-
Victor Ségalen
--------------
Ce que je sais d'aujourd'hui, en hâte je l'impose à ta surface, pierre
plane, étendue visible et présente ;Ce que je sens, - comme aux entrailles l'étreinte de la chute, - je l'étale
sur ta peau, robe de soie fraîche et mouillée ;Sans autre pli, que la moire de tes veines : sans recul, hors l'écart de
mes yeux pour te bien lire ; sans profondeur, hormis l'incuse nécessaire
à tes creux.Qu'ainsi, rejeté de moi, ceci, que je sais d'aujourd'hui, si franc, si
fécond et si clair, me toise et m'épaule à jamais sans défaillance.J'en perdrai la valeur enfouie et le secret, mais ô toi, tu radieras, mémoire
solide, dur moment pétrifié, gardienne hauteDe ceci... Quoi donc était-ce... Déjà délité, décomposé, déjà bu, cela
fermente sourdement déjà dans mes limons insondables.--------------
Mon amante a les vertus de l'eau : un sourire clair, des gestes
coulants, une voix pure et chantant goutte à goutte.Et quand parfois, malgré moi - du feu passe dans mon regard,
elle sait comment on l'attise en frémissant : eau jetée sur les
charbons rouges.Mon eau vive, la voici répandue, toute, sur la terre ! Elle glisse,
elle me fuit ; - et j'ai soif, et je cours après elle.De mes mains je fais une coupe. De mes deux mains je l'étanche
avec ivresse, je l'étreins, je la porte à mes lèvres :Et j'avale une poignée de boue.