’ensemble des forces qui subissent la dictature du capital et s’y opposent. Ils se débarrassent ainsi des notion de classe (sous prétexte que la société et devenue plus complexe qu’une adjonction de groupes socioéconomiques nivelés par le capital, que ces groupes ne s’affirment plus en tant quel tels, mais sont fragmentés de l’intérieurs par tout un ensemble de distinction socioculturelles) et de peuple (le peuple étant une entité assujettie à l’Etat, au gouvernement qui le fabrique), et considèrent les partis et les syndicats comme des outils de lutte obsolètes. Ils décrivent la multitude comme ensemble auto-organisé sous la forme de réseaux, comme ensemble innovant en matière de formes de lutte, ouvert et dynamique. Cependant, ce concept de multitude pose quelques problèmes :
Premièrement, il manque de concrétude sur le plan de l’analyse empirique : il postule que tout le monde peut être révolutionnaire à condition de subir la dictature du capital et de s’y opposer ; cependant, il y a des secteurs d’activités, des terrains de luttes qui sont malgré tout plus efficients et d’autres qui le sont moins. Ce n’est pas la même chose de bloquer une gare, ou une raffinerie de pétrole et de bloquer une administration publique, un guichet de banque, ou encore le service et la plonge dans un restaurant. En gros, les secteurs d’activité primaires et secondaires présupposent des luttes dans le cadre du travail qui sont d’une toute autre dimension que celles possibles dans le tertiaire : il s’agit de reproduction et de transformation matérielle de la société et pas immatériels. Or bien évidemment il ne peut y avoir d’immatérialité sans supports matériels. Ensuite, dans le domaine de l’immatériel, on peut distinguer d’une part le service, et d’autre part, la communication, dans lesquels la production et la diffusions de concepts, de représentations, d’idéologies jouent un rôle prépondérant dans la manière dont les rapports sociaux vont se produire, se reproduire, se transformer. Ce qui veut dire qu’au niveau du travail, il y a des secteurs qui se prêtent directement à la lutte politique, et d’autres qui ne s’y prêtent pas. Pour ceux qui travaillent dans ces secteurs, la lutte politique tend ainsi à être dissociée du travail, à se pratiquer en dehors (militantisme, activisme, associations, forums, etc.).
Secondement, le concept de multitude n’est pas très clair en ce qui concerne la question de la subjectivité et de l’intentionnalité. Negri et Hardt parlent de production du communisme par la multitude, cependant, il est étrange que l’ensemble des forces qui composent cette multitude refuse le communisme et s’y opposent même radicalement. Comment un sujet révolutionnaire qui est censé réaliser quelque chose peut-il y être subjectivement opposé ? Il y a en effet une multiplicité de formes d’opposition à la dictature du capital, ou, surtout, de l’Empire. Et ces formes d’opposition tendent généralement à se combattre mutuellement et à se neutraliser les unes les autres. On peut prendre pour exemple présent le discours sur la « division de la gauche », mais pas seulement, la critique écologique également participe de ce même processus de fragmentation de l’opposition. Le jeu de l’Empire, dans le cadre de la gouvernance, est ainsi d’articuler ces oppositions et de les faire jouer les unes contre les autres à l’avantage de l’ordre capitaliste, des classes dominantes. Negri et Hardt son bien au courant de la capacité d’absorption par l’Empire, le capitalisme, des innovations critiques émergeant dans le champs social, et par conséquent de neutralisation de la subversion, mais entretiennent malgré tout l’espoir que la multitude finira par triompher. Néanmoins, leur réponse n’est pas clair, et l’action de la multitude ressemble bien plus à une forme de réforme interne de l’Empire, du capitalisme, qu’a une transition révolutionnaire vers le communisme.
L’apport essentiel de Negri et Hardt fut malgré tout de mettre en avant la dimension multiple des sujets révolutionnaires face à une théorie des classes (classe ouvrière, parti et syndicats) devenant excluant et de moins en moins en prise avec la réalité de l’action politique, et d’y substituer un autre type de dispositif plus ouvert et créatif. Néanmoins face à l’imprécision du concept de multitude, il apparaît nécessaire, d’un point de vue stratégique, d’explorer de manière plus approfondie le champ social, d’un point de vue empirique et fonctionnel, tout autant que sur le plan de la subjectivité, afin de déterminer différents sujet potentiellement révolutionnaire, ainsi que les différents types d’interaction qui les structurent aujourd’hui.
5-Prolétariat, théorie des classes, quel avenir ?
