• Paul-Jean Toulet

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    Dans le lit vaste et dévasté
    J'ouvre les yeux près d'elle ;
    Je l'effleure : un songe infidèle
    L'embrasse à mon côté.

    Une lueur tranchante et mince
    Échancre mon plafond,
    Très loin, sur le pavé profond,
    J'entends un seau qui grince...

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    Dans le silencieux automne
    D'un jour mol et soyeux,
    Je t'écoute en fermant les yeux,
    Voisine monotone.

    Ces gammes de tes doigts hardis,
    C'étaient déjà des gammes
    Quand n'étaient pas encor des dames
    Mes cousines, jadis ;

    Et qu'aux toits noirs de la Rafette,
    Où grince un fer changeant,
    Les abeilles d'or et d'argent
    Mettaient l'aurore en fête.

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    Ô mer, toi que je sens frémir
    À travers la nuit creuse,
    Comme le sein d'une amoureuse
    Qui ne peut pas dormir ;

    Le vent lourd frappe la falaise...
    Quoi ! si le chant moqueur
    D'une sirène est dans mon cœur -
    Ô cœur, divin malaise.

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    Quoi, plus de larmes, ni d'avoir
    Personne qui vous plaigne...
    Tout bas, comme d'un flanc qui saigne,
    Il s'est mis à pleuvoir.
    Douce plage où naquit mon âme ;
    Et toi, savane en fleurs
    Que l'Océan trempe de pleurs
    Et le soleil de flamme ;

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    Douce aux ramiers, douce aux amants,
    Toi de qui la ramure
    Nous charmait d'ombre et de murmure,
    Et de roucoulements ;

    Où j'écoute frémir encore
    Un aveu tendre et fier
    Tandis qu'au loin riait la mer
    Sur le corail sonore.

    Toute allégresse a son défaut
    Et se brise elle-même.
    Si vous voulez que je vous aime,
    Ne riez pas trop haut.

    C'est à voix basse qu'on enchante
    Sous la cendre d'hiver
    Ce cœur, pareil au feu couvert,
    Qui se consume et chante.

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    Puisque tes jours ne t'ont laissé
    Qu'un peu de cendre dans la bouche,
    Avant qu'on ne tende la couche
    Où ton cœur dorme, enfin glacé,
    Retourne, comme au temps passé,
    Cueillir, près de la dune instable,
    Le lys qu'y courbe un souffle amer,
    Et grave ces mots sur le sable :
    Le rêve de l'homme est semblable
    Aux illusions de la mer.

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