• African SPIR, WRONSKI et BRUNSCHVICG

    La philosophie d' African SPIR est très proche de celle de Brunschvicg, à l'exception notable près qu'il accorde beaucoup moins d'importance à la science et aux mathématiques. Mais il est tout aussi radical en ce qui concerne la nécessité de surmonter le "moi haïssable" (social, psychologique, et....mortel) pour accéder au Moi Absolu, le sujet de la philosophie et de la Mathesis, que d'aucuns ont désigné comme Logos, ou Raison ou même Christ... le très chrétien Malebranche ne dit pas autre chose avec sa "Raison universelle des esprits" qu'il identifie au Christ. Fichte dit la même chose dans son éloge (et sa transformation complète, voire transmutation) du christianisme...

    Et tout notre travail, que j'ai appelé "démystification de la philosophie" doit être de débarrasser ce Logos de ses habits mythiques, ou fabuleux.

    Voici quelques liens sur Spir :

    http://en.wikipedia.org/wiki/African_Spir

    ainsi que l'ouvrage de l'histoire de la philosophie de Bréhier (aller à 19 ème siècle après 1850, puis chapitre 6 "La métaphysique" puis paragraphe 3 Spir):

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brehier_emile/Histoire_de_philo_t2/f7c063

    Accéder au Moi Absolu, c'est renoncer au moi empirique, psychologique, mortel... appelé "âme immortelle" par les  religieux .

    Dans les termes de Brunschvig, cela siginifie donc "renoncer à la mort", et ô combien c'est difficile....car nous y tenons, à ce cadavre que nous serons un jour... oups pardon encore, que nous ne serons pas, justement !... en tout cas si nous avons réalisé le parcours philosophique, qui nous promet de "ne jamais goûter de la mort"... promesse qu'il partage avec Jésus dans l'Evangile selon Thomas...mais l'on m'excusera de placer ma confiance en la philosophie et le Logos grec, plutôt qu'en un évangile même copte, même apocryphe.

    Dans la terminologie de Wronski cela consiste à "réaliser l'immortalité sur Terre en accédant à la condition hyperphysique du moi humain personnel"... terminologie un peu "ésotérique" bien sûr . Mais je maintiens que Wronski est de chez nous : un rationaliste absolu.

    Et Spir permet ainsi de réaliser le lien entre Brunschvicg et Wronski...il est en quelque sorte le chainon manquant...je n'en veux pour preuve que ce passage de l'excellent ouvrage de Christian Cherfils sur Wronski "Essai de religion scientifique", ouvage très difficile à trouver et dont je vais donc me faire un plaisir de recopier les passages suivants (page 151-152):

    "Il y a une mesure des choses; et cette mesure n'est point la nature physique, mais la loi de notre pensée. La nature physique apparait anormale et contingente; la loi de la pensée est par définition normale et absolue. C'est elle qui constitue le critère premier et dernier. contre elle l'expérience ne peut rien : toute science même expérimentale n'est elle pas fondée sur le principe de contradiction ? et qu'est ce autre chose que ce principe sinon le substratum de la loi de la pensée ? l'induction suppose que l'Etre peut être expliqué ou construit par le savoir; et cette idée postule déjà l'existence de l'Absolu.

    C'est ce que Spir a bien compris et exposé. Dans une large mesure, Spir était wronskiste."

    (et il renvoie sur ce point à la Revue de métaphysique et de morale, Mars 1896), lire notamment dans ce numéro l'article de Spir "La norme de la pensée et l'enchainement des choses" à l'adresse suivante :

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11050z/CadresFenetre?O=NUMM-11050&M=tdm

    L'édition de 1930 (chez Felix Alcan) des "Esquisses de philosophie critique" d'African SPIR est précédée d'une introduction magistrale de Léon Brunschvicg.

    On pourra lire la première édition du livre, parue en 1887 et préfacée par A Penjon, sur Gallica :

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k78015c

    La pensée de Spir est proche de celle de Brunschvicg en ce sens qu'elle représente véritablement l'idéal philosophique, la sagesse, par opposition aux grands systèmes qui prétendent fournir une explication globale du Tout. C'est à dire, en d'autres termes, l'opposition du dogmatisme et du criticisme.

    Brunschvicg emploie des termes très forts, qui prenaient tout leur sens dans leurs années 30 : les dogmatiques en philosophie, dont , selon Brunschvicg, Hegel est un cas d'école,  peuvent être nommés des surhommes, et le type opposé de philosophe est , non plus surhomme, mais sage.

