• 1997, la rue Olivier Métra - Paris 20ème, en cours de gentrification

    Dans le 20ème arrondissement de Paris, à la fin des opérations immobilières menées par des promoteurs intéressés surtout par un profit rapide, le quartier ouvrier accouche d'un quartier embourgeoisé avec, comme le note le sociologue Jacques Donzelot, "un style de vie où émergent cafés et restaurants du monde entier, salles de concert, galeries et des boutiques d'art ethnique ... autant de signes de prestige que ces promoteurs ont appris à manier pour conférer à certains lieux cette marque du global qui attirera les candidats à cette communauté mondiale".

    De quoi construire une "image fun de la ville", renchérit l'historien Alessi dell'Umbria : avec la "disparition du travail au profit du service et des travailleurs au profit des serviteurs, l'espace se trouve peu à peu occupé par la culture et le tourisme, la ville devient une zone commerciale d'un genre particulier, consacrée au divertissement des classes moyennes, pour qui restaurants, bars branchés et expositions balisent un parcours sans aspérité".

    Bien sûr, la géographie urbaine a toujours réfléchit les rapports entre le travail et l'habitat. Il fallait des corons, aux patrons du XIXe siècle, pour fixer près de leurs usines une main-d'œuvre trop vagabonde. Il fallait des HLM, durant les « trente glorieuses » (1945-1975), pour achever l'exode rural, pour amener petites mains et gros bras à portée de cyclomoteur des zones industrielles. Mais aujourd'hui, avec un marché du travail ouvert jusqu'à Bucarest, avec des fabriques qui se délocalisent à Hanoï ou à Pékin, les prolétaires n'apparaissent plus comme essentiels au fonctionnement économique de la ville. Inutile donc d'attirer en centre-ville les couches populaires, de leur promettre une "qualité de vie" conforme à leurs attentes. S'ils travaillent, c'est déjà beau ...

    Pour la ville, reste donc à conquérir une élite, désignée comme celle des "producteurs de richesses"...
    La ville est en route vers une "gentrification", un embourgeoisement à grande échelle qui dessinera une toute nouvelle géographie urbaine.


    >> La géographie urbaine et le concept de ville.
     

     


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  • Pendant une grande partie des années 90, des secteurs entiers de Belleville ont ressemblé à une ville fantôme.

    Les promoteurs qui, avec l'aide de la ville, ont préempté le quartier, on eu parfois du mal à faire jaillir de terre leurs immeubles flambants neufs. Alors, pendant des années, aux rez-de-chaussée, les portes sont restées murées. Des rideaux de fer, rouillés, étaient invariablement descendus sur toutes les devantures des cafés, des snacks, des épiceries, ... Plus grande activité dans le quartier ... même le coiffeur en est réduit à aller "peigner la girafe" !

    Aux étages, des dizaines, des centaines de volets fermés en plein jour, et ... parfois, seul un pot de géranium, là-haut, au cinquième, dans l'encadrement d'une fenêtre ouverte, nous signale la présence d'un irréductible qui résiste encore et toujours à l'envahisseur.

    Car les habitants, installés ici depuis dix, vingt, trente, quarante années, n'ont pas quitté la place en sifflotant, guillerets... Les personnes âgées ont subi une forme d'intimidation, elles ont reçu des courriers et des visites d'individus leur demandant de partir.

    Avec d'autres, plus jeunes ... la seule injonction n'a pas suffi. Alors, on a eu recours à des méthodes moins avenantes : de faux squatteurs ont envahi les immeubles, détruit des canalisations, pourri la vie des locataires attitrés. Ailleurs, des départs d'incendies ont éclaté. Ailleurs encore, on a glissé des enveloppes ... Et, aussitôt l'appartement vidé, des "dévitaliseurs" entrent en action : on casse la toiture et les vitres, on démonte les canalisations, les toilettes et la salle d'eau ... tout cela pour éviter que quiconque ne puissent revenir s'y loger.

    Les moins vulnérables se sont regroupés au sein de collectifs. Ils ne demandent qu'une chose : que les nouveaux appartements demeurent accessibles à tous. Ainsi, les locataires les plus combatifs, ou les mieux protégés (par des "lois 48", par exemple) seront recasés dans le parc social du quartier. Mais la plupart seront renvoyés en banlieue Nord ou Est, dans les barres d'HLM.

    La violence du processus, sa soudaineté, son volontarisme rendent ici visibles, palpables, un embourgeoisement accéléré et son corollaire, l'éviction du peuple en périphérie.

    Mais, bien souvent, la seule loi du marché suffit à transformer, "en douceur", et ...presque      "naturellement", des quartiers entiers et leurs populations : une hausse constante du prix de l'immobilier contribue à "moderniser" la cité plus sûrement et plus discrètement que tous les dévitaliseurs"....


    >> Voir aussi : "Démolition des murs ... démolition des vies"< 
     

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    Voir aussi : "Odette, quatre fois vingt ans"


     


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    Ménilmontant, tout comme Belleville - son voisin - sont tous deux et depuis bien longtemps des quartiers multiethniques.

    En redescendant des hauts de Ménilmontant ou en remontant du bas de Belleville, vous allez trouver ici un échantillon représentatif des deux tiers de l'humanité, sur moins de deux hectares... Chaque habitant de ces quartiers est donc naturellement immergé dans le multiculturalisme.

