• Christian Bobin

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    Parfois, je pense à cette petite fille qui jouait à la marelle sur le parvis de la cathédrale d’Autun où des hommes s’apprêtaient à porter le cercueil de son père.
    J’aime les deux, le mort parce qu’il touche au ciel, et la petite fille parce que sa gaieté apaise Dieu et colore de rouge les joues de la vie.
    Les deux atteignent sans le savoir, et précisément parce qu’ils ne le savent pas, un sommet de lumière.
    Leur ignorance est un soleil que rien n’épuise.
    « Profiter de la vie », « jouir de la vie » sont des mots d’ordre qui claquent dans l’air du monde moderne.
    Lorsque je vois ici et là des visages pleins d’huile et de santé féroce, je pense à l’enfant et au mort.
    Plutôt que « jouir » de la vie, il semble plus juste de la servir.
    Et comme on ne sait pas ce qu’est la vie, la servir ne peut être qu’accueillir cette ignorance divine au fond de notre cœur : jouer à la marelle ou bien mourir quand c’est l’heure pour l’une ou l’autre de ces activités. Sans effroi, plutôt avec douceur.
    Entre ces deux portes éblouies, celle de l’enfant, celle du mort, nous pouvons toujours éclairer du papier blanc avec quelques mots, rouvrir un visage par un geste charitable ou encore rallumer la lumière dans un cœur comme une bête qu’on sort d’un piège : de ce que nous délivrons nous arrive en retour une lumière qui est la fleur de la vie, sa saveur longue et pure.
    Et n’oublions pas, insomniaques passagers du train des étoiles, de saluer et d’aimer le vin, la chair, les roses et aussi les livres, ces anges dont le souvenir illumine le parvis d’une cathédrale à l’heure obscure.