• Cécile Sauvage

    --------------

    Je t'apporte ce soir ma natte plus lustrée
    Que l'herbe qui miroite aux collines de juin ;
    Mon âme d'aujourd'hui fidèle à toi rentrée
    Odore de tilleul, de verveine et de foin ;
    Je t'apporte cette âme à robe campagnarde.
    Tout le jour j'ai couru dans la fleur des moissons
    Comme une chevrière innocente qui garde
    Ses troupeaux clochetant des refrains aux buissons.
    Je fis tout bas ta part de pain et de fromage ;
    J'ai bu dans mes doigts joints l'eau rose du ruisseau
    Et dans le frais miroir j'ai cru voir ton image.
    Je t'apporte un glaïeul couché sur des roseaux.
    Comme un cabri de lait je suis alerte et gaie ;
    Mes sonores sabots de hêtre sont ailés
    Et mon visage a la rondeur pourpre des baies
    Que donne l'aubépine quand les mois sont voilés.
    Lorsque je m'en revins, dans les ombres pressées
    Le soc bleu du croissant ouvrait un sillon d'or ;
    Les étoiles dansaient cornues et lactées ;
    Des flûtes de bergers essayaient un accord.
    Je t'offre la fraîcheur dont ma bouche était pleine,
    Le duvet mauve encor suspendu dans les cieux,
    L'émoi qui fit monter ma gorge sous la laine
    Et la douceur lunaire empreinte dans mes yeux.

    --------------

    L'enchantement lunaire endormant la vallée
    Et le jour s'éloignant sur la mer nivelée
    Comme une barque d'or nombreuse d'avirons,
    J'ai rassemblé, d'un mot hâtif, mes agneaux ronds,
    Mes brebis et mes boucs devenus taciturnes
    Et j'ai pris le chemin des chaumières nocturnes.
    Que l'instant était doux dans le tranquille soir !
    Sur l'eau des rayons bleus étant venus s'asseoir
    Paraissaient des sentiers tracés pour une fée
    Et parfois se plissaient d'une ablette apeurée.
    Le troupeau me suivait, clocheteur et bêlant.
    Je tenais dans mes bras un petit agneau blanc
    Qui, n'ayant que trois jours, tremblait sur ses pieds roses
    Et restait en arrière à s'étonner des choses.
    Le silence était plein d'incertaines rumeurs,
    Des guêpes agrafaient encor le sein des fleurs,
    Le ciel était lilas comme un velours de pêche.
    Des paysans rentraient portant au dos leur bêche
    D'argent qui miroitait sous un dernier rayon,
    Et des paniers d'osier sentant l'herbe et l'oignon.
    Les champs vibraient encor du jeu des sauterelles.
    Je marchais. L'agneau gras pesait à mes bras frêles.
    Je ne sais quel regret me mit les yeux en pleurs
    Ni quel émoi me vint de ce cœur sur mon cœur,
    Mais soudain j'ai senti que mon âme était seule.
    La lune sur les blés roulait sa belle meule ;
    Par un même destin leurs jours étant liés,
    Mes brebis cheminaient auprès de leurs béliers ;
    Les roses défaillant répandaient leur ceinture
    Et l'ombre peu à peu devenait plus obscure.

    http://armanny.blogg.org