    Mais Ménilmuch' a bien changé, son côté très popu et un peu canaille a aujourd'hui fait place a une ambiance plutôt "bobo-chicos", et ... progressivement la physionomie des rues a été profondément modifiée : les merceries ont été remplacées par des cybercafés, les cordonneries par des galeries et les brasseries par ... des Mac Do.

    Au cours de ces vingt dernières années, les appartements de Ménilmontant ont vu leur population changer radicalement. Les nouveaux habitants ne sont plus ces locataires-résidents de condition modeste qui peuplaient encore majoritairement le quartier jusqu'au tournant des années 90.
    Aujourd'hui, graphistes, journalistes, photographes, architectes ou designers... en sont les propriétaires-occupants. Ceux-ci ont rénové l'habitat et tous goûtent ici, au cœur de ces quartiers de traditions populaires, un nouvel art de vivre ...

    Aussi, profitant d'une demande en forte hausse, les agences immobilières prolifèrent ... Certaines n'hésitent pas à proposer des greniers de 50 m2 au prix de 300 000 euros, ... travaux à prévoir !

    Le sociologue Jacques Donzelot qualifie ces nouveaux habitants aux allures vaguement bohèmes de "classe émergente de la mondialisation".
    Ménilmontant et sa sœur jumelle Belleville, les "multiculturelles" se trouvent donc, plus que jamais, au cœur de la mondialisation ...


    >> En savoir plus sur Jacques Donzelot.

     

     


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    Vivre en ville va devenir un privilège.

    A Belleville, à Ménilmontant, l'inflation des prix de l'immobilier chasse les anciens habitants. Ce sont maintenant des bobos qui ont jeté leur dévolu sur ces quartiers de l'Est parisien. Des peintres, des photographes, des architectes ou des designers s'installent dans des usines désaffectées ou dans des ateliers miteux qu'ils réhabilitent à prix d'or. Certaines agences immobilières se sont même spécialisées dans ces futurs lofts tant recherchés par ces nouveaux habitants pour qui le paraître est essentiel. Un bobo pensera fréquemment : "J'ai acheté un lieu atypique ... donc je suis atypique" !

    Dans 10 ans, il n'y aura plus l'ombre de catégories populaires dans l'Est parisien. Le marché, mais aussi les pouvoirs publics, les mairies ... tout pousse à la requalification de ces quartiers ... même s'il y a parfois des résistances de quelques groupes d'habitants qui veulent conserver leur cadre et leurs modes de vie.

    Car certains préfèrent continuer à vivre ici - en quasi communauté -  dans des immeubles, à la limite de l'insalubrité, que des promoteurs cherchent à raser pour faire de nouveaux programmes. Mais les gens de Belleville qui aiment depuis toujours leur quartier, "leur village" comme ils disent, ne veulent pas de ces nouveaux programmes ... avec restaurants à sushi, galeries d'art contemporain ou d'avant garde et "concept-stores" ... Tout un monde dans lequel ils ne se reconnaissent pas.
    Et pourtant, s'ils sont chassés, ils devront partir à 20, 30, 40 km ... là où les prix sont moins élevés...

    Ainsi, la ville se transforme, car... bien sûr la ville n'est pas une entité figée, ... ainsi va la ville, ainsi va la vie ...dans la belle ville de Belleville.


    >> La politique de la ville, en savoir plus ...

    >> Bienvenue à "Boboland" !

     


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  • Aujourd'hui à Belleville, devant les HLM, on peut rencontrer de jeunes ados, toujours en groupe, invariablement coiffés de casquettes ou encapuchonnés ... et souvent ... sans avenir. Eux ne parlent pas aux nouveaux arrivants que sont les bobos de Belleville  ... et  ils les traitent de "bourgeois".

    Il faut dire que vivre ici, dans une mixité aussi large, ne facilite pas la communication ... Car s'il est vrai que l'on communique avec des codes, là - à Belleville - c'est cinq ou six codes minimum qu'il faut connaître pour pouvoir dialoguer tous ensemble : le code du tutoiement avec les arabes, mais pas avec les noirs ... et comment doit-on faire avec les chinois, et pour les sépharades, et les arméniens ? ...
    Et pour encore mieux se comprendre, il faudrait aussi pouvoir s'exprimer un peu dans toutes les langues du quartier : le Français et l'Arabe bien sûr mais aussi le Kurde, le Turc, le Laotien ... Des langues, ... on n'en  compte pas moins de dix-sept à Belleville !

    Le fossé entre bobos et ados est donc large. Mais ces antagonismes vont encore s'accentuer ... car ces ados sont dérangeants, bruyants, suspectés de trafic et ne rêvent que d'une chose : sortir de ces quartiers populaires ... alors que les bobos rêvent de s'y établir ...

    Alors à Belleville, les bobos vont préférer rester entre eux, dans des îlots préservés, à l'écart des rues très fréquentées et - dès la tombée de la nuit - ils se gardent bien de s'aventurer dans les voies étroites du quartier.

    Il y a 40 ou 50 ans, Belleville et ses cités tranquilles étaient des havres de paix, calmes et sans bruit, on pouvait alors quitter son domicile tout en laissant la fenêtre ouverte.

    Aujourd'hui, sans faire preuve de racisme, mais sans non plus s'encombrer du concept "politiquement correct" de la mixité, tous les anciens habitants du quartier vous le diront : "Paris, n'est plus Paris" ...

    >> Déjà dans Parisperdu ...

     

     


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