• François Fabié

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    Le doux titre et l'emploi charmant :
    Être, en juin, un berger d'abeilles,
    Lorsque les prés sont des corbeilles
    Et les champs des mers de froment ;

    Quand les faucheurs sur les enclumes
    Martèlent la faux au son clair,
    Et que les oisillons dans l'air
    Font bouffer leurs premières plumes !

    Berger d'abeilles, je le fus,
    A huit ans, la-bas, chez mon père,
    Lorsque son vieux rucher prospère
    Chantait sous ses poiriers touffus.

    Quel bonheur de manquer l'école
    Que l'été transforme en prison,
    De se rouler dans le gazon,
    Ou de suivre l'essaim qui vole,

    En lui disant sur un ton doux
    Pour qu'il s'arrête aux branches basses :
    " Posez-vous, car vous êtes lasses ;
    Belles abeilles, posez-vous !

    " Nous avons des ruches nouvelles
    Faites d'un bois qui vous plaira ;
    La sauge les parfumera :
    Posez-vous, abeilles, mes belles ! "

    Et les abeilles se posaient
    En une énorme grappe grise
    Que berçait mollement la brise
    Dans les rameaux qui bruissaient.

    " Père ! criais-je, père ! arrive !
    Un essaim ! " Et l'on préparait
    La ruche neuve où sans regret
    La tribu demeurait captive.

    Puis, sur le soir, lorsque, à pas lents,
    Du fond des pâtures lointaines
    Les troupeaux revenaient bêlants
    Vers l'étable et vers les fontaines,

    Je retrouvais mon père au seuil
    Comptant ses bêtes caressantes,
    Et lui disais avec orgueil :
    " Toutes les miennes sont présentes ! "

    Le doux titre et l'emploi charmant :
    Être, en juin, un berger d'abeilles,
    Lorsque les prés sont des corbeilles
    Et les champs des mers de froment !

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    Les genêts, doucement balancés par la brise,
    Sur les vastes plateaux font une boule d'or ;
    Et tandis que le pâtre à leur ombre s'endort,
    Son troupeau va broutant cette fleur qui le grise ;

    Cette fleur qui le fait rêver d'amour, le soir,
    Quand il roule du haut des monts vers les étables,
    Et qu'il croise en chemin les grands boeufs vénérables
    Dont les doux beuglements appellent l'abreuvoir ;

    cette fleur toute d'or, de lumière et de soie,
    En papillons posée au bout des brins menus,
    Et dont les lourds parfums semblent être venus
    De la plage lointaine où le soleil se noie...

    Certes, j'aime les prés où chantent les grillons,
    Et la vigne pendue aux flancs de la colline,
    Et les champs de bleuets sur qui le blé s'incline,
    Comme sur des yeux bleus tombent des cheveux blonds.

    Mais je préfère aux prés fleuris, aux grasses plaines,
    Aux coteaux où la vigne étend ses pampres verts,
    Les sauvages sommets de genêts recouverts,
    Qui font au vent d'été de si fauves haleines.

    Vous en souvenez-vous, genêts de mon pays,
    Des petits écoliers aux cheveux en broussailles
    Qui s'enfonçaient sous vos rameaux comme des cailles,
    Troublant dans leur sommeil les lapins ébahis ?

    Comme l'herbe était fraîche à l'abri de vos tiges !
    Comme on s'y trouvait bien, sur le dos allongé,
    Dans le thym qui faisait, aux sauges mélangées,
    Un parfum enivrant à donner des vertiges !

    Et quelle émotion lorsqu'un léger froufrou
    Annonçait la fauvette apportant la pâture,
    Et qu'en bien l'épiant on trouvait d'aventure
    Son nid plein d'oiseaux nus et qui tendaient le cou !

    Quel bonheur, quand le givre avait garni de perles
    Vos fins rameaux émus qui sifflaient dans le vent,
    - Précoces braconniers, - de revenir souvent
    Tendre en vos corridors des lacets pour les merles.