Pour conclure cette Introduction, nous avons décidé de revenir sur les premiers concepts de prolétariat et sur l’analyse en terme de classes. L’analyse en terme de classe ne constitue plus aujourd’hui et depuis disons les années 80, une catégorie affirmative, une identité aussi structurante que durant la fin du XIXeme siècle et la première moitié du XXeme siècle. Le concept de classe sociale recouvre essentiellement une fonction analytique critique sur le plan de l’analyse empirique des disparités socioculturelles et socioéconomique, mais ne permet pas de rendre compte sur le plan de la stratégie de la manière dont peut s’opérer un changement social qui permettrait le basculement vers le socialisme et le communisme. Le concept de prolétariat peut garder un certain degré de pertinence à condition de prendre en compte les mutations sociales liées à la postindustrialisation et de ne pas le réduire exclusivement à la classe ouvrière. La période présente de récession et de crise économique démontre de plus en plus une fracture de cet ensemble artificiel que l’on à nommé classe moyenne, et pourrait ainsi fort bien redonner de la vigueur aux concepts de prolétarisation et de prolétariat, que ce soit sur le plan de l’analyse empirique que sur celui de la subjectivité. Mais quoi qu’il en soit, que l’on parle de prolétariat ou de multitude en tant que sujet central de la révolution, Il convient malgré tout, sur le plan de la stratégie, de penser ces entités comme hétérogènes et de comprendre ce qui dans le champ social, permettrait de réaliser la transition vers le socialisme. En effet, la révolution est un processus complexe qui implique à la fois de garantir la possibilité de production de l’existence ainsi que la possibilité de son amélioration. Par conséquent, cela suppose que les révolutionnaires disposent de la capacité d’opérer tout un ensemble de changements culturels et techniques qui permettent le passage au communisme.
6-Lutte des classes : actualité et mutations
Ce n’est pas parce que la classe ouvrière ou plus largement le prolétariat ne s’affirme plus en tant que tel que la lutte des classes est terminée. La lutte des classes, en tant que processus d’émancipation d’une fraction dominée de la population vis-à-vis d’une fraction dominante reste d’actualité tant que le rapport structurant cette domination continue de s’appliquer. La lutte des classes subit des phases de sommeil et d’éveil en fonction des variations d’intensité des rapports de domination. Ainsi, en ce qui concerne la question du renversement du capitalisme, la lutte de classe reste vraie dans la mesure ou les classes capitalistes, les forces capitalistes, continuent d’influer sur les rapports sociaux, de les structurer. Tant que ces rapports n’auront pas été transformés, la lutte des classes restera la question centrale de la problématique révolutionnaire, et les classes subissant ces rapports resteront le sujet central de la révolution socialiste et communiste. Simplement, ce que nous tenons à souligner, c’est que pour abolir ces rapports, il ne suffit pas de s’emparer des centralités du pouvoir et des moyens de production. Cette stratégie ne peut être valable que dans la mesure ou ceux qui l’entreprennent se sont émancipés des anciens rapports de domination et sont en mesure de produire de nouveaux rapports, en l’occurrence, dans ce cas précis, réciprocité, solidarité, partage. Or l’abolition de ces rapports est principalement le but de la révolution, ainsi, on ne part jamais de groupes affirmatifs, initialement émancipés qui n’auraient qu’à démettre les anciennes structures du pouvoir pour produire totalement leur existence. Nous pensons ainsi que les classes dominées sur le plan socioéconomique et socioculturel ne peuvent à elle seules renverser l’ordre capitaliste sans reproduire ces mêmes rapports qui les assujettissaient. Pour se produire en tant que sujet révolutionnaire, elles nécessitent l’interaction avec d’autres sujets émancipateurs. Ceci fut jadis le rôle officiel du Parti Communiste, bien qu’en certains points, il soit officieusement contestable. La théorie de la multitude est aujourd’hui intéressante, mais comme nous l’avons souligné, ce concept manque énormément de précision, et ne permet pas de comprendre les systèmes d’interaction qui opèrent à l’intérieur de la multitude, ni d’aborder la question de la cohérence ou de la discordance des différentes intentionnalités qui la compose. La manière dont Marcuse posa son analyse des groupes sociaux, en système interactionnel multipolaire – composé d’une classe sociale centrale, la classe ouvrière (c’est à dire ceux qui sont à la base du processus de reproduction physique de la société et qui peuvent créer le rapport de force en enrayant cette reproduction), et d’une constellation de groupes catalyseurs qui influent potentiellement sur les formes et les contenus des aspiration des autres groupes sociaux, et donc de la classe ouvrière – nous apparaît ainsi plus intéressante sur le plan de la stratégie, à condition d’en saisir les limites et les contradictions possibles, comme il le fit lui-même. C’est à partir de cette première analyse, datant des années 60/70, qu’il nous faut commencer. La situation que décrivit Marcuse en 1969 a certes évoluée, mais un certain nombre de traits significatifs de son analyse perdurent inexorablement. Par exemple, les rapport ouvriers/outsiders, ouvriers/étudiants, ghettos/étudiants, ouvriers/intellectuels. Un des fait marquants depuis les années 80 fut