• Louis Bertrand dit Aloysius

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    Nous étions maintenant deux sur le banc. Mon voisin feuilletait un livre des pages duquel s'échappa à son insu une fleur desséchée. Je la recueillis pour la lui rendre. L'inconnu, me saluant, la porta à ses lèvres flétries, et la replaça dans le livre mystérieux.

    « Cette fleur, me hasardai-je à lui dire, est sans doute le symbole de quelque doux amour enseveli ? Hélas ! Nous avons tous dans le passé un jour qui nous désenchante l'avenir !
    - Vous êtes poète ! me répondit-il en souriant. »

    Le fil de la conversation était noué. Maintenant, sur quelle bobine allait-il s'envider ?

    « Poète, si c'est d'être poète que d'avoir cherché l'art !
    - Vous avez cherché l'art ! Et l'avez-vous trouvé ?
    - Plût au ciel que l'art ne fût pas une chimère !
    - Une chimère ! ... Et moi aussi je l'ai cherché ! » s'écria-t-il avec l'enthousiasme du génie, et l'emphase du triomphe.

    Je le priai de m'apprendre à quel lunetier il devait sa découverte, l'art ayant été pour moi ce qu'est une aiguille dans une meule de foin...

    « J'avais résolu, dit-il, de chercher l'art comme au moyen âge les rose-croix cherchèrent la pierre philosophale; - l'art, cette pierre philosophale du XIXe siècle !

    « Une question exerça d'abord ma scolastique. Je me demandai : Qu'est-ce que l'art ? - L'art est la science du poète. - Définition aussi limpide qu'un diamant de la plus belle eau.

    « Mais quels sont les éléments de l'art ? - Seconde question à laquelle j'hésitai pendant plusieurs mois de répondre. - Un soir qu'à la fumée d'une lampe, je fossoyais le poudreux charnier d'un bouquiniste, j'y déterrai un petit livre en langue baroque et inintelligible, dont le titre s'armoriait d'un amphistère déroulant sur une banderole ces deux mots : Gott - Liebe. Quelques sous payèrent ce trésor.

    J'escaladai ma mansarde, et là, comme l'épelais curieusement le livre énigmatique, devant la fenêtre baignée d'un clair de lune, soudain il me sembla que le doigt de Dieu effleurait le clavier de l'orgue universel. Ainsi les phalènes bourdonnantes se dégagent du sein des fleurs qui pâment leurs lèvres aux baisers de la nuit. J'enjambai la fenêtre, et je regardai en bas. O surprise ! Rêvais-je ! Une terrasse que je n'avais pas soupçonnée aux suaves émanations de ses orangers, une jeune fille, vêtue de blanc, qui jouait de la harpe, un vieillard, vêtu de noir, qui priait à genoux ! - Le livre me tomba de la main.

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    Encore un printemps, - encore une goutte de rosée, qui se bercera un moment dans mon calice amer, et qui s en échappera comme une larme !

    Ô ma jeunesse, tes joies ont été glacées par les baisers du temps, mais tes douleurs ont survécu au temps qu'elles ont étouffé sur leur sein.

    Et vous qui avez parfilé la soie de ma vie, ô femmes ! s'il y a eu dans mon roman d'amour quelqu'un de trompeur, ce n'est pas moi, quelqu'un de trompé, ce n'est pas vous !

    Ô printemps ! petit oiseau de passage, notre hôte d'une saison qui chante mélancoliquement dans le cœur du poète et dans la ramée du chêne !

    Encore un printemps, - encore un rayon du soleil de mai au front du jeune poète, parmi le monde, au front du vieux chêne, parmi les bois !

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