    Mais il fallut quitter les genêts et les monts,
    S'en aller au collège étudier des livres,
    Et sentir, loin de l'air natal qui vous rend ivres,
    S'engourdir ses jarrets et siffler ses poumons ;

    Passer de longs hivers dans des salles bien closes,
    A regarder la neige à travers les carreaux,
    Éternuant dans des auteurs petits et gros,
    Et soupirant après les oiseaux et les roses ;

    Et, l'été, se haussant sur son banc d'écolier,
    Comme un forçat qui, tout en ramant, tend sa chaîne,
    Pour sentir si le vent de la lande prochaine
    Ne vous apporte pas le parfum familier.

    Enfin, la grille s'ouvre ! on retourne au village ;
    Ainsi que les genêts notre âme est tout en fleurs,
    Et dans les houx remplis de vieux merles siffleurs,
    On sent un air plus pur qui vous souffle au visage.

    On retrouve l'enfant blonde avec qui cent fois
    On a jadis couru la forêt et la lande ;
    Elle n'a point changé, - sinon qu'elle est plus grande,
    Que ses yeux sont plus doux et plus douce sa voix.

    " Revenons aux genêts ! - Je le veux bien ? " dit-elle.
    Et l'on va côte à côte, en causant, tout troublés
    Par le souffle inconnu qui passe sur les blés,
    Par le chant d'une source ou par le bruit d'une aile.

    Les genêts ont grandi, mais pourtant moins que nous ;
    Il faut nous bien baisser pour passer sous leurs branches,
    Encore accroche-t-elle un peu ses coiffes blanches ;
    Quant à moi, je me mets simplement à genoux.

    Et nous parlons des temps lointains, des courses folles,
    Des nids ravis ensemble, et de ces riens charmants
    Qui paraissent toujours si beaux aux cœurs aimants
    Parce que les regards soulignent les paroles.

    Puis le silence ; puis la rougeur des aveux,
    Et le sein qui palpite, et la main qui tressaille,
    Au loin un tendre appel de ramier ou de caille...
    Comme le serpolet sent bon dans les cheveux !

    Et les fleurs des genêts nous font un diadème ;
    Et, par l'écartement des branches, haut dans l'air.
    Paraît comme un point noir l'alouette au chant clair
    Qui, de l'azur, bénit le coin d'ombre où l'on aime !...

    Ah ! de ces jours lointains, si lointains et si doux,
    De ces jours dont un seul vaut une vie entière,
    - Et de la blonde enfant qui dort au cimetière, -
    Genêts de mon pays, vous en souvenez-vous ?

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    Vieillir, se l'avouer à soi-même et le dire,
    Tout haut, non pas pour voir protester les amis,
    Mais pour y conformer ses goûts et s'interdire
    Ce que la veille encore on se croyait permis.

    Avec sincérité, dès que l'aube se lève,
    Se bien persuader qu'on est plus vieux d'un jour.
    À chaque cheveu blanc se séparer d'un rêve
    Et lui dire tout bas un adieu sans retour.

    Aux appétits grossiers, imposer d'âpres jeûnes,
    Et nourrir son esprit d'un solide savoir ;
    Devenir bon, devenir doux, aimer les jeunes
    Comme on aima les fleurs, comme on aima l'espoir.

    Se résigner à vivre un peu sur le rivage,
    Tandis qu'ils vogueront sur les flots hasardeux,
    Craindre d'être importun, sans devenir sauvage,
    Se laisser ignorer tout en restant près d'eux.

    Vaquer sans bruit aux soins que tout départ réclame,
    Prier et faire un peu de bien autour de soi,
    Sans négliger son corps, parer surtout son âme,
    Chauffant l'un aux tisons, l'autre à l'antique foi,

    Puis un jour s'en aller, sans trop causer d'alarmes,
    Discrètement mourir, un peu comme on s'endort,
    Pour que les tout petits ne versent pas de larmes
    Et qu'ils ne sachent pas ce que c'est que la mort.

    http://armanny.blogg.org