certainement l’amorce de la réalisation d’une hypothèse, que Marcuse espérait et préconisait dans l’homme unidimensionnel, à savoir le développement du processus de politisation des sciences et techniques, que l’on peut constater avec le développement massif de la contre-expertise, notamment militante (Tchernobyl, AZF, Monsanto, etc.). Ce processus, bien que loin d’être achevé, marque la fin d’une science monolithique au service du pouvoir en place et le début d’un lutte dans laquelle science et politique sont ainsi entremêlés. La technoscience devient ainsi parti prenante de la lutte politique, et ses acteurs prennent une place de plus en plus importante dans la détermination du réel et du possible, dans la reproduction et la transformation de la vie matérielle et socioculturelle. Ce que cela implique, c’est que, et Marx l’avait déjà souligné dans le cadre de l’élaboration d’un socialisme scientifique, c’est que l’avancée des sciences et techniques nous donne l’horizon des formes de vies encore possibles et détermine ainsi la forme des finalités politiques possibles. Dans le contexte présent s’opère de plus en plus la reconnaissance d’une lutte pour la vérité admise qui est indissociable de la lutte politique. Ce que cette lutte implique, en partie, c’est que les idéaux productivistes, d’abondance matérielle illimitée du marxisme orthodoxe et d’une partie de la classe ouvrière ont été réduits à néant. La lutte de classe pour le socialisme et le communisme, s’ils adviennent, devra tenir compte de la nécessité de la finitude de la matière, et donc de la nécessité de réduire la production de biens de confort et le gaspillage, et de s’orienter vers une logique de durabilité.
7-En finir avec les abstraction capitalistes et technocratiques : critique du Fétichisme de la marchandise, de la Réification et du Spectacle
Mais ce n’est pas tout, la lutte des classes implique également l’abolition du fétichisme de la marchandise (Marx, le capital, livre I, le caractère fétiche de la marchandise et son secret), de la Réification (G.Lukacs, Histoire et conscience de classe), et du Spectacle (G.Debord, la société du spectacle). Pour le dire simplement, le fond commun de ces trois critiques s’inscrit dans une critique de la dé-symbolisation, c'est-à-dire du processus d’abstraction constate des représentations, dans lequel le virtuel apparaît de plus en plus comme une réalité autonome. Par exemple, la politique, l’économie, le marché, et l’homme lui-même, sont de plus en plus présentés sous un jour technoscientifique, comme des choses mécaniques répondant à des lois concrètes, sur lesquelles il est possible d’intervenir. L’économie, prise sous l’angle de la finance, nous parle de capital fixe, capital variable, dividendes, flexibilité, flux tendus, de taux à x%, de cotation boursière, de subprimes, de trou de la sécurité sociale, de bouclier fiscal, etc., tout un jargon abstrait, qui ne nous dis rien (et pour cause !), sur les rapports réels qui sont en jeux derrière ce vocabulaire technocratique crypté au service de la domination capitaliste, tout un discours qui ne permet pas de parler réellement de politique. De même, on a beaucoup tendance à se représenter la monnaie comme une chose possédant une valeur inhérente, ce qui est faux : Marx l’a démontré depuis longtemps, la valeur de la monnaie n’est qu’abstraction. La monnaie n’est qu’un médiateur de l’échange, ainsi à travers la monnaie c’est bien plus le pouvoir de disposer des choses, de dominer qui est recherché. La valeur accordée aux choses n’est pas non plus propre à elles-mêmes, elle est le reflet des représentations et de besoins sociaux. Les discours politico-économiques sur la délocalisation des entreprises et des travailleurs ou sur l’immigration, reflètent aussi ce même processus d’abstraction : on nous considère comme des nombres, des choses quantifiables qui sont déplaçables à gré, en fonction des besoins des pouvoirs (officiellement et officieusement) en place. L’expression même de ressources humaines nous montre que nous sommes considérés comme des choses, des ressources, c'est-à-dire des formes d’énergie qu’il est possible d’exploiter à gré. Comme l’a démontré Marcuse il y a déjà 60 ans, ce phénomène de réification constitue ainsi le point de jonction entre le socialisme technobureaucratique et le capitalisme postindustriel. La réalisation du socialisme et du communisme passe ainsi par le dépassement de ce type de représentations aliénantes, de ce type de rapports objectivants. Elle implique une re-symbolisation des rapports (entre les hommes, entre l’humain et le non humain), c'est-à-dire la réintroduction de la notion de réciprocité. Plus largement, elle implique une conception alternative de la matière, qui ne serait plus considéré comme une chose froide, morte et vulgaire, dont l’homme pourrait disposer à sa guise, mais comme entité interactive et chaleureuse qui donne et reçoit en permanence (sur ce point, on ne peut que remercier des auteurs comme Bakounine, Benjamin, Marcuse et Deleuze). La réalisation du socialisme et du communisme passe ainsi par la reconnaissance des entités de matière en tant que « formes de vies » se composant et se décomposant constamment les unes avec les autres. Elle implique ainsi le déclin du paradigme écologique et environnemental, en tant que discours sur les choses, au profit du paradigme éthologique, discours sur les rapports, les comportements interactifs*(l’hypothèse éthologiste sera développée dans un prochain article).
