• Jean-Marie Gustave Le Clézio

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    Le livre des fuites

    " Le mouvement m'a pris un jour, et son ivresse n'est pas près de finir. Mon moteur me tire en avant, et c'est pour toujours de nouveaux kilomètres."

    Faim

    " C'est un pain carré, fait au moule avec de la farine de force, léger, odorant, à la mie aussi blanche que le papier sur lequel j'écris. Et à l'écrire, je sens l'eau à ma bouche, comme si le temps n'était pas passé et que j'étais directement relié à ma petite enfance. La tranche de pain fondant, nuageux, que j'enfonce dans ma bouche et à peine avalée j'en demande encore, encore, et si ma grand-mère ne le rangeait pas dans son armoire fermée à clef, je pourrais le finir en un instant, jusqu'à en être malade. Sans doute rien ne m'a pareillement satisfait, je n'ai rien goûté depuis qui a comblé à ce point ma faim, qui m'a à ce point rassasié."

    Écriture

    " Mais quand j'avais sept ans, j'avais du mal à comprendre que je faisais réellement ce voyage. C'était plus important, pour moi, de l'écrire que de le faire. Comme si, en me contentant de le faire, je n'avais pas été suffisamment conscient, ou que quelque chose allait m'échapper. "

    Écrivain

    " Un écrivain, c'est quelqu'un qui a le luxe, la chance - ou parfois, le désespoir - de pouvoir noter ses gestes inutiles, ses pensées inutiles - en plus des autres! - et d'arriver parfois à en faire quelque chose qui tienne debout."

    Silence

    " (...) le silence n'y est pas perçu comme une absence de paroles, mais comme une autre manière de s'exprimer. On pourrait comparer le silence des Amérindiens à la non-violence
    des Indiens à l'époque de Gandhi. Quand les Mexicains se taisent, c'est qu'ils ont quelque chose d'important à dire. Et il faut le comprendre. (...) Je crois que c'est une attitude liée à la culture amérindienne. On fait comprendre les choses sans les dire, on doit les comprendre, comme on dit, à demi-mot, et quelquefois sans mot du tout."

    Imagination

    " Il y avait une atmosphère très épaisse. On ne voyait les côtes qu'à travers une brume, et il faisait très chaud. Le bateau ne venait pas jusqu'à la côte, il n'y avait pas de port. Pour se rendre à terre, il fallait prendre une pirogue. Tout ça faisait que c'était plus simple d'imaginer. Imaginer qu'on vivait quelque chose d'intense et de brûlant était en effet plus simple que de tenter de le vivre dans la torpeur et le bruit des ventilateurs."

    Mots

    " Sans doute était-elle, du fait de son âge, la seule qui écoutait sans rien dire. Pour les autres, ils avaient passé la plus grande partie de leur vie, et les mots n'étaient que du bruit, du vent. Ils n'avaient pas vraiment de réalité. Peut-être même qu'ils servaient à masquer la vie."

    Enfance

    " Quand on est enfant, on n'use pas de mots et les mots ne sont pas usés."

    Histoire

    " J'ai l'impression que l'Histoire peut être un poids terrible, une sorte de carcan; un poids culturel trop lourd, un poids qui ne sert à rien dans la vie quotidienne."

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