    Le dogmatique, dont la tradition philosophique de l'Ecole (la scolastique) fournit de nombreux exemples, "a trouvé avant d'avoir cherché. Dans l'étendue de l'univers intelligible il trace un système d'opinions qui définit sa vérité. Il s'attribue, à titre de surhomme, un privilège d'infaillibilité auquel participent à leur tour les individus du groupe qui a consenti à s'enfermer dans ce système. Or à l'intérieur des sociétés qui ne s'endorment pas sur elles mêmes, qui ont suffisamment d'énergie pour vivre de la vie spirituelle, il arrive inévitablement que l'arbitraire des systèmes engendre leur multiplicité. Le spectacle de leur contradiction provoque un sursaut de réflexion méthodique, un progrès de raison critique, qui brise le préjugé du dogmatisme ... alors apparait le type opposé de philosophe, non plus surhomme, mais sage"

    ainsi ce n'est pas, comme le croit Kojève, Hegel qui est le premier Sage, mais l'on peut dire que son systématisme grandiose (que Brunschvicg reconnait d'ailleurs pour tel, avec une admiration non feinte) ouvre la voie, par réaction, à la sagesse.

    La multiplicité des systèmes fait aussi écho à la multiplicité des croyances et des religions aux "dieux à noms propres", y compris les trois religions prétendûment "monothéistes". Là aussi l'arbitrtaire aboutit au chaos.

    Le philosophe selon Brunschvicg et Spir, le sage, est celui qui au lieu de s'installer en Dieu et d'usurper la prérogative d'un (prétendu) savoir divin, se maintient au plan terrestre dans un sentiment d'ignorance qui est la condition même de l'homme. On reconnait là la sagesse de Socrate, qui ne sait qu'une seule chose, c'est qu'il ne sait rien.

    Mais contre le voeu même de Socrate, des "Socratiques" fondateurs d'écoles et de systèmes prennent le relais,  Comme Platon, Aristote, Aristippe, Antisthène, ces deux derniers moralistes préparant les "dogmatismes effrenés du stoïcisme et de l'épicurisme, dont les controverses sans issue achèveront de ruiner la civilisation antique, et permettront que règne sans partage  l'étouffoir chrétien, puis islamique... jusqu'à nos jours !

    Contre cet enfermement de la pensée dans le système métaphysique ou religieux, l'attitude de Spir et de Brusnchvicg se définit par un mot : "Pas de compromis !", soit l'héroïsme de la Raison auquel invite aussi Husserl en 1936 , debant la montée du nihilisme nazi, et de nos jours Badiou devant la montée du nihilisme de la "globalisation" financière qui enregistre un pas de plus avec l'irruption sarkozyste.

    Le vrai est ce qui se vérifie, se constate, non certes par une accumulation de faits, mais par une exigence d'exactitude qui est l'âme même de la philosophie, et qui se nomme aussi Raison.  L'absolu n'est pas dans une vérité ou un système clos de vérités, c'est là tout le sens de l'anti-logicisme de Brunschvicg (qui ne s'attaque en rien à la logique, discipline hautement mathématisée et admirable de rigueur). L'Absolu s'identifie avec la recherche de l'absolu. Car si je m'engage avec honnêteté dans la voie de la philosophie, c'est à dire dans la recherche de la vérité, alors je dois reconnaitre, comme préliminaire, qui je ne dispose d'aucune vérité, que "je ne sais rien". Et je dispose alors d'une première vérité, qui est que je ne sais rien. C'est aussi ce que dit Wronski quand il interprète le "cherchez et vous trouverez" de l'Evangile.

    Spir ne dit pas autre chose : "c'est seulement par le côté supérieur, logique, (rationnel) et moral, que nous sommes apparentés à l'absolu; l'homme est le produit le plus élevé de la nature et il n'a de valeur que par sa tendance à s'élever au dessus de la nature"

    L'esprit se manifeste par une norme qui est le principe de toute vérité : la norme de la Raison. Sa supériorité sur la nature se montre par sa capacité à surmonter l'illusion "réaliste" qui produit l'apparence d'un monde extérieur qui serait fait de choses. Il s'agit du même triomphe de l'esprit qui est à la racine de la victoire du système héliocentrique avec Galilée, et de la rupture avec Ptolémée.

    Amiel, lorsqu'en 1878 la médecine lui fit connaitre l'usure de son organisme, se donnait le même type de mot d'ordre:

    "Il n'y a rien d'absolu dans l'homme, hormis sa conscience de l'absolu".

    Il faut avoir compris la déception inévitable de l'être, qui définit son moi par l'animalité de sa nature individuelle pour trouver sa liberté dans le seul attahement à ce qu'il y a en nous d'universel et d'éternel, ou plutôt d'atemporel. C'est ce que Wronski caractérise par la prépondérance (pour nous) de l'élément Savoir sur l'élément être.

    Cet héroïsme de la pensée se paye très cher, non plus de nos jours par la mise à mort, ou la persécution, comme c'était le cas du temps de Platon et encore du temps de Fichte, ce qui explique selon Brunschvicg la tentation de ces deux philosophes de revenir à une "seconde philosophie", moins radicale que la doctrine idéaliste initiale, mais par la mise sous silence.

    Spir n'a pas échappé à cette dure expérience, qui déclare avant la fin : "j'espère que ma mort brisera l'étrange sort qui semblait jeté sur tout ce qui émanait de moi". Et Brunschvicg, tombé dans l'oubli, n'y échappe pas non plus de nos jours...nos sombres jours où les medias incultes et la TV "reality show) font et défont les "célébrités éphémères".