III Postures subjectives et postures empiriques
1-Postures subjectives
Nous définissons sur le plan de la subjectivité comme révolutionnaire tout sujet ayant comme désir, comme besoin, comme intention de transformer radicalement les rapports sociaux, au niveau de la pensée, de la culture, de la production, de la répartition et des échanges tant sur le plan matériel qu'immatériel. Simplement, la seule subjectivité, volonté, intention ne peut suffire au processus révolutionnaire, par conséquent une analyse plus approfondie en ce qui concerne les positions objectives occupées dans le système s'avère nécessaire.
2-postures empiriques : plusieurs dimensions
-sujets développant des pratiques qui tendent vers le but Révolutionnaire, directement ou non (agitation, révolte, dénonciation, pratiques protocommunistes)
-sujets produisant une théorie (critique et affirmative) tendant vers ce but, directement ou indirectement
-sujets dont la posture peut entrainer un élargissement et une prise de consistance du mouvement global : sujet diffusant
-sujet occupant une place dans le processus de production/reproduction de la base physique de la société, et qui peuvent ainsi prendre une place conséquente dans le rapport de force en bloquant sa reproduction.
-sujet occupant une place dans le processus de production/reproduction et en mesure d'opérer une transformation/adaptation des structures physiques de la société de manières à ce que celles-ci soient conformes au projet révolutionnaire.
3-qui sont ces sujets empiriques ? comment interagissent ils aujourd'hui ?
Ci-dessous, un petit schéma sous forme d'analyse réseau
chaque catégorie est présentée sous une dimension unique, fonctionnelle, elles représentent sutrout une activité donnée. Ainsi une personne peut très bien participer de plusieurs postures à la fois. (voire explication ci dessous)
-Les ouvriers constituent une entité incontournable, puisqu'ils sont à la base de la reproduction physique de la société, et par conséquent, possèdent, s'ils s'organisent collectivement, le pouvoir de bloquer cette reproduction.
-la plèbe est une notion que nous préférons à la notion de peuple. Cette dernière permet de dissocier au sein d'un groupement de population donné la base de élite, tandis que la notion de peuple couple base et élite dans une entité qui se prétend idéologiquement cohérente (contre les autres peuples). la plèbe permet ainsi de penser un ensemble plus vaste que le monde de l'usine et englobe ainsi une partie du tertiaire, dont l'activité professionnelle ne se prête pas directement à une pratique potentiellement révolutionnaire, mais qui peut rejoindre cette pratique dans l'"espace publique".
-Technoscientifique: la technique et la science sont deux éléments essentiels du processus de reproduction et de transformation physique du monde social. De plus, en tant que discipline d'explication du monde la plus efficiente, la technoscience jouit d'un certain ascendant dans la prise de décision politique, ainsi que sur les représentations, l'imaginaire socioculturel.
-Intellectuels : les intellectuels sont ceux qui permettent de dénaturaliser l'idéologie capitaliste, de dévoiler sa contingence, ainsi que de penser et de produire des outils pour penser le monde et la lutte, mais aussi de tenter différentes synthèses et de faire le lien entre différents domaines (Technosciences, industrie, plèbe, militants, marges)
-Marges: les marges sont un peu tout ce qui est exclu, que ce soit au niveau de la production ou vis à vis des normes dominantes.(Ghettos, cités, étrangers, sans papiers, chomeurs, RMIstes, squatteurs, hippies, artistes...). C'est le plus souvent au niveau de ces groupes que l'on déclèle les premières expérimentation protocomunistes, ainsi que les éléments qualitatifs qui détermineront les formes sociales à venir. L'analyse des points forts, points faibles, points de blocages, de ces différents mouvement permet de parfaire la stratégie.
-Militants: militter peut se résumer à diffuser un type de compréhension du monde, des perspectives politiques, des conseils pratiques, dans le but de faire avancer le mouvement révolutionnaire. Il existe bien entendu diverses formes de militantisme, le problème n'étant pas au niveau de la forme mais de la finalité.
(explication plus détaillée à venir)
Nous pensons ainsi qu'un mouvement révolutionnaire victorieux ne pourra advenir que dans la mesure ou:
-chacune de ces postures parviendra à agir de concours avec les autres
-nous serons assez nombreux parmis ceux qui occupent ces fonction, a désirer construire le communisme.
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