• Un dangereux criminel libanais

    J'ai passé un week end de merde. Mais vraiment.

    Vendredi soir, j'ai eu la bonne idée de déclarer ma flamme à la femme qui m'est chère. J'ai passé mon samedi à mariner dans une honte proportionnelle à l'incohérence de mes propos et l'inanité de ma démarche. Si tu lis ces lignes, je m'en excuse encore.

     

    « Heureusement », j'ai eu l'occasion de me changer les idées.

    Je rentrais paisiblement chez moi, vers 5h du matin, offrant la rue en pâture à mon appareil photo. Un militaire est passé dans le cadre. Pas le troufion de base en treillis, non, l'officier en uniforme.

    Jusqu'ici tout va bien.

    Sauf qu'il a rameuté deux soldats pour me courir après. Après quelques questions genre « qu'est ce que vous faites là » tout ça, ils m'ont livré à deux agents patibulaires, qui m'ont escorté au sein du saint des saints : la caserne militaire du quartier.

    Je me suis retrouvé brinqueballé entre différents bureaux, avant d'arriver chez le big boss local. Je remercie au passage l'incompétence de ses subordonnés, qui m'ont laissé manipuler mon Canon pour leur montrer ce qu'il y avait dessus : j'ai pu effacer le dernier film. Il restait malheureusement un trajet de taxi qui passe devant l'ambassade de France. Donc paf soupçon d'attentat, comme si j'allais filer la vidéo à Zawahiri pour qu'il y prépare une petite fête.

    Jusqu'ici tout va bien.

    Ils ont ensuite fouillé mon manteau, dans lequel s'invite toujours un nunchaku. Interminables palabres pour leur expliquer que c'est une habitude toute parisienne, qu' « en France, vous avez bien vu à la télé, c'est la guerre, c'est pas comme cette bonne ville de Beyrouth où tout est bien sécurisé ». Le plus drôle, c'est que l'argument a porté. J'ai ensuite dû fournir divers éclaircissements sur mes cicatrices, je vous passe les détails.

    Jusqu'ici tout allait bien.

    Mon titre de séjour correspond à une adresse vieille de deux mois, ce que j'ai bien dû admettre lorsque le big boss a appelé trois collègues, qu'il s'est levé, qu'ils ont ouvert une armoire, sorti des flingues, qu'ils les ont chargés et qu'ils m'ont dit : « Allez on va chez toi ».

    Oops. Une autre heure de palabres pour leur expliquer que je suis gracieusement hébergé par un pote, mais qu'il est rentré en France. Ils me demandent son nom, sa date et heure de départ pour vérifier tout ça avec l'aéroport, qui confirme. « Bon, alors on va chez lui, on veut ton ordinateur ».

    Là je commence à flipper sévère. Des films d'installations militaires et d'ambassades, j'en ai quelques kilos. Il était déjà 8 heures du matin. Serré entre deux molosses armés dans une voiture banalisée, on part sur les lieux. Ils rentrent dans l'appart, flingues devant. J'ai tenté de les détendre en leur expliquant qu'à part  de vieux caleçons mal rangés, personne ne risque de les agresser. Ca les a pas fait rire. On prend le portable et on repart.

    A 8h30, le type accepte de me laisser passer un coup de fil après avoir fouillé mon téléphone. J'appelle une nana du service social de la fac qui a le bras long, ça tombe bien, ils veulent que quelqu'un vienne m'identifier. Inutile de dire que je faisais pas le malin quand j'ai filé le code pour déverrouiller l'ordinateur.

    C'est là que  le miracle a eu lieu. Les types ont épluché tout ce qu'il y a sur ce blog, ont regardé des dizaines de vidéos de français tout bourrés, et ont miraculeusement slalomé entre les trucs compromettants, notamment les émeutes du 5 février où on voit les barbus brûler des bagnoles et lancer des cocktails molotov sur le consulat du Danemark.

     J'ai prétendu que les photos de chars viennent de l'AFP, et le plus dur a été de leur expliquer pourquoi je signe « OussamaBenLiquid ».

    10h30.

    La nana de la fac débarque. Elle voit 3 brûlures de clopes sur ma main gauche. Première question qu'elle me pose : « Ils t'ont torturé ? »...

    Reperquistion chez moi pour choper mon passeport dont ils n'avaient cure au début. La nana leur explique que je suis bien étudiant et que je ne menace pas la sûreté de l'Etat, encore quelques formalités, copie de ma carte numérique SD, vérification auprès de l'ambassade pour savoir si je suis un dangereux terroriste recherché. J'en voyais pas le bout, j'avais vraiment l'impression d'être dans un bouquin de Kafka.

     

    A 12h enfin, j'étais dehors et pure gratitude envers mon sauveur et ma bonne étoile. Finalement, je suis resté 7h au poste pour une vidéo banale, alors qu'en France ils m'auraient pris le chou pour le nunchak et l'adresse. J'en reviens toujours pas d'avoir eu autant le cul bordé de nouilles pour le contenu du disque dur, militaires et caricatures. Et je suis fasciné par la vitesse à laquelle la vie privée peut partir en couille ici, pas besoin d'appeler un juge ou quoi que ce soit pour se pointer chez vous et violer votre intimité physique et numérique. Et mon contact de la fac n'a pas tari d'éloges envers la « gentillesse » des militaires, parce qu'une arrestation ici est synonyme de passage à tabac, français ou pas.

     

    Je me suis promis qu'une fois rentré en France, il me faudrait une bonne raison pour en repartir.

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